Vous vous souvenez de l’effondrement du Rana Plaza, à Dacca, capitale du Bangladesh, le 24 avril 2013 ? Plus de 1.000 ouvriers et ouvrières textile y ont péri.
Beaucoup d’acteurs de la mode avaient alors promis de faire des efforts niveau sécurité et transparence. Eh bien, le problème persiste. Il est juste encore mieux enrobé, dispersé et donc plus difficile à débusquer. En témoignent les 28 personnes, dont 19 femmes, décédées le 8 février 2021 dans d’autres ateliers de misère à Tanger.
Des ouvrières enfermées au sous-sol pour la confection de fast-fashion
Dans cette ville portuaire marocaine, point stratégique entre l’Europe et l’Afrique où pullulent les caves de confection textile plus ou moins clandestines, ce genre de drame ne surprend plus, comme l’explique un long reportage du Monde paru le 1er mars 2021.
La correspondante Ghalia Kadiri y suit des femmes qui vont dans des bâtiments où les hommes bossent au rez-de-chaussée tandis qu’elles descendent dans les hofra (« fosses », en arabe), où elles confectionnent des vêtements pour des marques de fast-fashion — des pièces au sous-sol, sans fenêtre ni issue de secours. Une ouvrière raconte même au grand quotidien national :
« La plupart du temps, le chef de salle nous enferme à clé. »
Ces conditions de travail affolantes concernent des milliers d’ouvriers et ouvrières, dont une majorité de femmes
. Pour 180 à 230€ par mois (moins que le salaire minimum marocain de 250€), elles travaillent généralement neuf heures par jour, cinq jours sur sept.
Immatriculées au registre du commerce, ces sociétés en plein centre-ville ne déclarent qu’une infime partie de leurs salariées… Et soudoient les autorités pour qu’elles ferment les yeux sur le fait qu’elles ne sont pas aux normes de sécurité.
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Des usines conformes qui sous-traitent en douce à des ateliers de misère
Le problème quand on veut se repérer côté consommatrices, c’est que les clients de ces entreprises ne sont pas directement les marques que l’on connaît bien comme Zara ou Bershka, mais des usines qui sous-traitent une partie de leurs commandes. Bardées de labels et de certifications éco-responsables, elles correspondent parfaitement aux normes attendues par les grands groupes de fast-fashion qui viennent y réaliser régulièrement des contrôles de RSE (Responsabilité Sociétale des Entreprises).
Autrement dit, les marques font bien des audits pour constater que les usines sont bien réglementées… sauf que tout n’est pas produit sur place.
Abdellah El Fergui, président de la Confédération marocaine des très petites et des petites et moyennes entreprises, dénonce ainsi auprès du Monde :
« Les caves ne sont que le maillon faible d’un système tenu par le lobby des patrons d’usines marocaines. Ce sont eux qui encouragent les ouvriers à créer des ateliers souterrains ! »
Les femmes racisées en première ligne des victimes de l’industrie textile
Ces patrons feraient cela pour rester compétitif aux yeux des marques de plus en plus séduites par l’idée de produire pour peu cher en Turquie ou en Éthiopie. Et les pouvoirs publics fermeraient les yeux pour éviter d’avoir des milliers de personnes au chômage, dans ce pays où le textile représente le ¼ des emplois industriels…
Catherine Dauriac, coordinatrice nationale de l’association Fashion Revolution France pour une mode plus transparente et éthique, remet les choses en perspective pour Madmoizelle :
« Je ne suis pas du tout surprise par ce nouveau drame. Il ne s’agit jamais de faits divers isolés mais bien d’un problème structurel de la mode : la façon dont on fait de l’argent sur le dos des travailleurs, et surtout des travailleuses, a fortiori racisées. Car le colonialisme ne s’est pas arrêté à la fin des colonies, comme en attestent ces relations entre pays du Nord qui passent commande et pays du Sud exploités. »
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Pour la responsable France de cette organisation internationale née suite à l’effondrement du Rana Plaza, le fait qu’il s’agisse d’une industrie majoritairement féminine joue également sur la sous-considération de ces problèmes pourtant majeurs :
« 80% des ouvriers et ouvrières textile dans le monde sont des femmes, donc c’est aussi une question de droits des femmes qui ne sont pas respectés. Au Maroc, en l’occurrence, beaucoup de ces femmes sont payées rien que la moitié du salaire minimum du pays. Le patriarcat et le capitalisme fonctionnent main dans la main pour faire en sorte qu’une certaine partie de la population soit exploitée. »
« Le boycott n’est pas une solution »
Mais fuir les étiquettes « Made in Bangladesh » ou « Made in Morocco » n’est pas non plus la meilleure réponse en tant que consommateurs à ce genre de drames… L’éco-féministe et experte en mode éthique nous explique ainsi :
« Le boycott n’est pas une solution, surtout pour certains pays où l’industrie textile représente une part importante du PIB : ça pourrait jeter ces millions de personnes dans une précarité encore plus grande.
