Le jour où des jeunes filles m’ont parlé pour la première fois avec ivresse de Violetta, je dois avouer avoir ressenti un petit coup de vieux. Jusque-là j’avais réussi à suivre : Miley Cyrus ? Je vois. Justin Bieber ? Ok. One Direction ? Je connais.
Violetta… Vraiment je n’en avais aucune idée.
Il s’agit d’une série télé racontant les histoires à Buenos Aires de Violetta, dont la mère est disparu au zénith de sa carrière de chanteuse. Violetta désire devenir elle-même chanteuse malgré la sur-protection dont l’étouffe son père. Elle entre alors au Studio 21 où elle rencontrera des amies, petits amis, professeur et ennemies.
Résumé de l’intrigue de la saison 1
Violetta est un véritable phénomène de mode : en 24 heures, les billets de ses 8 spectacles parisiens au Grand Rex se sont envolés, chose rare pour un phénomène culturel latino-américain tandis que les problèmes techniques rencontrés par les salles de cinéma retransmettant ses concerts ont déclenché les colères homériques de jeunes filles de 7 à 17 ans — et de leurs parents par rebond, forcément.
Ma curiosité étant par nature sans limite, j’ai décidé de me plonger dans le phénomène Violetta dont chaque épisode fait tout de même 45 minutes, un format assez rare pour une série à destination des jeunes, ceux d’Hannah Montana tournant plutôt autour de 20 à 30 minutes à titre de comparaison.
Un exemple de telenovela
Violetta est considéré comme une telenovela, ce genre de série typique de l’Amérique du sud. Le terme vient de la contraction entre « tele», oui ça veut dire télé, et « novela » c’est-à-dire roman. Avec 80 épisodes par saison, on peut dire que le pari de la « longueur romanesque » est tenu.
Autre caractéristique : le rôle central joué par la musique, qui revient comme thématique principale dans bon nombre de productions mexicaines pour ne citer qu’elles. Dans le cas de Violetta, notre jeune héroïne est elle-même une chanteuse inscrite à l’école Studio On Beat, célèbre école d’art de la scène.
Enfin les rôles sont très caricaturaux entre les gentils, comme Violetta, et les méchants, comme Ludmilla sa principale antagoniste dans la saison 1, permettant au spectateur de choisir rapidement son camp et d’adorer détester certains personnages.
La déclinaison des telenovelas à l’univers jeune était alors une évidence : c’est simple à comprendre, efficace et très rythmé entre gag potache et émotion larmoyante.
Ce qui est aussi intéressant avec Violetta c’est qu’il s’agit du premier projet de telenovela, et même projet audiovisuel tout court, co-produit respectivement par des pays d’Amérique Latine, d’Europe, du Moyen-Orient et de l’Afrique.
Pourtant des difficultés dans le passage d’un pays à l’autre se font malgré tout ressentir notamment au niveau des doublages : le rythme latino-américain s’accommode bien mal du phrasé français…
Pourquoi ça marche ?
Violetta est un produit audiovisuel calibré au millimètre près, et si ça ne ressemble pas à du cinéma d’auteur Nouvelle Vague, ça a le mérite d’être redoutablement efficace :
Il y a déjà les caractères des personnages, très caricaturaux : nous avons la méchante belle-mère, le séduisant étranger espagnol, la méchante populaire antagoniste de la gentille héroïne… Je grimace franchement devant les personnalités des personnages homosexuels qui tombent dans la franche caricature désagréable à grand coups de voix maniérées et d’attitudes féminisées à l’excès. Bon point en revanche : des personnages viennent d’un peu partout dans le monde.
La gestion des arcs narratifs est, elle, beaucoup plus novatrice : un arc narratif c’est le développement d’une intrigue jusqu’à sa résolution. Dans Violetta elle est faite de la même façon que dans la plupart des soap opéra de façon à provoquer l’addiction : une intrigue numéro 1 commence, elle est grave. Une seconde commence peu après, plus légère. Le temps que l’intrigue grave numéro 2 commence, l’intrigue légère a déjà crée une liaison : on ne peut jamais s’arrêter car il y a toujours un arc narratif en cours qui a commencé alors qu’on pensait suivre le précédent.
