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Rencontre avec une féministe sénégalaise historique, qui a marqué son pays

Marie-Angélique Savané est une féministe sénégalaise renommée. Esther l’a rencontrée à Dakar et a discuté avec elle des droits des femmes au Sénégal – et elle n’a pas sa langue dans sa poche !

Esther est partie à la rencontre des Sénégalaises durant trois semaines. Elle y a réalisé interviews, portraits, reportages, qui s’égrainent au fil des jours sur madmoiZelle.

Pour retrouver le sommaire de tous les articles publiés et la genèse du projet, n’hésite pas à jeter un œil à l’article de présentation : madmoiZelle en reportage au Sénégal !

Aujourd’hui âgée de 70 ans, Marie Angélique Savané se dit « fière de son parcours ». Il faut dire que le CV de celle qui fut une petite fille élevée par un père ouvrier et une mère couturière en impose.

Sociologue, féministe, elle a enchaîné les positions au sein de l’ONU, créé des associations féministes, écrit pour diverses revues (qu’elle a même parfois lancées)…

Je voulais avoir son point de vue, son éclairage sur le Sénégal de 2018, elle qui a connu celui des années 1970 et 1980… « L’âge d’or du féminisme sénégalais » selon ses mots.

Parce qu’elle en était l’une, sinon LA figure de proue ? Peut-être. Toujours est-il qu’il est difficile de trouver un modèle aussi tutélaire que celui qu’elle a été dans le paysage féministe sénégalais aujourd’hui.

Ré-ouvrir le débat autour des droits des femmes

Marie-Angélique Savané m’a donc accueillie chez elle à Dakar, dans une belle maison spacieuse et lumineuse. Et il en faut peu pour la lancer sur les thèmes qui me sont chers, tels que la contraception, l’avortement, la culture du viol.

Elle rebondit sur l’actualité en évoquant la pétition qu’elle a signé le matin même pour demander à un professeur de philosophie, « pourtant très reconnu »

, de s’excuser après avoir tenu des propos indignes sur le viol, la veille.

« Je suis contente de savoir que cette fille a réagi en lançant cette pétition, ça a fait le « buzz ». Ça va ouvrir un débat et peut-être permettre à beaucoup de filles de sortir de leur coin, de dire ce qu’elles ont à dire. »

Car c’est là son principal constat : il manquerait au féminisme sénégalais une voix contemporaine.

« On est dans une phase de répression et de conservatisme dans le monde en général, en Europe aussi, ce sont tous ces partis conservateurs, de droite, qui montent.

C’est comme un retour de bâton après les années émancipatrices qui ont suivi 1968.

Pourquoi on se remet à parler d’avortement en France ? Pour moi ça devrait être dépassé et accepté, mais ça revient. Donc dans notre pays, c’est encore pire car on n’a pas créé les conditions pour que les gens individuellement s’en sortent. »

Re-développer des programmes tombés dans l’oubli ?

Elle ne manque pas d’exemples pour illustrer son point de vue, à commencer par les programmes d’éducation sexuelle mis en place alors qu’elle dirigeait le Fond des Nations Unies pour les Populations (UNFPA) :

« On travaillait dans des écoles pour apporter aux jeunes des connaissances sur la sexualité, leur apprendre à faire des choix. On ne leur disait pas « faites » ou « ne faites pas », mais on insistait sur l’importance des études, en particulier pour les jeunes femmes afin d’être autonomes – sans ça, tu ne peux pas être grande gueule ! 

Mais malheureusement, ils sont un peu tombés en désuétude. Je répète qu’il faut les reprendre car c’est dommage, on avait créé une émulation, ça avait fait émerger des leaders… »

En réalité, des programmes sont toujours menés, comme par l’ASPEV le planning familial sénégalais, ou l’ONG Mary Stoppes International, mais il est vrai qu’ils sont loin de couvrir tout le territoire et en particulier les zones rurales.

À lire aussi : L’avortement et la contraception au Sénégal racontés par 4 jeunes filles

« Il ne faut plus laisser le champ libre aux conservateurs »

Elle illustre son point de vue à grand renfort d’anecdotes et d’histoires que des gens en quête de conseils, lui ont personnellement confiées (au point que son mari lui suggère d’ouvrir un bureau dédié à ce type d’activité).

C’est le cas sur la polygamie par exemple :

« L’autre jour, j’étais à ce repas, je discutais avec cette jeune femme qui avait l’air résolument moderne, quand quelqu’un à la table lui a lancé « et toi, comment tu justifies ta polygamie ? ».

Je suis tombée de haut en voyant cette jeune femme indépendante être dans un mariage polygame. Elle défendait sa situation en public, en disant que c’était un choix éclairé qui lui convenait, mais après le repas elle m’a appelée pour me dire à quel point elle rencontrait des problèmes avec sa co-épouse !

Pour moi qui me suit tellement battue contre ça, à tel point que dès 6 ans mon fils en discutait avec son père, voir que ça fait son grand retour chez les jeunes, ça m’attriste ! »

Selon elle, si le discours conservateur a repris le dessus, c’est parce que les mouvements sociaux lui ont laissé le champs libre.

« On n’a plus ces mouvements féministes qu’on avait, nous. Maintenant les gens sont plus dans des bagarres individuelles que collectives. Il y a quelques associations qui émergent mais qui n’abordent pas ces problèmes de société.

C’est dommage même si c’est vrai qu’on en voyait de toutes les couleurs de la part des religieux, des hommes. Il fallait avoir le courage de le faire. Mais c’est justement parce qu’aujourd’hui on n’a plus de figure tutélaire que les religieux ont repris le dessus. »

Passer le flambeau du féminisme sénégalais, l’ambition de Marie Angélique Savané

Et Marie-Angélique Savané de ronger son frein.

« Je me réfrénais en me disant mais non il faut quand même qu’elles se lèvent, qu’elles fassent leur trucs. Ce n’est pas à moi, 70 ans, de parler des problèmes des jeunes femmes d’aujourd’hui !

Pourtant je fréquente beaucoup de femmes plus jeunes que moi qui viennent me dire « il faut que tu reprennes la parole », mais moi je dis qu’est-ce que vous, vous attendez ? »

À force de la voir décrire son engagement passé, ses frustrations actuelles, je me suis demandé ce qui avait pu donner à cette femme le courage de passer pour « la hargneuse » pendant toute sa vie.

Et si toi aussi tu te poses la question, la réponse t’attend dans le 2ème volet de cette interview à paraître dès demain !

À lire aussi : L’avortement et la contraception au Sénégal racontés par 4 jeunes filles


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