Cette semaine, j’ai assisté à une conférence passionnante intitulée « Quel congé paternité pour une réelle égalité ? » et j’ai eu envie de t’en parler sur le magazine.
Organisée par le programme de recherche et d’enseignement des savoirs sur le genre de Sciences Po (Presage) et le collectif Pour une Parentalité féministe (P.A.F), cette conférence m’a permis d’étayer mes arguments en faveur de l’allongement du congé paternité.
J’écris congé paternité, parce que c’est le terme le plus connu aujourd’hui, mais en réalité, il faudrait plutôt parler de congé pour le deuxième parent pour inclure également la situation des couples de femmes.
11 jours de congé paternité
Aujourd’hui, en France, les salariées qui accouchent peuvent bénéficier d’un congé maternité de 16 semaines (dont 8 obligatoires). Celui-ci est indemnisé par l’Assurance maladie à 100%, dans la limité du plafond de la Sécurité Sociale (mais de nombreuses conventions collectives prévoient l’obligation pour l’employeur de compléter ce montant).
Pour les indépendantes, le congé maternité a récemment été amélioré pour être mieux aligné avec celui des salariées.
Du côté des pères (ou des deuxièmes mères), le congé est beaucoup moins généreux. Ils ont droit à trois jours de congé au moment de la naissance puis à 11 jours de congé paternité consécutifs (week-end inclus) à prendre avant les 4 mois de l’enfant. Là aussi, l’Assurance maladie indemnise le père (selon les mêmes règles que pour les congés maternités, plus de détails sur le calcul ici).
Ce congé paternité, aussi appelé congé d’accueil du jeune enfant, n’est pas obligatoire. Environ 70% des pères le prennent, une proportion qui chute chez les salariés en CDD ou en intérim. Et il n’existe pas d’équivalent pour les indépendants.
Un congé parental longue durée peu indemnisé
À l’issue de ce congé, il existe la possibilité pour les parents qui le souhaitent de prendre un congé parental.
Celui-ci peut être au maximum de 6 mois pour chaque parent, pour le premier enfant, puis de 3 ans à partir du deuxième enfant (avec là aussi six mois à prendre par l’autre parent).
Cette obligation de se répartir le congé parental pour en profiter intégralement existe depuis la réforme de 2014, et avait pour objectif d’encourager les pères à s’arrêter de travailler quelques mois pour s’occuper de leur enfant. Mais cela n’a pas vraiment fonctionné. En effet, moins de 5% des pères bénéficient du congé parental d’éducation.
Pourquoi ? Probablement parce qu’il reste mal indemnisé (environ 400 euros par mois) et que les hommes continuent d’être mieux payés que les femmes. Donc souvent, une stricte logique économique pousse le parent le moins bien rémunéré à prendre le congé parental, autrement dit les mères. (Bon il y a aussi sûrement des explications à chercher du côté de la représentation des pères aux foyers dans notre société).
Les dispositifs existants font de la France « un pays en retard en Europe », selon Emmanuelle Josse, présidente du Collectif PAF. Dans les pays nordiques (Suède, Norvège, Islande, etc) et en Espagne, les pères peuvent en effet déjà bénéficier d’un congé paternité plus long et mieux rémunéré.
Pourtant, l’allongement du congé paternité dans notre pays (et le fait de le rendre obligatoire comme le demande le collectif PAF), aurait plein d’avantages et permettrait de favoriser l’égalité réelle entre les femmes et les hommes.
1 – Allonger le congé paternité pour prendre soin de la santé physique et mentale des mères
« Il y a un enjeu sanitaire à allonger le congé paternité et à le rendre obligatoire », assure Emmanuelle Josse. Après la naissance, la plupart des mères ont besoin de plusieurs semaines pour se remettre de la fatigue causée par la grossesse et l’accouchement, a fortiori si celui-ci a donné lieu à une césarienne.
Or, gérer un nourrisson de quelques jours ou quelques semaines seule est tout sauf reposant. Et dans le cas d’une césarienne, il est conseillé de ne pas porter de charges lourdes pendant plusieurs semaines (vraiment très pratique pour prendre soin d’un bébé de 3 kilos).
Enfin, la présidente du collectif souligne le risque d’effondrement psychique après un accouchement (baby-blues, dépression post-partum…). La présence du père (ou de la conjointe) pourrait permettre de mieux les détecter et prendre en charge avant d’aboutir à des situations dramatiques.
2 – Allonger le congé paternité pour mieux répartir le travail parental
L’autre argument avancé pendant la conférence, et par pas mal de féministes, c’est que l’allongement du congé paternité permettrait de mieux répartir la charge mentale et les tâches liées aux enfants entre les parents.
Savoir s’occuper d’un tout petit n’est pas inné : ça s’apprend, en emmagasinant des connaissances et en les mettant en pratique. Si un décalage se crée dès les premières semaines entre les mères vues comme les « sachantes » (puisqu’elles ont appris sur le tas) et les pères, celui-ci sera difficile à rattraper au fil du temps.
L’inégale répartition des tâches ménagères au sein des couples hétéros est une réalité attestée par les
études statistiques de l’Insee. Si on ne prend en compte que le périmètre restreint (cuisine, vaisselle, ménage, linge, soin aux enfants), les femmes en couple sans enfant consacrent 23 heures par semaine aux tâches ménagères contre 9 heures par semaine pour les hommes en couple sans enfant.
Et l’arrivée des enfants ne semble faire que creuser l’écart en termes de tâches ménagères. Les mères y consacrent 28 heures par semaine (donc +5 heures) contre 10 heures pour les pères (+ 1 heure).
