« Quand des professeurs répètent que les femmes ne devraient pas être intégrées aux études de santé ou apostrophent en TP [travaux pratiques, ndlr] “Ah bah t’es pas dans la cuisine toi”, on finit par s’interroger sur sa propre place dans ces études. »
C’est « un sentiment de tristesse et de colère », qu’exprime Théo Vitrolles en introduction de la conférence de presse qui s’est tenue ce mercredi 2 février pour présenter les résultats de l’enquête menée à l’initiative de l’Association Nationale des Étudiants en Pharmacie de France sur les violences sexistes et sexuelles.
On le sait pertinemment : aucun milieu universitaire, aucune grande école n’est épargnée. Après les révélations sur la persistance des violences sexistes et sexuelles dans des établissements comme Sciences Po, l’ANEPF a voulu faire un état des lieux auprès des étudiants et étudiantes en pharmacie.
Un questionnaire a été adressé aux étudiantes et aux étudiantes pendant un mois à la fin de l’année 2021. Des questions sur trois volets ont été présentées : la vie étudiante, la vie professionnelle, ainsi que la notion de consentement dans les rapports sexuels entre étudiants.
2103 personnes ont témoignées, réparties sur 24 facultés de pharmacie en France.
Une banalisation des propos et des actes sexistes en fac de pharmacie
Comme la médecine, le milieu de la pharmacie est gangrené par des comportements sexistes et misogynes bien ancrés et normalisés.
Cela commence par des traditions propres au milieu universitaire, comme des chansons, des défis d’intégration, voire du bizutage qui sont perçus par 22% des personnes interrogées comme sexistes.
Reste que la majorité des étudiantes et étudiants en pharmacie affirment apprécier ces traditions, selon l’enquête. Difficile de s’y opposer ou même de critiquer la norme dominante, qui sous couvert d’humour contribue cependant à valoriser des comportements sexistes ou dégradants.
Selon l’enquête de l’ANEPF, un étudiant sur deux a fait les frais d’outrages sexistes. Dans 89% des cas rapportés, d’autres élèves sont à l’origine de ces actes ; un tiers des répondants rapportent aussi que le personnel universitaire est à l’origine de remarques sexistes.
Le harcèlement est monnaie courante à l’université : 41% des étudiants ont subi des propos à connotation sexuelle de façon répétée, 23% des remarques sur leur vie sexuelle.
« Il faut souligner que ce harcèlement concerne 48,4%des femmes interrogées contre 18,5% des hommes. Ce qui signifie qu’une femme sur deux et un homme sur cinq ont fait l’objet de ce harcèlement durant leur cursus universitaire. »
Là aussi, ce sont majoritairement d’autres étudiants qui sont identifiés comme les auteurs.
Un quart des étudiants et étudiantes ayant répondu au questionnaire signale avoir subi une agression sexuelle. Ces violences ont lieu à 85% lors d’événements festifs :
- 18% des étudiants déclarent avoir déjà été contraints d’avoir des rapports sexuels alors qu’ils étaient alcolisés ou pas en pleine possesion de leurs moyens.
- 18,7% d’étudiants ont déjà demandé explicitement à un partenaire qu’un rapport prenne fin sans que ce dernier n’en tienne compte.
Pour Nesrine Benabdelkader, Vice-Présidente en charge des Affaires Sociales à l’ANEPF, cette donnée est particulièrement préoccupante, notamment au regard de la pratique professionnelle du pharmacien où la recherche « du consentement libre et éclairé des patients » est primordiale :
« Pourtant certains ne comprennent pas cette notion dans le cadre privé. »
Le cadre professionnel est loin d’être épargné. En hôpital comme en officine, les étudiantes rapportent là encore des propos, des actes à connotation sexuelle.
30% des étudiants et étudiantes ont déjà été victimes de harcèlement au sein même de l’officine, en majorité de la part des patients. En hôpital aussi, des comportements ont été observés :
« Durant mon externat c’est un médecin chef de service de l’hôpital qui un matin m’a fait part, je cite, de sa volonté de venir sur les bancs de la fac de pharmacie car “avec des études bien plus faciles et plus courtes, vous êtes forcément bien plus mignonnes que les internes en médecine que je côtoie” »
15% des étudiants rapportent avoir déjà subi une agression sexuelle en milieu professionnel.
Le silence des victimes
Par peur de ne pas être crue, ou simplement par méconnaissance de la procédure pour signaler des comportements ou agressions sexistes ou sexuelles, beaucoup de victimes se taisent, constate l’ANEPF :
« 6% seulement des étudiants ont signalé les situations d’agissements, outrages sexistes et de harcèlement sexuel. 83,3% d’entre eux ont trouvé que la démarche n’a pas eu d’utilité. »
L’impunité demeure pour les auteurs, tandis que pour les victimes, l’impact est réel sur leurs études et sur leur vie personnelle : consommation d’alcool ou de drogues, peur des contacts physiques, perte d’estime de soi, anxiété, dépression, pensées suicidaires.
« Ces constats sont affligeants et déplorables » estime ce matin le porte-parole de l’organisation Théo Vitrolles. L’ANEPF refuse de rester inactive face à un phénomène dont elle sous-estimait l’ampleur et vient d’annoncer une série de mesures.
Questionner la culture misogyne d’un milieu universitaire et professionnel
L’organisation étudiante entend mettre en œuvre des sessions de formations et des feuilles de route à destination de tous les étudiants, et pas seulement auprès ceux qui s’intéressent déjà à ces problématiques, elle souhaite aussi renforcer la présence de référents étudiants locaux sur ces thématiques. L’ANEPF veut aussi développer des fonds pour former, faire de la prévention notamment dans les temps festifs.
« Les étudiants ne peuvent rester comme seuls acteurs », insiste l’ANEPF qui veut initier un travail de fond avec les universités, les ministères de la Santé et de l’Enseignement supérieur ainsi que l’ensemble de profession pour lutter contre les violences sexistes et sexuelles.
Il s’agit de remettre en question toute la culture misogyne d’un milieu universitaire et professionnel, qui commence lentement mais sûrement à prendre la mesure de la violence qu’il génère, notamment au regard de la tradition du bizutage, de plus en plus questionnée et remise en cause.
Si les violences sexistes et sexuelles ont des origines multifactorielles, les représentants de l’ANEPF reconnaissent qu’elles « sont davantage répandues dans le milieu de la santé que dans d’autres secteurs universitaires ».
En conclusion de son enquête, l’ANEPF n’élude pas que l’ampleur du chantier à venir :
« Cet environnement pesant et malsain, est encouragé par les pairs, certains professeurs, pharmaciens, médecins, internes et patients. La lassitude des étudiants est elle aussi perturbante, preuve que ces situations sont tellement courantes et banalisées que les étudiants n’ont pas l’énergie de réagir à chacune d’entre elles, rendant ce problème d’autant plus intolérable. »
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Crédit photo : Tbel Abuseridze via Unsplash
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