En revanche, on peut interpeller directement les marques, notamment sur les réseaux sociaux, en leur demandant “Qui a fait mes vêtements ?” Pour que cela ait encore plus d’impact, la Fashion Revolution Week se tient cette année du 19 au 25 avril afin de créer un mouvement mondial d’appel à la responsabilisation des marques et des consommateurs sur les réseaux. »
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Réparer ses vêtements pour réparer l’industrie de la mode
Plutôt que de culpabiliser, on peut également s’interroger sur sa façon de consommer et traiter ses fringues afin de retrouver en bon sens. En France, où l’on jette 600.000 tonnes de vêtements par an, penser à garder ses habits plus longtemps et les réparer peut sembler dérisoire mais peut quand même faire une différence, selon Catherine Dauriac :
« D’abord trier son placard, regarder ce qu’on a vraiment, parce qu’on ne porte qu’un tiers de son vestiaire. Puis comprendre pourquoi on ne porte pas ce qu’on possède : parfois il suffit de recoudre un bouton, de faire un ourlet, d’accessoiriser différemment pour redonner vie à une pièce délaissée. Et si on a encore envie d’acheter, on peut penser à la seconde main ! »
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Écoutez l’Apéro des Daronnes, l’émission de Madmoizelle qui veut faire tomber les tabous autour de la parentalité.
Les Commentaires
Pour ce qui est de la Turquie et de la Chine, le problème est différent puisque ce sont des pays dirigés par des gouvernements autoritaires qui ont pour volonté d'instaurer une dépendance des pays occidentaux vis-à-vis de leur industrie, avec derrière des problématiques idéologiques et géopolitiques complexes.
La Chine d'abord. Je rappelle au passage qu'elle est entourée d'anciens territoires colonisés, ce qui à mon avis a pu perpétré cette condescendance que l'on a vis-à-vis des "petits chinois" qui fabriquent nos smartphones. Mais surtout, la Chine est à l'heure actuelle toujours dirigée par un gouvernement communiste (même si ça semble contradictoire vu l'ultra-capitalisation qu'on y observe, mais enfin), ce qui signifie que leur industrie fait toujours l'objet d'une planification. L'objectif de leur gouvernement, c'est de devenir la première puissance économique du monde, et il est prêt à tout pour y parvenir, quitte à tuer à la tâche sa main d’œuvre. Ils ont même un slogan pour ça qui dit "Chine, 2022" parce qu'en 2022, la Chine devrait être première puissance économique du monde.
Pour la Turquie, le pays a déjà été le théâtre dans le passé une exploitation des populations les plus vulnérables (c'est même allé jusqu'au génocide). Je vois l'abaissement des normes comme répondant de la même logique que l'objectif chinois, à savoir instaurer une situation de dépendance des pays cette fois-ci européens vis-à-vis de l'industrie turque. Il y a peu que l'on voit arriver aussi massivement des produits manufacturés en Turquie et je pense que ce n'est pas étranger au fait qu'Erdogan aspire à faire de son pays une puissance qui supplante l'Europe qui passe son temps à lui faire la morale. En gros, pour moi, derrière l'aspect purement économique, il y a un enjeu idéologique assez inquiétant, Erdogan se positionnant de plus en plus comme le leader des puissances islamiques.