Or dans le cas de Violetta, ce qui est nouveau, c’est qu’il s’agit de la première série pour jeune public à adopter cette narration jusque-là réservée à des programmes plus familiaux. En effet, plus classiquement, les séries pour enfants/jeunes ados se concentrent autour d’une intrigue par épisode qui est résolue à la fin.
Aux parents alors de gérer ce nouveau problème : quand dire stop ?
Quel public-cible ?
Car il y a un autre détail auquel nous ne sommes pas habitués encore : Violetta ne traite pas que des problèmes de son actrice principale, âgée de 16 à 17 ans.
Portrait de l’actrice réalisé par la chaîne Disney Channel, entre maquillage, tourisme et fans
Cette série met également en scène les problèmes des adultes qui l’entourent : son père, ayant tragiquement perdu sa femme et surprotecteur, Jade, sa belle-mère, qui va jusqu’à engager une actrice pour séduire le père de Violetta après que celui-ci l’ait quitté dans le but de lui voler son argent… Bref, des problèmes de grandes personnes, qu’une série, et donc faite à l’aide d’acteurs et non pas de dessins animés, rend d’autant plus réaliste.
Violetta cible donc des jeunes femmes, adolescentes affirmées capables de gérer leur consommation de produits audiovisuels, de prendre de la distance avec l’écran, de gérer leur temps passé devant, de mettre de la distance entre leur propre vie et les intrigues qui s’y déroulent ?
Une réponse facile consiste à dire que Violetta s‘adresse au public ayant l’âge de son actrice principale, Martina Stoessel, ayant 16 à 17 ans.
Mais dans le monde de la communication et du marketing, il existe un petit détail qui change tout : « l’aspirationnel », qui définit le processus qui nous mène vers ce qu’on aspire à être.
Les enfants sont à ce titre un public bien particulier : gérant de plus en plus un argent de poche, prescripteur au sein de la famille, ils savent amener à certaines dépenses, et leur média généralement préféré, c’est encore — pour l’instant – la télévision.
En proposant à un public jeune voire très jeune un produit comme Violetta, on touche toute la famille qui va se tourner vers ce nouveau centre d’intérêt, à l’inverse de l’adolescent qui reste dans sa chambre à mater sa série en streaming dans son coin.
Quand on parvient à cibler à la fois parent et enfant c’est du marketing d’influence partagé : quand l’enfant mène au porte-monnaie du parent…
Ce sac n’est pas vraiment fait pour une taille 14-16 si vous voyez ce que je veux dire…
Or
Disney Channel est la première chaine des… 4/14 ans. C’est à dire que la cible de Disney n’est pas exactement la jeune adolescente de 16 ans.
Violetta est donc une série faite pour les enfants et leurs parents, dont le personnage principal est une adolescente. Et c’est logique : de même que les enfants aiment voir des intrigues mettant en scène des adolescents, quand on est soi-même adolescent, on regarde plutôt des contenus mettant en scène des jeunes à la fac, et ainsi de suite : on se projette non pas sur ce que l’on est mais sur ce que l’on aspire à être.
De même que cette robe n’est pas franchement une taille 14…
Violetta est-elle une bonne série télé ? Je ne suis clairement pas le public visé, je ne saurais donc dire avec objectivité si ce programme télé est bon, par rapport à sa concurrence notamment. Disons que je me dis que ce n’est pas pire que le Un Dos Tres de mon époque.
Mais en tant qu’objet culturel, je m’interroge sur la façon dont fonctionne ce programme : qu’on pousse un jeune public à la consommation n’est pas nouveau, et les produits dérivés roses et violets sont écoeurants mais attendus au tournant.
Je m’interroge plutôt sur le nivellement que propose cette série mélangeant problématique enfantine, adolescente et adulte.
Dans quelle mesure une enfant de 10 ou 12 ans peut-elle intégrer la complexité de ces intrigues où, basiquement, tout le monde entre toujours en conflit avec tout le monde pour des raisons sentimentales, financières, voire plus dramatique dans le cas de la mort mystérieuse de la mère de Violetta ? D’autant plus que les personnages, caricaturaux, ne permettent pas de donner à ces histoires les nuances qu’elles mériteraient.
