Il est des anniversaires que l’on ne préférerait pas noter. Il y a un an, les États-Unis plongeaient dans un cauchemar, après le vote de la Cour suprême pour abroger un arrêt mythique, Roe vs. Wade, qui assurait depuis 1973 à toutes les femmes la possibilité de recourir à l’avortement.
Outre-Atlantique, cette décision a provoqué un retentissement énorme, poussant plusieurs pays, dont la France, à se questionner sur la façon la plus efficace de se prémunir de telles attaques, alors que des gouvernements de plus en plus autoritaires fleurissent partout en Europe.
La sénatrice Mélanie Vogel (Europe Écologie-Les Verts) a été l’une des premières à s’emparer de la question et à vouloir faire voter la constitutionnalisation du droit à l’IVG. Sa proposition de loi, d’abord rejeté en octobre, avait été suivie d’une autre, portée cette fois-ci par des députés à l’Assemblée nationale. Après un aller-retour par le Sénat, le texte avait été adopté, mais depuis, plus rien, si ce n’est une promesse sans calendrier d’Emmanuel Macron de mener un projet de loi gouvernemental à bien, le 8 mars dernier.
Un an après, l’inertie semble régner et les actions des anti-choix en France redoublent. On fait le point, avec Mélanie Vogel.
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Interview de la sénatrice écologiste Mélanie Vogel
Madmoizelle. Le 24 juin marquait l’anniversaire des un an de l’abrogation de Roe vs. Wade aux États-Unis. En France, la question de la constitutionnalisation de l’IVG semble être à l’arrêt. Quel est votre regard sur la situation actuelle ?
Mélanie Vogel. Globalement, tout ce que l’on a raconté sur l’importance de constitutionnaliser le droit à l’IVG, et pourquoi son accès recule en France et en Europe, s’est confirmé. Rien que ces derniers mois, on a vu les attaques se multiplier, envers le Planning familial, mais aussi de la part de collectifs organisés dont les protagonistes sont ouvertement anti-IVG, comme Les Survivants, qui ont collé des stickers sur des Vélib’s à Paris ou Lyon.
Tout ce que nous avions décrit il y a un an, pour montrer pourquoi il était essentiel d’introduire le droit à l’IVG dans la Constitution, est donc en train de se produire. Par ailleurs, d’autres signaux devraient continuer de nous alerter, comme les situations politiques de pays comme l’Italie, la Finlande, la Pologne ou la Suède. Cela commence à faire beaucoup de gouvernements qui sont ou pourraient être dirigés par des coalitions qui ont pour projet d’attaquer le droit à l’IVG.
Cette situation que vous décrivez devrait nous alerter. Et pourtant, on a le sentiment que, mis à part les associations féministes, les militants et certains politiques, plus personne ne s’intéresse vraiment au sujet…
Je n’en suis pas certaine. En réalité, nous avons fait un pari, celui de partir du principe que le gouvernement déposerait un projet de loi. Maintenant que nous avons eu un vote à l’Assemblée nationale et au Sénat, il apparaît que la manière la plus intelligente, responsable et constructive de procéder est effectivement d’avoir un projet de loi émanent du gouvernement, qui permettrait d’être plus substantiel que ce que les deux chambres ont écrit, cela permettrait aux ministères de réfléchir à la meilleure formulation possible pour mettre tout le monde d’accord et nous protéger des régressions. En fait, la seule raison pour laquelle tout s’est arrêté, c’est parce que parlementaires, associations féministes et militant·es attendent que le gouvernement fasse quelque chose. Mais je dois avouer que l’on commence sérieusement à s’impatienter… particulièrement depuis qu’Emmanuel Macron s’est engagé sur la mémoire de Gisèle Halimi, le 8 mars dernier, à mener ce projet à bien.
Lors de son annonce le 8 mars dernier, le président de la République n’a fixé aucun calendrier. Comment entendez-vous réactiver le sujet s’il ne tient pas cette promesse ?
Aujourd’hui, la navette parlementaire s’est arrêtée, pas par coïncidence, mais parce que nous avons considéré en responsabilité qu’il était plus important, intelligent, de laisser la porte ouverte au projet de loi gouvernemental plutôt que de poursuivre le travail parlementaire. Cependant, si à un moment cela devient clair qu’il n’y aura pas de projet gouvernemental, la navette parlementaire pourra reprendre et continuer.
