Aphrodite, Eve, Calypso, Sephora… Les figures féminines religieuses et mythologiques ne manquent pas, mais ne sont pas toujours dépeintes de la meilleure manière.
Unidimensionnelles, incarnant au mieux une aide précieuse pour les hommes, au pire un obstacle dans leur mission, on ne les loue jamais comme les mâles de leur entourage. Par exemple, on garde d’Ulysse l’image d’un héros, alors que Calypso est la dépendante affective qui l’empêche de rentrer chez lui. Si telle est l’image des héroïnes les plus connues, alors imaginez ce qu’on pense des figures de l’ombre !
Heureusement, certains auteurs et autrices ont décidé de redessiner le regard qu’on porte sur ces figures féminines mythiques. Voici une mini sélection de romans qui vous feront voir des figures féminines peu connues sous un jour nouveau !
Tsippora de Marek Halter, sur l’épouse déterminée de Moïse
Figure emblématique des trois religions monothéistes, le prophète Moïse est connu de par le monde. Mais qu’en est-il de son épouse, Tsippora ?
Si ce nom ne vous dit rien, c’est normal : c’est une des actrices oubliées de la Bible. Mais le roman Tsippora de Marek Halter la remet au goût du jour ! De manière très romancée, il raconte la vie de cette femme qui a croisé la route de Moïse et qui, depuis ce jour, n’a jamais cessé de marcher à ses côtés.
On ne va pas vous mentir, ce roman fait parfois la part belle aux stéréotypes : oui, Tsippora est celle qui aide Moïse à accomplir son destin, oui leur histoire d’amour peut parfois être un peu niaise, oui la fin tragique du roman fait encore des femmes noires des êtres qui ne peuvent pas être complètement heureux… Mais Tsippora est aussi décrite dans cet ouvrage comme un personnage complexe, au caractère bien trempé et à l’histoire personnelle intéressante !
Loin d’être passive, c’est elle qui tient les rênes de son couple : à l’écoute de ses désirs et besoins, elle vit sa sexualité comme elle l’entend, c’est elle qui décide des conditions de son mariage et elle n’hésite pas à dire non à son époux ou à le remettre à sa place. En ce qui concerne ses valeurs, la défense des plus faibles lui tient à cœur, d’où le fait qu’elle pousse Moïse à délivrer son peuple de Pharaon.
Bref, dans son livre, Marek Halter a fait de Tsippora une personne à part entière, et non juste un personnage tertiaire des livres sacrés.
Ce livre est d’ailleurs le deuxième tome de la série La Bible au féminin de l’auteur. Si cette petite description vous a mis l’eau à la bouche, sachez que Marek Halter peut vous emmener à la rencontre de Sarah, l’épouse d’Abraham et Lilah, celle qui s’est opposée au fanatisme religieux de son frère.
Tsippora de Marek Halter est disponible à la Fnac pour 7,50€ et chez Place des libraires pour 7,40€.
Circé de Madeline Miller, sur la déesse qui n’en était pas vraiment une
À cause de L’Odyssée, on garde de Circé l’image d’une magicienne aussi mystérieuse que malicieuse dont Ulysse s’est entiché lors de son périple après la guerre de Troie. Mais Madeline Miller, dans Circé, en fait bien plus que ça.
Rejetée par ses pairs depuis sa naissance, Circé se retrouve exilée sur une île après avoir commis ce que Zeus considère comme un affront. Ce dont le roi des dieux grecs ne se doutait pas, c’est que cet exil était en vérité une bénédiction pour la déesse. Seule, elle a appris à se construire sans être sans cesse rabaissée par son entourage. Travaillant son art, la magie, elle a acquis une puissance inégalée.
Si vous êtes fan de mythologie grecque, vous savez probablement qu’un des talents de Circé réside dans la métamorphose — les hommes changés en cochons, ça vous dit quelque chose ?
Lorsqu’on étudie le texte d’Homère, on pense que la magicienne transforme les marins qui accostent sur son île en porcs pour son plaisir. Or, Madeline Miller explique qu’elle a pris cette habitude pour se protéger des tentatives de viol à répétition.
Ah oui, tout de suite, ça a plus de sens… #BalanceTonPorc n’a jamais été aussi littéral.
