Si le 8 mars sert de prétexte à beaucoup de marques pour pousser à la consommation, cela peut aussi être l’occasion de s’informer afin de mieux s’organiser et se révolter. Comme le dit si bien Virginie Despentes dans King King Théorie, le féminisme est une « révolution, pas un réaménagement des consignes marketing. »
Alors voici dix outils révolutionnaires à (s’)offrir, emprunter à une amie ou à la bibli, allant de Virginia Woolf à Lexie alias @aggressively_trans.
1. Virginia Woolf, Une chambre à soi
Autrice britannique à succès de La Traversée des apparences (1915), Mrs Dalloway (1925), ou encore Orlando (1928), Virginia Woolf (1882-1941) craint malgré cela de ne pas être prise au sérieux avec A Room of One’s Own (1929). Pourtant ce court essai, parcouru d’humour, figure désormais parmi les textes pionniers du féminisme occidental, parce qu’elle y résume des principes essentiels :
« Une femme doit avoir quelque argent et une chambre à soi si elle veut écrire de la fiction. »
L’autonomie financière et l’espace de travailler : cela peut sembler anodin aujourd’hui, mais c’est pourtant encore un enjeu majeur pour beaucoup de femmes depuis la première vague féministe dont ce texte fait remarquablement partie.
2. Simone de Beauvoir, Le Deuxième Sexe
Entre ses romans L’Invitée (1943), Le Sang des autres (1945), et le prix Goncourt Les Mandarins (1954), Simone de Beauvoir (1908-1986) s’impose comme une autrice féministe majeure avec son essai Le Deuxième Sexe (1949). Écrit comme une somme encyclopédique (difficile à lire, soyons honnêtes), l’intellectuelle existentialiste y questionne l’infériorisation des femmes, non comme un fait naturel, mais bien une construction sociale aliénante (de ce qu’on n’appelle pas encore le genre) : « On ne naît pas femme, on le devient. »
L’autrice marquante de la deuxième vague féministe y interroge également la participation passive des femmes à leur propre soumission :
« Ce monde est encore un monde qui appartient aux hommes : ils n’en doutent pas, elles en doutent à peine. »
3. Virginie Despentes, King Kong Théorie
Quelques années et livres après son premier roman très remarqué Baise-moi (1994), Virginie Despentes (née en 1969) publie le court essai percutant, King Kong Théorie, en 2006 qui s’adresse à « toutes les exclues du grand marché de la bonne meuf ».
Elle fait d’un viol qu’elle a subi le point de départ d’une réflexion plus large sur les violences sexuelles comme « représentation directe et crue de l’exercice du pouvoir », la prostitution qu’elle a exercé un temps, la pornographie, et le patriarcat. Dans ce texte souvent considéré comme le manifeste officieux de la troisième vague féministe, l’intellectuelle résume brillamment :
« La virilité traditionnelle est une entreprise aussi mutilatrice que l’assignement à la féminité. »
4. Monique Wittig, La Pensée straight
Après avoir été marginalisée du Mouvement de Libération des Femmes, Monique Wittig (1935-2003) fait prospérer ses idées aux États-Unis, d’où elle écrit La Pensée straight (1992). Plus qu’une orientation, l’hétérosexualité en tant que régime politique sert de fondement au patriarcat et sa binarité, développe-t-elle :
« La femme n’a de sens que dans les systèmes de pensée et les systèmes économiques hétérosexuels. […] Les lesbiennes ne sont pas des femmes. »
Autrement dit, à la catégorie « femme » créée par et pour les hommes, les lesbiennes peuvent échapper. Et c’est ce qu’on appelle le lesbianisme politique : une clé de sortie et d’abolition de ces normes totalitaires.
5. Audre Lorde, Sister Outsider
Se décrivant comme une femme « noire, lesbienne, mère et guerrière, professeure et survivante du cancer », Audre Lorde (1934-1992) compte parmi les figures les plus importantes de l’afro-féminisme. Publié en 1984, ce recueil regorge d’essais, de poèmes, et de discours. L’intellectuelle y aborde sous différentes formes les questions de racisme, de sexisme, de LGBTphobies, ou encore de classisme :
«On attend des Noirs et du Tiers-monde qu’ils éduquent les Blancs sur notre humanité. On attend des femmes qu’elles éduquent les hommes. On attend des lesbiennes et des gays qu’ils éduquent le monde hétéro. Les oppresseurs maintiennent leur position et échappent à la responsabilité de leurs propres actions. Ce drainage constant d’énergie pourrait être mieux utilisé pour nous redéfinir et concevoir des scénarios réalistes afin de modifier le présent et construire l’avenir. »
Depuis sa marge à l’intersection de plusieurs formes d’oppressions à la fois, Audre Lorde n’en raconte que mieux le monde avec sa plume puissante et lyrique.