Nous n’avons pas laissé tomber, nous avons laissé la possibilité au gouvernement de tenir ses promesses. Cependant, je n’ai aucun doute sur le fait qu’aujourd’hui, le mouvement féministe en France est assez fort pour gagner cette bataille.
La question est simplement de savoir par quel chemin cela aura lieu : un projet de loi gouvernemental ou un référendum.
À quel moment considérerez-vous qu’il faudra dire stop, et justement relancer la navette parlementaire ?
Je n’ai pour être honnête pas de date précise en tête, et ce n’est pas à moi seule d’y répondre. Le moment où nous déciderons de reprendre le travail parlementaire, ce sera à l’Assemblée nationale de réétudier la proposition de loi, c’est donc une discussion que l’on doit avoir avec toutes les forces politiques qui sont sincèrement engagées dans la bataille pour arriver à introduire le droit à l’IVG dans la Constitution.
Avez-vous été contactée par le président de la République dans le cadre d’un tel projet, comme celui évoqué le 8 mars ?
J’ai entendu récemment que le cabinet du président de la République avait contacté le cabinet de la présidence des deux assemblées, mais à ce stade, c’est pour moi très peu concret, il n’y a toujours pas d’indication, ni de calendrier, ni même de précision sur la forme que prendra ce projet de loi. Sera-t-il distinct d’un autre projet, ou s’agira-t-il d’une prise en otage ? Je ne sais pas si des parlementaires ont été approchés par le ministère de la Justice ou l’Élysée, mais ce n’est pas mon cas.
Je sais donc qu’il y a des soubresauts, mais encore une fois, nous ne sommes pas complètement bêtes, écrire une phrase ne requiert pas un an, surtout étant donné que nous sommes dans le cadre d’une réforme qui est plébiscitée par l’ensemble de la société, il n’y a pas de débat.
Cela ne signifie-t-il pas surtout, à votre avis, un manque d’envie ?
Moi je pense qu’ils ne veulent pas le faire. Je pense que la stratégie du président de la République d’aller toujours plus à droite et de négocier de plus en plus de textes avec la droite n’est pas de nature à prioriser cette question-là, et je ne suis d’ailleurs pas du tout convaincue que lui souhaite réellement faire cela. Car encore une fois, si on veut le faire, on le fait. Parfois, en politique, les choses sont compliquées. Ce n’est pas le cas ici.
Que répondez-vous à ceux qui disent que constitutionnaliser le droit à l’IVG est inutile, car celui-ci ne serait pas menacé ?
Je dis que l’on n’a aucune idée de ce qu’il va se passer en 2027, en France. Je pense que ceux qui ont cette vision n’ont rien compris à ce que veut dire protéger quelque chose. On protège quelque chose avant qu’il ne soit abimé, car après, c’est trop tard. C’est quand on a la capacité de protéger un droit qu’il faut le protéger. Cet argument, on peut le sortir avec tous les droits fondamentaux. Dans ce cas, supprimons la laïcité, puisqu’elle n’est pas menacée ? La logique, c’est bien de protéger un droit quand on en a encore la possibilité, et contre des attaques hypothétiques à venir. J’espère moi aussi franchement que cela ne servira à rien, ce serait formidable. Comme on met sa ceinture de sécurité en montant en voiture, on espère qu’elle ne servira pas, mais lorsque l’accident survient, on est bien content de l’avoir mise… Il en va de même pour le droit à l’IVG.
Quelles sont vos craintes si l’on reste dans l’inertie trop longtemps ?
Je ne sais pas ce qu’il va se passer en 2027. Ce que je sais, c’est qu’aujourd’hui, les anti-choix, qui n’avaient jamais cessé d’être actifs en France, sont de plus en plus présents : le Planning familial est attaqué régulièrement, par des mouvements d’extrême droite, à travers des collectifs très organisés qui vont coller des stickers anti-IVG sur des vélos. Ces campagnes nécessitent des fonds, cela confirme que ces groupes ont de plus en plus de moyens, se structurent, et tentent de se structurer davantage. Je ne sais pas ce qu’il va advenir en 2027, mais je n’ai tout simplement pas envie d’attendre, de prendre le risque de voir une nouvelle présidence, un nouveau Parlement devenir plus agressif envers nos droits fondamentaux, que nous avons la possibilité de protéger maintenant.
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