« Maman, Papa, grande nouvelle : je vais publier mon premier livre ! »
Voilà une phrase que je n’étais pas certaine de prononcer dans ma vie. Et pourtant, ces mots sont bel et bien sortis de ma bouche en juillet 2020, lorsque j’ai appris à mes parents que je m’apprêtais à écrire Ils vécurent heureux : Guide de survie d’une féministe en couple hétéro, paru ce 29 avril 2021 aux éditions Hugo & Cie !
Comme chaque nouvelle expérience, cette première écriture de livre papier a été riche en enseignements. Faisons-en donc le tour !
1. Je peux écrire de longs textes (même si le Web m’a formatée)
J’aimerais pouvoir m’appuyer sur mon vécu pour conseiller les autrices et auteurs qui lisent cet article et rêvent de signer un contrat d’édition, mais ce serait malhonnête : mon parcours n’a pas été tout à fait « normal », puisque j’ai d’abord été contactée en qualité de rédactrice en chef de Madmoizelle avant de décider, avec mon éditrice Alice Serverin, d’écrire plutôt ce livre en mon nom propre.
Par contre, ce que je peux faire, c’est vous parler du processus d’écriture — qui est le même, au final, bien que j’ai la chance d’écrire très régulièrement dans le cadre de mon travail. Enfin… la chance, ou la malchance : travailler pour le Web, ce n’est pas comme bosser sur un livre.
Il paraît qu’en deux décennies, notre temps d’attention moyen est passé de 12 à 8 secondes (selon une étude de Samsung relayée par 20 minutes en janvier 2021). Je veux bien le croire, puisque j’ai constaté, en travaillant, chez Madmoizelle que les gens passent 20 à 30 secondes en moyenne sur un article ! Ce qui est loin d’être assez long pour lire en détail : j’ai donc appris à écrire de façon brève, percutante, à aérer mes paragraphes, à mettre en gras les infos importantes, à choisir soigneusement mes intertitres… autant de réflexes qui ne rendent pas service lorsqu’on a un livre à écrire, et donc un nombre minimum de signes à respecter, dûment stipulé sur le contrat.
J’ai été transparente avec mon éditrice : « Mon plus gros challenge va être de faire assez de signes sans que ça ne devienne du remplissage ». Et en effet, ma première « version définitive » (pas très définitive, donc) faisait… 70 000 signes de moins que le chiffre prévu ! Petite goutte de sueur, je ne vais pas vous mentir.
C’est là où il devient essentiel d’être bien entourée en tant qu’autrice : mon éditrice mais aussi mes proches ont pu m’aider à enrichir le texte sans perdre en qualité. Ajouter des anecdotes personnelles, des références à la pop culture (eh oui, ce livre parle de How I Met Your Mother), développer des sujets un peu trop effleurés… autant de techniques qui m’ont sauvée !
On sait qu’un film, qu’une série, qu’un jeu vidéo, qu’un morceau de musique est dans la majorité des cas une œuvre collective, mais j’avais cette idée de la littérature comme un art individuel, secret. J’ai été ravie de constater que dans l’édition aussi, l’union a fait la force : demander de l’aide m’a été salvateur !
Je me suis donc prouvé que je suis capable de « déformater » ma plume, ou plutôt de la faire évoluer pour l’adapter à un autre type de support. Et je ne sais pas pour vous, mais moi, ça me rassure de constater que j’ai encore de la marge de progression devant moi.
De façon plus personnelle, j’ai aussi dépassé l’un de mes blocages en acceptant d’admettre que j’aurai besoin d’un coup de main et en le verbalisant — une note de vulnérabilité avec laquelle je ne suis pas toujours à l’aise… Mais c’est ça aussi, grandir : accepter qu’il n’y a aucune honte à demander de l’aide.
2. Je peux tenir une deadline (même si je procrastine à mort)
J’avoue tout : je n’avais pas un, mais deux « plus gros challenges » — que j’ai balancés direct à mon éditrice, histoire qu’elle sache où elle mettait les pieds.
Procrastinatrice, glandeuse, dilettante, branleuse, appelez-ça comme vous voulez, vous voyez l’idée : je suis du genre à tout repousser et à accomplir mes tâches en dernière minute. Ça passe toujours, mais ça passe tout juste… et ça, ça fonctionne quand on écrit un article sur son propre livre à rendre dans 40 minutes (oups), ça devient beaucoup plus compliqué quand on parle d’édition papier.
Les délais ne sont pas les mêmes que sur le Web, la temporalité non plus : un léger retard de rendu peut générer un gros décalage au niveau de la sortie du livre ! Sans parler du fait qu’il faut bien que je l’écrive, ce foutu bouquin, et que je vais difficilement pouvoir l’improviser à 2 heures de la deadline (méthode qui m’a pourtant permis de traverser toutes mes années d’université).
Si vous écoutez Laisse-Moi Kiffer alias LMK, le podcast « bande de potes » de Madmoizelle, vous savez que j’ai investi dès la rentrée dans un planner
; j’y ai scrupuleusement rétroplanifié mes sessions d’écriture, en calculant que pour X signes par page sur mon document de travail, j’aurai besoin d’écrire Y pages pendant Z samedi aprèm pour rentrer dans le temps, en ne m’astreignant qu’à une ou deux heures d’écriture.
