Demna Gvasalia a l’habitude de créer l’événement à chacun de ses défilés pour Balenciaga. Mais le directeur artistique de la maison était particulièrement attendu cette année vu le climat socio-politique actuel, puisqu’il est lui-même un réfugié politique géorgien, passé par la Russie et l’Ukraine avant d’arriver à Paris pour chambouler la mode.
Lui qui a fui la guerre en Abkhazie, en Géorgie, en 1993, traversant les montagnes du Caucase, afin de se réfugier notamment à Odessa (actuellement menacée d’occupation par les forces russes) vient de présenter à Paris la collection Balenciaga automne-hiver 2022-2023 par un défilé aussi improbable que poétique. La preuve par 5 détails à retenir.
L’invitation : de vieux iPhones pétés
En guise d’invitation au défilé qui a eu lieu le dimanche 6 mars 2022, Balenciaga a envoyé à ses 525 invités et invitées de vieux iPhones rendus hors d’usage par la casse. Dans le dos de ses smartphones étaient gravés le nom de la griffe, l’heure et l’adresse de la présentation tant attendue.
Le sitting : t-shirts ukrainiens, Kim Kardashian scotchée, et Alexa Demie
Pour mettre dans l’ambiance, des t-shirts ornés du drapeau ukrainien bleu et jaune siégaient sur chaque chaise, accompagnés de la note d’intention de Demna Gvasalia :
« La guerre en Ukraine redéclenche d’anciens traumas que je porte en moi depuis 1993, quand la même chose est arrivée dans mon pays d’origine et que je suis devenu un réfugié pour toujours.
Toujours, car c’est quelque chose qui reste en vous. La peur, le désespoir, la réalisation que personne ne veut de vous. Mais j’ai aussi réalisé ce qui importe dans la vie, les choses les plus importantes, comme la vie même, la compassion et l’amour.
C’est pourquoi travailler sur ce défilé a été incroyablement difficile pour moi. Car en ces temps-ci, la mode perd de sa pertinence et de son droit à exister. La fashion week ressemble à une absurdité.
J’ai hésité à annuler ce défilé sur lequel mon équipe et moi avons si durement travaillé. Puis j’ai réalisé qu’annuler ce défilé reviendrait à abandonner, me rendre au mal qui m’a déjà tant blessé ces 30 dernières années. J’ai décidé que je ne sacrifierai plus des parties moi à la guerre des égos sans coeur et sans sens.
Ce défilé n’a pas besoin d’explications. C’est un hommage à l’intrépidité, à la résistance, et à la victoire de la paix et de l’amour. »
Au premier rang, on pouvait trouver aussi bien Anna Wintour que Isabelle Huppert, Aya Nakamura, ou Alexa Demie (qui joue Maddy dans Euphoria).
Mais c’est la tenue de Kim Kardashian qui a particulièrement retenu l’attention : recouverte de ruban adhésif jaune imprimé Balenciaga en noir. La Momie, but make it fashion (et oui, ça faisait *squick squick* comme bruit quand elle marchait) (et oui, ce scotch sera commercialisé, si vous vous posiez ces questions).
L’intruse : Mrs Doubtfire
Outre Kim Kardashian, une autre invitée a également marqué les esprits : Mrs Doubtfire !
Ce personnage de fiction interprété par Robin Williams en 1993 était en fait réincarné par Alexis Stone, une drag queen britannique spécialiste des transformations plus vraies que nature. Elle a d’ailleurs documenté sa métamorphose sur sa chaîne YouTube.
La mise en scène : un poème et une scéno façon boule à neige
Côté scénographie, un enregistrement de la voix de Demna Gvasalia récitant un poème de Oleksandr Oles, grand homme de lettres ukrainien, a été diffusé en guise de préambule au défilé.
Habitué à présenter des scénographies particulièrement immersives, le designer géorgien a encore une fois mis le paquet. Le défilé s’est tenue dans une rotonde de verre, où était diffusée une sorte de simulation de tempête de neige, comme s’il s’agissait d’une boule à neige géante.
Ce spectacle saisissant apparaissait comme une sorte de discours critique sur l’écocide actuel et le réchauffement climatique ; comme si le créateur se désolait du fait qu’il ne neigera bientôt plus, et que le seul moyen d’avoir l’impression d’y goûter à nouveau sera par artifice technologique, la nature ayant été détruite.
Dans cette mise en scène de tempête de neige apocalyptique, les mannequins avançaient, courbés par des vents contraires, portant souvent de lourds cabas. Difficile, alors, d’y lire uniquement une critique climatique, et pas aussi une métaphore de l’exil qu’a connu Demna Gvasalia lui-même et que bien d’autres réfugiés — dont des Ukrainiens — connaissent aujourd’hui.
Les vêtements : l’exil de luxe
Dans cette scénographie spectaculaire, les mannequins peinaient donc à marcher, encombrés par leurs talons hauts et leurs énormes sacs.
Depuis plusieurs saisons déjà, Demna Gvasalia développe une esthétique pleine de vêtements très couvrants, souvent moulants comme des secondes peaux monochromes, et cette nouvelle collection confirme la règle.
Des sacs à main en forme de sac poubelle ont marqué. Certains modèles portaient simplement des sous-vêtements et des serviette de bain, comme s’ils avaient dû s’enfuir en urgence. Certaines vestes en similicuir étaient, en fait, fabriquées à partir de mycélium (du champignon).
Les deux looks finaux ont enfoncé le clou de l’hommage à l’Ukraine : un ensemble de survêtement jaune, puis une robe bleue avec une longue traîne. Soit deux passages formant ensemble le drapeau de la nation démocratique et indépendante de l’Ukraine.
Cette esthétisation de l’exil dans des vêtements de luxe qui coûtent plusieurs milliers d’euros peut poser question, voire déranger. Mais l’industrie du paraître n’aurait été que plus vivement critiquée si elle s’était contentée de feindre d’ignorer l’agression de l’Ukraine par la Russie.
Alors à sa manière, après avoir trouvé refuge dans la mode, Demna Gvasalia prend ainsi position.
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Crédit photo de Une : Captures d’écran Instagram / Courtesy of Balenciaga.
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