Heureusement, Circé a aussi fait la rencontre d’hommes qui l’ont charmée : Dédale, Ulysse, et Télémaque, notamment. Et ces histoires d’amour sont palpitantes ! Loin des clichés mièvres, leur réalisme arrivera à séduire les moins romantiques d’entre nous. Surtout qu’aimer des mortels lorsqu’on est une déesse, c’est compliqué, car contrairement aux humains, les divinités ne meurent pas…
Dans ce livre, on rencontre donc une déesse obstinée, à la sensibilité étrangère aux dieux, qui se fout des lois des immortels. Finalement, on s’attache à Circé parce qu’elle ne fait pas si déesse que ça : elle rappelle notre humanité plus qu’autre chose.
Circé de Madeline Miller est disponible chez Place des libraires et à la Fnac pour 8,50€.
La Tente rouge d’Anita Diamant, l’histoire de Dina à la sauce féministe
Les livres que j’ai lus plusieurs fois se comptent sur les doigts d’une main. Mais La Tente rouge en fait partie.
Peut-être avez-vous déjà entendu parler du viol de Dinah, histoire tragique contée dans la Bible. Dans les Saintes Écritures, la fille de Jacob est enlevée par un prince qui la viole puis qui tombe amoureux d’elle (déjà… bon). Ce dernier demande alors sa main aux frères de la jeune femme — lesquels, plus outrés par le supposé « déshonneur » de leur sœur que par le viol dont elle a été victime, finissent par tuer tous les hommes de la ville. Charmant, n’est-ce pas ?
Comme vous le voyez, dans ce récit, Dinah n’a jamais son mot à dire. Elle est complètement passive, on ne parle d’elle qu’à travers les hommes de son entourage (et quels hommes…). Ça aurait pu être une autre femme, l’histoire aurait été la même.
Dans La Tente rouge, c’est tout le contraire. Premièrement, dans ce roman, tous les personnages féminins sont bien construits, complexes et uniques. Oui parce que la Dina (sans « h », cette fois) d’Anita Diamant ne serait pas qui elle est sans les femmes qui l’entourent ! On en apprend donc sur tout le monde, notamment ses tantes (et les informations sont si abondantes qu’on a parfois du mal à suivre). D’où le titre du roman : la tente rouge est ce qu’on appellerait aujourd’hui un safe space en non-mixité. C’est le lieu où les femmes de la famille se retrouvent lorsqu’elles ont leurs règles, afin de prendre soin d’elles et de mener à bien leurs rituels ancestraux.
Deuxièmement, l’héroïne est ici une fille puis une femme libre et indépendante. Contrairement au récit biblique, Dina n’est pas spectatrice de sa vie. Ce qui enrage ses frères. Même après avoir connu l’horreur, par leur faute, elle parvient à défier les lourdes lois de sa famille et à se reconstruire en faisant ses propres choix. Ce n’est pas non plus une illustration de la femme forte qui réussit tout grâce à sa seule volonté : elle a aussi ses faiblesses, ses doutes, ses regrets, ses échecs, mais ils ne la détruisent pas.
Petite parenthèse pour vous faire courir en librairie encore plus vite : ce roman est d’une sensualité impressionnante. Dans tous les sens du terme. Oui, les scènes de sexe font transpirer (on sait que c’est ce que vous vouliez savoir), mais pas que. Le livre fait appel à tous nos sens : on respire avec Dina la peau de Rachel, sa tante qui sent l’eau, on a du mal à avaler les gâteaux secs et insipides de sa grand-mère et on s’émerveille devant la brillance des fleurs d’Égypte.
La Tente Rouge d’Anita Diamant est disponible à la Fnac et à Place des libraires pour 8,90€.
Voilà ! On pense qu’avec cette mini sélection, les amoureuses de l’histoire, de la mythologie et de la religion devraient avoir de quoi faire. Et pour les autres, on recommande de se mettre à la lecture de romans sur des héroïnes mythiques. Vraiment, ça fait du bien de savoir que les femmes ont pu avoir une place importante dans les mythes fondateurs aussi. D’autant plus que ces ouvrages — les bons, en tout cas — s’éloignent du côté extraordinaire et inaccessible des événements et des personnages pour ramener un peu de réalisme.
Encore une manière de montrer que le féminisme (ou du moins, le female gaze) permet de se réapproprier différents discours, et de les rendre plus intéressants.
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