Elle a déjà rendu compte de ses rencontres avec des Sénégalaises et sa deuxième étape l’a menée au Liban ! Elle y a réalisé interviews, portraits, reportages, publiés au fil des jours sur madmoiZelle.
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Une fois n’est pas coutume, commençons cet article par une devinette :
Imaginez deux cousines d’une vingtaine d’année.
L’une, appelons-la Fatma, a passé la quasi-intégralité de sa vie au Liban mis à part les semaines qui ont suivi sa naissance, elle est née d’une mère libanaise et d’un père jordanien.
L’autre, appelons-la Mona, est née d’une mère française et d’un père libanais, et a passé toute sa vie en France.
Laquelle des deux possède la nationalité libanaise (et donc par exemple, le droit de voter aux élections de ce mois de mai) ?
On pourrait imaginer sans trop de difficultés que c’est celle qui a grandi au Liban. Mais non : Mona est franco-libanaise, alors que sa cousine Fatma est… américaine.
Ça vous paraît obscur ? Je vous embarque dans ma discussion avec elles deux, pour comprendre pourquoi et quelles implications cela a dans leurs vies.
Au Liban, les femmes ne transmettent pas leur nationalité
En effet, au Liban, la nationalité se transmet par le père. Cette loi date de 1925, époque du mandat français sur le Liban et n’a jamais été changée depuis.
À sa naissance, Mona a donc automatiquement hérité de la nationalité libanaise. En revanche, la mère de Fatma n’a pas pu lui transmettre sa nationalité :
« Mon papa est d’origine palestinienne, mais ce n’est pas une nationalité, ça ne donne pas un passeport.
À ma naissance, ma mère ne pouvait pas me transmettre la sienne selon la loi. Donc elle est allée accoucher aux États-Unis où j’ai pu bénéficier du droit du sol.
Mon père avait à l’époque la nationalité jordanienne, mais ses papiers avaient été confisqués car les autorités le considéraient comme trop agitateur. »
Fatma n’a aucune idée de ce qu’il serait advenu de sa nationalité si sa mère n’avait pas eu les moyens d’aller aux États-Unis.
Elle serait alors née au Liban, d’une mère qui n’avait pas le droit de lui transmettre la nationalité et d’un père qui à ce moment-là ne pouvait pas produire de preuves de sa nationalité jordanienne…
Selon Lina Abouhabib, de l’association CRTDA, « cette loi sur la nationalité crée de nombreux cas d’apatridie, notamment dans les familles où la mère est libanaise et le père palestinien ».
« Le déni de ce droit facilite le déni d’autres droits humains. Ça a un vrai effet discriminatoire, les enfants et partenaires de ces femmes subissent du racisme. »
« Ma nationalité est mon droit et celui de ma famille »… toujours pas au Liban
Malgré un militantisme ininterrompu notamment à travers la campagne « Ma nationalité est mon droit et celui de ma famille » lancée dès 2001, le changement se fait toujours attendre.
Fatma estime que cette inertie est le fruit de décisions purement politiques :
« Après la guerre civile, beaucoup de Palestiniens sont venus au Liban.
Cette règle sur la nationalité transmise uniquement par le père était maintenue car les Palestiniens étaient majoritairement musulmans et ils avaient peur que ceux-ci, en se mariant à des Libanaises, fassent évoluer la balance démographique en augmentant la proportion de musulmans. »
Pour comprendre, il faut un peu de contexte.
Au Liban, chaque citoyen·ne est déterminé·e en fonction de sa communauté d’appartenance et le système politique lui-même est confessionnel.
Tu peux par exemple être sunnite, druze, chiite, chrétien maronite, arménien, orthodoxe… Il y en a 17, et cette communauté est héritée du père.
Donc permettre à des femmes de donner leur nationalité à leurs enfants et maris
, ce serait potentiellement permettre à la proportion de musulmans d’augmenter dans le pays.
« Je ne pense pas que ça changera bientôt, car désormais il y a la crise des réfugiés syriens et c’est le même problème…
Ils ont peur que les Syriens et Palestiniens en profitent pour se marier avec les Libanaises et déséquilibrent la balance démographique [en termes de religions]. »
Un débat a d’ailleurs eu lieu en mars dernier au sujet de la transmission de la nationalité.
Il était suggéré que les femmes libanaises mariées à un étranger puissent transmettre leur nationalité… à condition que celui-ci ne soit pas issu d’un territoire limitrophe, à savoir : la Syrie ou les territoires palestiniens.
« Ça veut dire qu’une autre cousine à nous, née d’une mère libanaise et d’un père français, pourrait jouir de la nationalité libanaise. »
Mais Fatma, toujours pas. La proposition a cependant été abandonnée.
Une quête identitaire difficile
Fatma vit donc au Liban avec une carte de résidence, mais l’absence de nationalité libanaise la handicape parfois dans son quotidien.
« Je ne peux pas voter, je ne peux pas avoir un travail dans le gouvernement, en cinéma c’est aussi un problème [NDLR : Fatma est réalisatrice]…
Je ne peux pas être productrice au Liban, tourner un film sans producteur libanais, je ne peux pas récupérer une autorisation de filmer au département de la sûreté général sans un Libanais pour m’accompagner, etc. »
Des droits que possède Mona, qui ne vit au Liban que depuis quelques mois, dans le cadre d’un échange universitaire.
« Je suis heureuse d’avoir cette nationalité, c’est clairement ce qui me rapproche de ce pays, de mes origines et ce qui fait que j’y suis si attachée, mais quand on met nos deux profils en parallèle, ce n’est pas juste », constate-elle.
Quant à Fatma, quand je lui demande si elle se sent tout de même libanaise, elle répond qu’elle « préfère ne pas penser à ça ».
« C’est compliqué. Parfois je suis contente de pouvoir dire que « c’est votre pays, cet état tout en désordre, ce n’est pas le mien ».
Mais en réalité je sais tout à propos de la politique ici, je connais les ministres, députés, tout ça. Je suis parfois même plus au courant que la plupart des Libanais. »
Elle n’a jamais vraiment abordé le sujet avec sa mère :
« Je ne lui ai jamais demandé comment elle se sentait vis-à-vis de ça.
Mais je crois que lorsqu’elle a décidé d’accoucher aux États-Unis, elle a soulagé sa conscience en me donnant un passeport avec lequel je peux voyager où je veux, quand je veux. »
Malgré tout, dans des festivals de cinéma à l’étranger, Fatma est présentée comme une réalisatrice libanaise.
« Moi quand je dois me présenter, je dis que je viens du Liban, que je suis d’origine palestinienne. Si besoin, je continue : ma mère est libanaise, mon père est palestinien… »
Ce dernier, qui a récupéré ses papiers jordaniens et obtenu la nationalité française après avoir longuement vécu sur le territoire lui a proposé plusieurs fois de lui faire d’autres papiers.
« Mais je n’ai pas pris le temps d’aller faire les démarches en France et la Jordanie c’est hors de question.
Car lorsque je vais avoir des papiers arabes, d’un pays qui n’est pas la Palestine, ce sera pour moi la fin de la cause palestinienne. Je n’ai pas de passeport arabe, au fond de moi je suis palestinienne. »
Américaine sur son passeport, Palestinienne dans son cœur donc, à défaut d’être libanaise.
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