Chez Madmoizelle, on se demande chaque année comment aborder cette fameuse journée internationale des droits des femmes qu’est le 8 mars. Et c’est à chaque fois éminemment compliqué. Parce que ce temps de l’année a été récupéré par le marketing des grandes entreprises, par des politiques qui ne perdent pas une minute pour faire de la démagogie ou encore par ceux qui n’y ont rien compris et pensent qu’il faut simplement souhaiter “bonne fête” à toutes les femmes. Dans tout cela, les discours et combats féministes que l’on devrait entendre le plus deviennent inaudibles ce jour-là. Cette année chez Madmoizelle, nous avons donc décidé de tendre notre micro et notre plume à celles et ceux qui agissent vraiment au quotidien pour défendre les droits des femmes, et que l’on entend finalement le moins aujourd’hui. Des associations et collectifs qui œuvrent dans tous les domaines de la société et malgré les difficultés et la menace d’un backlash permanent.
Auprès des institutions, des professionnels et du grand public, elles œuvrent pour rendre l’industrie du cinéma et de l’audiovisuel plus paritaire et inclusive et la débarrasser de ses rapports de domination sexistes, racistes ou encore validistes.
Élues pour deux ans au conseil d’administration du collectif 50/50, Clémentine Charlemaine (déléguée générale de Cinéma pour tous), Laura Pertuy (journaliste cinéma et programmatrice de festivals) et Margaux Lorier (productrice) ont rencontré Madmoizelle.
À l’occasion du 8 mars, elles nous ont ouvert les coulisses de leur lutte. Elles nous ont parlé des avancées, des stagnations et de leurs objectifs en nous présentant les 6 modes d’action avec lesquels elles faisaient bouger les lignes de l’une des industries les plus influentes en France.
À lire aussi : 8 mars : Fat Friendly, l’outil qui lutte contre l’exclusion des personnes grosses de l’espace public
1 : Rendre obligatoire les formations de prévention et de lutte contre le harcèlement sexiste et sexuel
Clémentine Charlemaine. Pour tous les employés du secteur du cinéma et de l’audiovisuel, il faut suivre les formations de prévention et de lutte contre le harcèlement sexiste et sexuel. Ces formations existent déjà mais pour l’instant, mais elles ne sont obligatoires que pour les gérants de société. Pourtant, elles sont gratuites et accessibles à toutes et tous ! C’est une formation de trois jours à peine, qui donne les armes pour accueillir la parole des victimes et savoir comment agir. La semaine dernière par exemple, j’ai eu des retours à propos d’un tournage où les référents ont fait leur travail en réagissant vite et bien. Une comédienne m’a dit que pour une fois, la honte avait changé de camp et que la personne mise en cause avait rasé les murs tout au long du tournage.
Margaux Lorier. Ce qui est important avec ces formations, c’est qu’une fois que tu les as faites, tu peux être référent formation sur un tournage. Pour certains, cette responsabilité peur faire peur car dans le milieu du cinéma, la plupart des professionnels sont intermittents. Ils ont un statut précaire. Les tournages se font sur un temps réduit et parfois, d’un tournage dépend la suite de sa propre carrière. Beaucoup préfèrent serrer les dents pendant le tournage, car c’est toujours plus difficile de dénoncer des mauvaises conditions de travail en étant précaire. Les gens ont peur d’être blacklistés.
Laura Pertuy. C’est notamment ce qui s’est passé sur le tournage des Amandiers, où des jeunes ont eu peur de ne pas pouvoir continuer dans ce métier s’ils parlaient et ont préféré quitter le tournage. Malheureusement, cette affaire est loin d’être un cas isolé. Elle a simplement eu plus de visibilité médiatique.
2 : Peser sur les institutions et recueillir la parole des professionnels
Margaux Lorier. On se définit comme un action tank : on est en lien avec les instituions pour faire bouger les lignes au niveau des lois, des subventions, etc. On n’agit pas sur les tournages parce que notre objectif est que nos actions remontent jusqu’aux plus hautes sphères et que les instituions appliquent ce qu’on met en place. En fait, on a pas vocation à exister éternellement : on a vocation à être inutiles !
Concrètement, on est en lien avec le CNC, le ministère de l’égalité des chances, le ministère de la Culture, l’Agence Nationale pour la Cohésion Internationale pour la partie publique… Mais aussi Unifrance, les chaînes de télé, en bref, toutes les grandes institutions du cinéma. On est toujours en lien avec eux que ce soit pour bénéficier de leur soutien ou travailler ensemble à faire avancer les choses.