C’était tellement bien organisé ! Et j’ai tellement abandonné au bout de 3 jours !
Eh oui, désolée : on ne fait pas boire un âne qui n’a pas soif, et même la plus dilettante des autrices peut se révéler une vraie tête de mule. Je n’ai pas réussi à changer mes méthodes de travail pour mieux m’organiser.
Par contre, j’ai réussi à tenir ma deadline. Car c’était ça, finalement, l’objectif : peu importe que j’écrive 2 heures par jour sur 15 samedis ou que j’écrive pendant 8 heures d’un coup une fois par mois, le but c’est « juste » de rendre à temps un contenu de qualité !
Constatant l’échec de ma savante préparation, j’ai compris qu’il ne sert à rien d’aller contre ma nature. Si je suis plus efficace en écrivant dans l’urgence, qu’il en soit ainsi. J’ai glandé la moitié de l’automne, j’ai davantage écrit sur les 15 derniers jours que pendant les 8 mois précédents, mais vous savez quoi ? Tant que la deadline est respectée, eh bien on s’en fout !
(P.S. : oui, « le jour de la deadline à 21h », ça compte comme « respectée »… en tout cas selon ma très chère éditrice !)
https://player.twitch.tv/?video=1005289967&parent=www.madmoizelle.com
Je parle de mon « processus » d’écriture dans LMK, à 1h19 environ
3. Je ne sais pas lire un contrat (mais ce n’est pas grave)
Je suis une fervente militante en faveur des « cours de vie d’adulte » à l’école : j’aurais clairement eu besoin qu’on m’enseigne comment coudre un bouton, comment ne pas rater des œufs brouillés, mais aussi et surtout comment on gère ses papiers, sa comptabilité, et comment on lit un contrat.
Je ne dis pas que ma maison d’édition a essayé de me la faire à l’envers, attention ; je dis juste que comme toute personne n’ayant pas spécialement étudié le droit ou les ressources humaines, je ne comprends que 10% des termes techniques et formules ampoulées qu’on s’échine à employer dans les papiers importants.
Heureusement, je n’étais pas seule au moment de signer, puisque… j’ai pris une agente. Oui, oui, comme dans Dix pour cent ! Mélanie Jean me représente, et peut m’accompagner sur de très nombreux aspects de mon « nouveau » métier d’autrice, notamment en déchiffrant toutes ces petites lignes qui ne veulent rien dire à mes yeux de pauvre mortelle.
Le métier d’agent littéraire est peu connu en France et gagnerait à l’être davantage : il peut représenter une réelle protection pour des écrivains et écrivaines souvent précaires, comme l’explique très clairement Samantha Bailly dans la vidéo ci-dessous. Cette romancière est bien placée pour connaître le sujet, puisqu’elle fut également présidente de la Ligue des auteurs professionnels, un syndicat visant à défendre les auteurs et autrices, trop souvent précaires et placés dans un rapport de force déséquilibré avec les maisons d’édition.
Si vous voulez vous lancer dans la belle aventure de l’édition, je ne peux que vous conseiller de vous entourer d’un ou une agent qui saura vous épauler et défendre vos intérêts, ou tout simplement vous aider à comprendre ce qu’on vous propose comme offre.
4. Je ne suis pas la seule à galérer pour allier féminisme et couple hétéro
Eh oui, on a parlé écriture et contrat, mais au final, il faut bien s’intéresser à ce qu’il raconte, ce fameux livre !
Que ce soit Nadia Daam chez France Inter, Thomas Sotto sur RTL (je les place l’air de rien, vous m’excuserez), des lectrices et lecteurs dans mes DM ou même ma mère autour d’un barbecue, beaucoup m’ont demandé : « Mais pourquoi donc faire un guide de survie pour féministes en couple hétéro ? ».
Eh bien parce que je ne suis pas la seule à me rendre compte que concilier convictions politiques et vie intime, ce n’est pas toujours chose aisée. Parce que l’amour ne suffit pas à garantir l’égalité. Parce qu’on est trop nombreuses à défendre des valeurs féministes toute la sainte journée… pour nous rendre compte, le soir venu, qu’il faut encore faire les courses parce que notre mec a oublié. C’est un peu caricatural, mais pour beaucoup de femmes, c’est une réalité !
« Le privé est politique », martèlent les militantes depuis des décennies ; le patriarcat ne s’arrête pas à la porte de nos cœurs ni à celles de nos foyers. Et comme le lesbianisme politique n’est pas quelque chose qui peut convenir à toutes les femmes féministes et hétérosexuelles, ou bisexuelles d’ailleurs, il faut en parler : parler d’amour, oui, de communication, évidemment, et d’égalité, surtout.
Alors j’espère que ce livre vous sera utile, qu’il vous aidera, vous fera sourire, peut-être même rire, et puis surtout, si vous avez un mec, j’espère qu’il va le lire aussi : ça vous évitera pas mal de pédagogie !
À lire aussi : Je suis féministe, pourtant j’ai besoin des hommes (et autres paradoxes)
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