Voici une sélection de 10 morceaux de jazz, proposée par Katia, amoureuse du genre et spécialiste en la matière.
— Publié le 2 juillet 2012
Au gré de discussions portant sur les goûts musicaux de chacun, j’ai remarqué, chez mes amis, une palpable tendance à admettre « aimer le jazz » mais « sans s’y connaître vraiment ».
En effet, je pense qu’on a tous quelques genres de prédilection, et puis il y a les autres, auxquels on concède être sensible, sans pourtant en être spécialiste. Par exemple, j’ai pour habitude de dire que j’aime le hip-hop, les musiques électroniques (pour faire large), la pop et le vieux r’n’b. Mais dans la vie quotidienne, j’écoute aussi beaucoup de musique classique et de jazz, surtout quand je veux écrire sans me laisser dissiper par un fond sonore ou me reposer dans un bain moussant.
Pour en revenir à nos moutons : comme les gens qui m’entourent, je dis aimer le jazz, mais concède avoir une piètre culture du genre. C’est pourquoi j’ai récemment demandé à Katia de me faire découvrir un peu plus sa playlist, ce qu’elle écoute du matin au soir, de Wes Montgomery à John Coltrane en passant par Miles Davis. Katia, vous l’aurez deviné, c’est ma copine férue de jazz. Elle fait partie des rares personnes de mon âge capable d’annuler un verre en terrasse avec les potes pour aller se réfugier dans son piano bar préféré, et quand les murs Facebook de mes autres contacts sont blindés de liens vers des gifs de LOLcats, le sien, lui, est une magique succession de ses derniers coups de coeur musicaux.
Pour le moment, Katia est journaliste chez Télé Obs, la rubrique télé du Nouvel Obs, mais tient aussi Palabres en jazz, un blog dévolu à sa passion, ainsi qu’un Tumblr. Je vous invite à aller y jeter un oeil !
J’ai demandé à Katia ce qu’est le jazz pour elle :
« Le jazz est une Histoire, une esthétique, un répertoire de singularités, de destins, un roman écrit avec toutes les passions de l’âme, une science qui n’a rien d’exact. Le jazz est une substance touchée par d’innombrables accidents qui permet, de décennies en décennies, l’éclectisme et le foisonnement de notre espace sonore. C’est dans ce sens que l’élitisme auquel il est attaché, aujourd’hui du moins, n’a aucune raison d’être. À me voir éplucher la discographie d’un Stan Getz ou d’un Ornette Coleman, préférer un concert d’Ahmad Jamal à celui d’un Lenny Kravitz, ou alors écumer les bars jazz à la recherche de sensations fortes, on oppose fissa l’ouverture au « mainstream » à un cloisonnement teinté de prétention. Il n’en est rien pourtant. Le jazz est un esprit qui plane sur tant de styles qu’il est impossible, selon moi, d’écouter exclusivement cette musique. Je prends juste un plaisir fou à découvrir et redécouvrir les défricheurs des mouvances actuelles, à savourer leurs sensibilités et à décrypter leurs messages. Sans compter que le jazz ne s’arrête pas aux Duke Ellington, John Coltrane, Miles Davis, Charles Mingus, Max Roach et autres Herbie Hancock. Il vit encore aujourd’hui, bouillonne toujours autant, agrémenté d’un propos en phase avec son époque. »
Bumpin’ On Sunset de Wes Montgomery (Tequila – 1966 – Verve)
Une “Madeleine de Proust”. À 12 ans, je ne savais pas ce qu’était le jazz. Bumpin’ On Sunset était pour moi un instrumental « trop stylé », sur lequel je fredonnais de plaisir.
In A Sentimental Mood de Duke Ellington et John Coltrane (Duke Ellington & John Coltrane – 1962 – Impulse)
Intimiste et langoureux. Il s’agit là d’une conversation, d’une rencontre entre deux géants : « The Duke » au piano et John Coltrane au saxophone. Difficile de rester de marbre.