3 – Allonger le congé paternité pour alléger la charge mentale des mères
Et on ne parle là même pas de la charge mentale qui consiste à organiser et planifier ces tâches ménagères et tous les soins aux enfants (rendez-vous chez le dentiste, goûter, inscriptions à la garderie, et j’en passe).
Pendant la conférence, la question de la temporalité dans laquelle prendre le congé paternité a été abordée. Pour favoriser une meilleure répartition des tâches entre les parents, faut-il que ce dernier ait lieu en même temps que le congé maternité, ou de manière désynchronisée pour que le père soit seul à prendre en charge l’enfant (et n’ait donc pas le choix que de se débrouiller) ?
Si les deux parents sont arrêtés en même temps sur une longue période, il y a le risque que le père continue de se tourner systématiquement vers la mère (ou que celle-ci accomplisse toutes les tâches), puisque nous vivons encore dans une société où il y une construction sociale genrée qui considère que les enfants, c’est plutôt un truc de femmes.
4 – Allonger le congé paternité pour permettre aux pères de créer du lien avec leurs enfants
Cette construction sociale genrée entretient également l’idée qu’il y aurait un lien mère/enfant plus fort que le lien père/enfant. Alors, certes, les mères biologiques portent leur enfant pendant neuf mois dans leur utérus, mais je ne pense pas que cela suffise à donner une avance significative aux mères.
En tout cas, je suis persuadée qu’un lien avec un enfant (ou avec n’importe quel être vivant), cela s’entretient. Plus les pères passeront du temps à prendre soin de leurs enfants, à essayer de les comprendre, de les écouter, de les aider, à jouer avec eux, à apprendre à les connaître et à les aimer, plus le lien se renforcera.
Alors quelques semaines ou quelques mois pour démarrer cette relation incroyable sur des bonnes bases, ça n’est vraiment pas du luxe.
5 – Allonger le congé paternité pour lutter contre les inégalités professionnelles
Enfin, le dernier argument en faveur de l’allongement du congé paternité est à chercher du côté de l’égalité professionnelle, et il concerne toutes les femmes, même celles qui ne veulent pas avoir d’enfant.
En effet, il existe encore aujourd’hui en France (et dans la majeure partie des pays du monde) une « division sexuée du travail qui instaure un effet de réputation sur l’ensemble des femmes », avance Hélène Périvier, économiste à l’OFCE et à Sciences Po.
Si les femmes continuent d’assumer la majorité du travail parental, les entreprises persisteront à considérer toutes les femmes comme « à risque » : d’être moins investies, de devoir être remplacées pendant un congé maternité ou parental, d’être plus souvent absentes, etc.
Si un vrai congé paternité est mis en place et que les pères s’impliquent à 50/50 dans les tâches domestiques, il y aura un risque paternité identique qui va apparaître pour les employeurs, et donc à terme moins de discrimination envers les femmes sur le marché du travail.
Cela se ressentira à l’embauche bien sûr, mais aussi au niveau des inégalités salariales (si les pères s’absentent plusieurs mois, ils rateront eux aussi des augmentations) et du plafond de verre. Les hommes comme les femmes seront susceptibles de devoir refuser les réunions tardives, les déplacements à tout bout de champ ou les charrettes pour finir un dossier le week-end afin de pouvoir prendre soin de leur famille.
Et ce meilleur équilibre vie pro/vie perso bénéficiera à tous et toutes, pas uniquement aux parents. (Oui, laissez-moi rêver).
Combien coûterait l’allongement du congé paternité ?
Selon une étude de la DREES (Direction de la recherche, des Études, de l’Évaluation et des Statistiques) datant de 2018, 63% des 18-24 ans et 60% des 25-34 ans souhaitent un allongement du congé paternité. Mais pour l’instant, cette réforme ne semble pas être à l’agenda du gouvernement.
Pire encore, Emmanuel Macron a refusé en début d’année de soutenir une directive européenne ambitieuse qui proposait d’offrir 4 mois de congé par parent bien indemnisés, suite à la naissance d’un enfant. Officiellement, pour des raisons budgétaires.
Pendant la conférence, la question du coût représenté par un allongement significatif (de quelques mois) du congé paternité a été évoqué. Hélène Périvier a avancé le chiffre de 2 à 3 milliards d’euros par an.
Une somme conséquente surtout avec un gouvernement qui semble vouloir limiter voire diminuer la dépense publique. Pour dégager de l’argent afin de financer cette réforme, l’économiste suggère de remettre complètement à plat notre système fiscal, où les couples avec une grosse différence de revenus sont aujourd’hui très avantagés.
Ce modèle issu des années 60, basé sur Monsieur travaille, Madame s’occupe des enfants, (et un couple marié ou pacsé) n’est plus en phase avec les évolutions de la société.
Hélène Périvier précise toutefois qu’il faudra être très prudent en élaborant cette réforme, étant donné la complexité de notre modèle social, avec de nombreux effets de bord dès que l’on touche à quelque chose. L’objectif étant bien sûr de ne pas pénaliser les familles les plus modestes.
- Tu peux aller te renseigner sur le collectif P.A.F et notamment sur leur campagne « Pour un vrai congé pat ».
- Tu peux aller lire l’étude de la DREES sur l’opinion des Français à propos du congé paternité et maternité.
- Enfin, n’hésite pas à suivre le travail de recherche passionnant mené par PRESAGE à Sciences Po.
Et toi, quel est ton avis ou ton expérience à propos du congé paternité ? J’ai hâte de te lire dans les commentaires !
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