6. Françoise Vergès, Un féminisme décolonial
Après avoir grandi sur l’île de la réunion, en Algérie, puis aux États-Unis, Françoise Vergès (née en 1952) prend le point de vue des femmes racisées pour développer sa pensée sur le féminisme décolonial. En partant de « celles et ceux qui nettoient le monde », elle remonte jusqu’à l’esclavage pour mieux dénoncer un système global de capitalisme racial et patriarcal. Un féminisme décolonial (2019) questionne aussi les modalités de solidarité avec les femmes blanches et les hommes racisés.
Radicale, l’intellectuelle éclaire ainsi les nombreux angles morts de ce qu’elle appelle le « féminisme civilisationnel », fruit de l’universalisme à la française qui a notamment permis de justifier la colonisation.
7. Vandana Shiva et Maria Mies, Écoféminisme
Dans cet essai publié en 1998, la physicienne indienne Vandana Shiva (née en 1952) et la professeure de sociologie allemande Maria Mies (née en 1931) réfléchissent à la création d’un nouvel internationalisme fondé sur l’écologie et le féminisme.
Partant de la continuité historique entre l’exploitation de la terre et celle des femmes, l’éco-féminisme vise aussi selon elles à se réapproprier notre rapport rapport à la nature, émancipé de la « perspective capitaliste patriarcale [qui] interprète la différence comme hiérarchique et l’uniformité comme un préalable à l’égalité » :
« La spiritualité écoféministe telle que nous l’entendons ne doit pas être confondue avec une sorte de spiritualité “d’un autre monde” qui veut simplement de la “nourriture sans sueur”, sans se préoccuper de sa provenance ni de la sueur de qui il s’agit .»
8. Asma Lamrabet, Islam et femmes, les questions qui fâchent
Médecin biologiste marocaine et ancienne directrice du Centre des études féminines en islam, Asma Lamrabet (née en 1961) dresse dans cet essai l’inventaire des discriminations à l’encontre des femmes au nom de l’islam. Et démontre point par point combien il s’agit bien souvent d’interprétations datées et biaisées du Coran, très éloignées du texte d’origine beaucoup plus égalitaire.
Publié en 2017, ce livre tord le cou à bien des préjugés sexistes véhiculés par certaines personnes musulmanes, mais aussi aux islamophobes qui veulent faire passer l’islam pour une religion foncièrement machiste et rétrograde.
9. Gail Pheterson, Le Prisme de la prostitution
Chercheuse américaine en psychologie sociale, Gail Pheterson a beaucoup étudié l’impact des rapports de pouvoir et des stigmates sociaux sur le psychisme. Dans cet essai publié en 1996, elle questionne la prostitution, en tant que travail du sexe régulé ou réprimé. Mais aussi en tant que lieu de reproduction des rapports sociaux de genre et outil de contrôle social entre « femmes vertueuses » et « putain » :
« La menace du stigmate de putain agit comme un fouet qui maintient l’humanité femelle dans un état de pure subordination. Tant que durera la brûlure de ce fouet, la libération des femmes sera un échec. »
10. Lexie, Une histoire de genres, guide pour comprendre et défendre les transidentités
Théorisé initialement par Sandy Stone, intellectuelle considérée comme la fondatrice des études sur la transidentité, et Sylvia Rivera, émeutière des révoltes de Stonewall à l’origine du mouvement contemporain pour la lutte des droits des personnes LGBTI+, le transféminisme est un mouvement fait par et pour les femmes trans pour la libération de toutes les femmes.
D’abord depuis son compte Instagram @aggressively_trans, Lexie a vulgarisé bien des idées sur le sujet et sur les transidentités en général. Qu’elle compile aujourd’hui dans ce guide sorti en février 2021, accessible et empouvoirant, pour mieux comprendre ces enjeux qui concernent également les personnes cisgenres et dyadiques (non-intersexes).
Écoutez l’Apéro des Daronnes, l’émission de Madmoizelle qui veut faire tomber les tabous autour de la parentalité.
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