Speak Like A Child de Herbie Hancock (Speak Like A Child – 1968- Blue Note)
Pourquoi Speak Like A Child ? Ce morceau n’a pas l’aplomb d’un Maiden Voyage, d’un Cantaloupe Island, d’un Watermelon Man ou la volupté d’un Butterfly (pour la faire court sur la discographie de l’intéressé…). Mais il a une dimension si orthodoxe que pour certains, il s’apparente à du smooth jazz voire du « jazz d’ascenseur ». Oui, c’est un morceau décontractant du pianiste Herbie Hancock, qui, selon moi, fait tout son effet. Et plus particulièrement entre 1mn40 et 2mn48.
Water Babies de Miles Davis – (Water Babies – 1976 – Columbia)
http://www.youtube.com/watch?v=mUNwuhym-7M
Il existe tant d’albums « sacralisés » du pionnier Miles Davis, trompettiste élevé au panthéon des jazzmen au point d’incarner lui-même le jazz, qu’il m’est difficile d’expliquer mon inclination pour Water Babies et le morceau éponyme. Le saxophone de Wayne Shorter ? Le piano d’Herbie Hancock ? La batterie de Tony Williams ? La contrebasse de Ron Carter ? Ou alors, oui, la trompette de Miles Davis… tout simplement. Perfection.
Naima de John Coltrane (Giant Steps -1960 – Atlantic)
Cette composition, favorite de Coltrane, a connu une douzaine de variations. Il s’agit d’une ballade, une lettre d’amour au sax à sa première femme, Naima Juanita Grubbs. Autant dire que « ‘Trane » n’a pas fait dans la dentelle. Le thème et le phrasé émeuvent jusqu’à la moelle.
Atomic Energy de Mal Waldron (Tokyo Bound – 1970 – RCA Victor)
http://www.youtube.com/watch?v=2nN2JxN2KPg
L’album s’intitule Tokyo Bound. Le morceau, Atomic Energy. Déjà intriguée par Mal Waldron, pianiste émérite du label allemand Enja, je suis tombée à la renverse à l’écoute de cet opus enregistré au Japon, avec Yasuo Arakawa à la contrebasse et Takeshi Inomata à la batterie. En cause, une montée en puissance, une impétuosité, un chaos ordonné, qui apportent une dimension un brin psychédélique, un peu comme Sorcery par Keith Jarrett. Le must? Écouter Atomic Energy en jouant à Tetris.
I Fall In Love Too Easily de Chet Baker (Chet Baker Sings – 1953 – Pacific Jazz Records)
Le très lyrique Chet Baker. Trompettiste de west coast jazz (ou jazz cool), au look à la James Dean, à la voix délicate, presque évanescente et à la vie mouvementée. À l’écoute de son répertoire, sa mélancolie et son romantisme, tant dans le jeu que dans la voix, m’ont désarçonnée. « J’écoutais la musique de Chet remonter aux sources de l’innocence, des étreintes et des saisons, raconter le temps qui passe comme on décrit une longue aurore […].» (Balades en Jazz, Alain Gerber éd. Folio Senso).
I’m Confessin’ That I Love You de Thelonious Monk (Solo Monk – 1965 – Columbia Records)
Sur Solo Monk, le pianiste nous raconte des histoires. Ici, une déclaration d’amour spontanée, en toute légèreté, auréolée d’une sensibilité exempte de mélodrame. Ravissante allégresse.
Wind Parade de Donald Byrd (Places And Spaces – 1975 – Blue Note)
Jazz fusion. Jazz funk. Ici, tout est affaire d’expérimentation. Et quoi de mieux pour une musique aussi mouvante que le jazz ? Après avoir plongé dans le hard-bop, le trompettiste Toussaint L’Ouverture Donaldson Byrd II (j’aime écrire son nom en entier), a sorti des albums détonants. Places and Spaces sur lequel figure Wind Parade est l’un deux.
Sketch Of Melba d’Eric Dolphy (Out There – 1960 – Prestige)
http://www.youtube.com/watch?v=zd-3JzlXyMo
Cette composition du pianiste Randy Weston revisitée à la flûte par Eric Dolphy a quelque chose d’extrêmement sensuel. Et parce qu’imaginer Eric Dolphy, que j’idolâtre presque, habité par ses interprétations ou improvisations, à la flûte ou au saxo, du be-bop au free jazz, me fiche toujours la larme à l’œil.
Et si le film que vous alliez voir ce soir était une bouse ? Chaque semaine, Kalindi Ramphul vous offre son avis sur LE film à voir (ou pas) dans l’émission Le seul avis qui compte.
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