Je pense par exemple au traitement des femmes dans cette série qui résument la grande majorité de leurs problèmes à leurs soucis de coeur hésitant constamment entre plusieurs hommes, quand ce n’est pas l’objet de leur attention qui hésite lui même entre plusieurs femmes.
L’amour est le moteur principal, si ce n’est unique, des actions des personnages féminins, mais en fait d’amour, je devrais plutôt parler de sentiments vaguement amoureux tant les relations se font et se défont au gré des crises.
Un traitement aussi basique des personnages féminins ne me surprend malheureusement pas, mais qu’il soit traité de façon aussi massive et de façon aussi… niaise, le tout diffusé durant 40 minutes à un public dont les goûts et les couleurs sont encore à former me laisse, au minimum, perplexe.
Ainsi les conflits sont la plupart du temps organisés autour de deux femmes en concurrence pour un même homme transmettant en gros le message : les femmes sont des furies quand elles entrent en concurrence amoureuse.
Vilaine blonde contre gentille brune, comme un air de trop-déjà-vu…
Mais peut-être connaissez vous des jeunes filles fan de Violetta qui saurons nous parler de la façon dont elles abordent ces séries au format encore inédit chez les pré-adolescentes !
À 8 ans, Lyna a pour l’instant réussi à ne pas tomber dans tous les panneaux faciles des pièges-à-jeunes-filles. Cependant, il y a quelques mois, elle a fait un truc un peu nouveau, qu’elle n’avait jamais fait jusque-là : elle descendait systématiquement, tous les soirs, 2h après s’être couchée, en pleurs, le nez plein de morve. Et Machin il est amoureux de Bidule et Truc il m’aime plus alors qu’il avait dit qu’il m’aimait. Un immense chagrin.
Sur le moment, on s’est dit avec sa mère «c’est sans doute l’âge, l’adolescence arrive de plus en plus tôt, non, hein ma p’tite dame y’a plus de jeunesse ! »…
Ça a duré une petite semaine, puis un samedi matin, alors que Lyna avalait de la téloche sur Disney Channel — une chaîne a priori « valable » pour le père que je suis et qui surveillait son activité télé d’un coin de l’oeil, je remarque des dialogues d’une nullité dingue, entre deux ados de 16 ans.
Intrigué, je m’assois à côté d’elle… et il n’a pas fallu 5 minutes pour que je découvre avec stupeur que ce petit machin de 8 piges était en train d’avaler à haute dose des prises de tête digne de Dallas ou de Days of Our Lives. Qui n’était pas sans me rappeler les horribles casse-têtes qu’elle s’infligeait tous les soirs depuis une semaine.
Je fais pause — elle avait minutieusement pris la peine d’enregistrer des épisodes durant la semaine et lui demande :
— Ça s’appelle comment, ce truc ? — Violetta. — Tu regardes ça depuis quand ? — Ça fait pas très longtemps, deux semaines. — T’as découvert comment ? — C’est Machine qui m’en a parlé à l’école. Sa grande soeur (qui est en CM2) regarde tous les jours. — Hé, dis, ces dialogues-là, ils te rappellent pas quelque chose ? — Comment ça ? — C’est bizarre, parce que j’ai un peu l’impression de te voir pendant la semaine, à te prendre la tête pour savoir si Bidule t’aime encore ou José est plus amoureux de Josette… (je les imite un peu, ça la fait sourire) — … (elle réfléchit) — Tu crois pas qu’y a un lien de cause à effet ? Que ce truc-là est peut-être en train de te pourrir la tête ? Je dis ça parce que je t’avais jamais vue pleurer comme ça auparavant pour des histoires avec des garçons et là, je tombe sur ces histoires nulles et j’me dis que peut-être c’est à cause de ça. — … — Je veux pas t’empêcher de regarder, si tu penses que c’est bien, c’est ton souci. Moi j’me demande juste si c’est pas ça qui t’est un peu rentré dans le crâne.
Elle a pris cinq minutes à réfléchir, puis a pris la télécommande pour supprimer tous les épisodes de notre box en me disant « oui t’as p’tet raison ».
Et bizarrement, depuis, elle dort comme un bébé.
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Les Commentaires
sans parler de ce magnifique tumblr
http://rebloggy.com/post/1k-niall-horan-bby-i-hate-life-nialland-tastyedits-niallispretty-kryptoniall-wet/43642027548