L’autre pan de notre action, c’est qu’on recueille la parole et on oriente les gens vers les institutions adéquates. On fait cette mise en relation quand on nous contacte, souvent quand il y a un problème — on nous contacte rarement quand tout va bien ! (rires)
3 : Le mentorat, pour encourager l’insertion
Margaux Lorier. Parmi nos champs d’action se trouvent notre système de mentorat, accessibles à toutes les personnes souhaitant travaillant dans l’industrie du cinéma, même des personnes jeunes.
On met en lien des nouveaux arrivants dans le milieu du cinéma avec des professionnels plus expérimentés pour les aider à s’insérer. Ces derniers sont pour certains des adhérents au collectif, pour d’autres non, qui décident de s’engager, à différents endroits de leur carrière.
4 : La Bible 50/50, la plateforme inclusive pour les professionnelles du cinéma
Laura Pertuy. On a aussi mis en place un annuaire inclusif en ligne qui s’appelle la Bible 50/50. Il suffit de s’inscrire, chaque inscription est ensuite validée. L’idée est de renouveler les équipes pour ne pas avoir des tournages exclusivement masculins.
Margaux Lorier. En tant que productrice, je m’en suis servie plusieurs fois, c’est très efficace, et les techniciennes que j’ai contactées m’ont dit qu’elles étaient toujours contactées par ce biais !
Clémentine Charlemaine. D’ailleurs, Iris Brey prépare une série et a recruté toute son équipe sur la Bible !
5 : Les adhérents, au cœur de la lutte
Clémentine Charlemaine. Le collectif appartient aux adhérents. Clémentine, Laura, Margaux et les autres membres du conseil d’administration sont mandatées par ces derniers pour mener toutes les actions pendant 2 ans.
Les adhérents participent aussi aux actions : on organise régulièrement des réflexions ou des évènements pour leur demander quels points ils voudraient voir avancer, par quels moyens.
Margaux Lorier. Une chose dont on est assez fières, c’est que notre conseil d’administration est représentatif de divers métiers ; on a une directrice de casting, un distributeur, une réalisatrice, une comédienne, des producteurs, etc… On incarne différents regards qui n’ont pas l’occasion de se croiser à d’autres endroits de l’industrie, alors qu’on a beaucoup d’expériences communes à propos de ces sujets liés aux rapports de domination.
Clémentine Charlemaine. Dans notre lutte quotidienne, nos parcours et nos engagements s’entremêlent : c’est parce qu’on est déjà dans le milieu du cinéma qu’on a notre place au sein du conseil d’administration et qu’on peut s’inspirer de ce qu’on voit, ce qu’on vit pour faire bouger les choses.
6. Même si les choses avancent, continuer à lutter !
Clémentine Charlemaine. En tant que militantes, on observe clairement un bond dans l’industrie. Les choses ont beaucoup évolué en dix ans. Un exemple parmi d’autres : il y a 10 ans, j’ai essayé de développer un documentaire sur Alice Guy, et on m’a répondu que ça n’intéressait personne et que personne ne savait qui c’était. Aujourd’hui, en tout cas, dans l’industrie, tout le monde sait qu’Alice Guy est la première réalisatrice de fiction, alors que son travail a été invisibilisé pendant des décennies.
Je pense que le collectif a été créé à un moment où la société était prête à entendre ces revendications. En revanche, il est difficile de voir que les choses bougent très lentement, et qu’on entend encore des choses comme « C’est bon, on a déjà beaucoup fait, la case est cochée », alors que, non, les choses ne sont pas réglées.
Margaux Lorier. On est aussi confrontées à un effet totem : des personnes, des productions ou des personnes adhèrent ou nous soutiennent pour se dédouaner, en disant « On est avec 50/50, on ne peut pas être sexistes. » C’est comme dire, « Je ne peux pas être sexiste, puisque j’ai une fille ! »
Enfin, il y a d’autres sujets dont on traite aussi et qui ont moins avancé, c’est l’inclusion au sens large, que ce soit les personnes queer, racisées ou encore handicapées. On veut vraiment faire avancer ces choses autant que la parité. On ne peut pas les dissocier des enjeux actuels de discrimination, de parité et de diversité.
Et si le film que vous alliez voir ce soir était une bouse ? Chaque semaine, Kalindi Ramphul vous offre son avis sur LE film à voir (ou pas) dans l’émission Le seul avis qui compte.
Les Commentaires
Il n'y a pas encore de commentaire sur cet article.