Aujourd’hui, je boitille un peu. Je sais que, dit comme ça, on dirait une confession qui pue l’arnaque puisque, disons-le, le fait que je boitille vous fait autant d’effet qu’un pet de mouche en haute voltige. Or si je te fais part de l’état de ma jambe, cher lectorat, ce n’est pas pour te tenir la tienne sur mes histoires de bobos, mais parce que l’origine de ce boitillement explique cet article.
Je boitille un peu parce que l’autre jour, du coin de l’oeil, j’ai cru que ma peluche pingouin posée sur un table était un vrai animal. Ça m’a un peu surprise, du coup je me suis pris la table et la chaise de ma cuisine, et en voulant sauver la vie de mon pingouin, je suis tombée avec la chaise, à laquelle j’ai présenté mes excuses avant de réaliser que c’était une chaise.
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Et puis j’ai engueulé mon pingouin pour m’avoir fichu une peur pareille, et c’est là que je me suis dit que j’avais peut-être un souci. Un souci de longue date, que j’appellerais « le syndrome de Toy Story ».
Toy Story, ou la naissance d’un doute
Je ne suis pas folle, vous savez. Peut-être un poil influençable. J’avais six ans quand le premier Toy Story est sorti. N’ayant que peu de souvenirs de cette période, et encore moins de celle qui la précède, il est fort possible que je fasse porter le blâme au dessin animé de façon totalement arbitraire… Mais aujourd’hui, quand je repense à cette histoire de jouets qui mènent leur petite vie quand on ne les regarde pas, je me dis qu’il est impossible que des générations de gamin•e•s n’aient pas été traumatisées.
Oui, bon, et puis il y a ça aussi.
Pas traumatisée en mode « je ne vais jamais me remettre de la vie », hein, attention. Enfin, je ne pense pas. Il n’empêche qu’après ce film, je n’ai plus jamais regardé mes jouets de la même manière, et je suis à peu près certaine de ne pas être la seule.
Enfin, vous voyez bien ce que nous dit ce film ?! Ces films, maintenant, puisque Pixar s’acharne sur nos consciences. Il nous raconte que nos jouets ne sont pas ces objets inanimés et sans âme que nous pensions connaître, mais bien de petits êtres dont la vie ne tourne qu’autour de notre bonheur d’enfant ! Moi qui m’amusais alors à tester la force de la gravité en balançant des Barbies depuis le balcon, je ne vous raconte pas le choc que ce fut de découvrir que j’étais en réalité un monstre.
À partir de là, tout s’est enchaîné, et mon sens moral a sombré lentement dans la paranoïa. Plus moyen de couper les poils du nounours de mon frère sans culpabiliser, de marcher pieds nus sur mes Playmobils sans m’excuser malgré ma souffrance, ou de faire niquer Ken et Barbie sans attendre leur consentement.
Ce n’est que bien plus tard, avec la sortie du 3, que j’ai su qu’ils étaient ok.
Pire, je crois bien que ma méfiance envers les robots, les automates, ou toute pâle copie humaine a commencé à cette période, lorsque je retournais mes poupées contre le mur avant d’aller me coucher, pour ne pas avoir à sentir leur regard vitreux et inquisiteur peser sur moi dans l’obscurité.
Le syndrome de Toy Story… à l’âge adulte
À celles et ceux qui persistent à penser que j’ai un grain, je tiens à préciser que le « Toy Story syndrom » est une expression qui a déjà été employée, même si aucun psychiatre n’a eu à ma connaissance l’idée de s’intéresser au phénomène. L’Urban Dictionary la définit en ces termes (traduction) :
« Incapacité à jeter ou vendre de vieux jouets et/ou des objets venant de notre enfance après avoir vu Toy Story (1, 2 ou 3), et faire ainsi preuve d’une trop grande sentimentalité vis-à-vis de ces objets auxquels on attribue des qualités anthropomorphiques. »
Je n’ai donc pas inventé le syndrome de Toy Story : je l’ai simplement poussé à l’extrême. Car oui, j’ai grandi, et j’ai su me débarrasser de mes jouets sans trop d’états d’âme (je ne les ai pas jetés ni abandonnés, je les ai filés à ma petite soeur, laissez-moi !). Mais un petit cercle de peluches, comme vous l’aurez compris avec mon histoire de pingouin (il s’appelle Schrödinger), résiste encore à ma vie d’adulte.
Oui, bon, pas lui par contre.
Il y a donc Schrödinger, mais aussi Mr Flip le panda écrasé,
Wookie le vieux singe qui me suit depuis mon enfance, Kwik le truc rose, et le petit dernier, Bernard-Georges l’ornithorynque que j’ai rencontr… acheté en Australie. (Quelque part chez mes parents traîne encore ma vieille souris-doudou, mais nous passerons sur la culpabilité attachée à celle-ci.) (Je suis une adulte, maintenant, cesse.)
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Et j’ai beau les aimer, elles sont là tout le temps, et parfois, je sens qu’elles me jugent. Surtout Mr Flip qui a les yeux un peu exorbités rapport au fait qu’il est écrasé. Essayez de manger du Nutella pour le dîner ou de bootyshaker en culotte sur Shakira, avec ça.
Vers la superstition et au-delà
Fatalement, si je n’étais pas prête à m’en sortir, le traumatisme ne pouvait qu’aller en s’agrandissant. Ma méfiance vis-à-vis du regard fixe des jouets et peluches s’est étendue aux objets en général, mêlant suspicion et superstition. D’accord, ça a l’air grave, mais osez me dire que vous n’avez jamais crié votre haine à un pot dont l’ouverture vous résistait, ou insulté le pied de table qui s’était jeté sur votre petit orteil !
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Vous avez eu, l’espace d’un instant, un instinct revanchard et puéril vis-à-vis d’un objet, comme une envie de lui faire comprendre qu’il ne vous a pas eu-e, qu’il ne vous aura jamais. Avant de réaliser que vous en vouliez à un pot/pied de table.
Peut-être que nous sommes tous fous ici, comme disait l’autre. Ou peut-être que c’est typiquement humain que de prêter des qualités anthropomorphiques, ou au moins vaguement vivantes, à tout ce qui nous entoure. Comme le prouve cet effet d’optique que l’on appelle aussi la « paréidolie », dont nous a déjà parlé Patrick Baud, alias Axolot :
« La pareidolie est un effet psychologique très puissant qui nous pousse à percevoir des formes précises à partir de stimuli vagues et indéterminés. Elle témoigne d’un besoin très humain qui consiste à donner du sens au chaos. Les exemples au quotidien sont nombreux : voir un visage dans les motifs d’une tapisserie ou distinguer des animaux dans les nuages sont des cas de pareidolie que nous connaissons tous. »
On pourrait dire que je m’éloigne du sujet, mais pour moi, c’est lié. D’accord, je ne vois pas la tronche de Jésus tous les matins sur ma biscotte (et si je le voyais, je ne le reconnaîtrais pas). Mais lorsque je dis merci à ma boîte aux lettres et pardon à ma chaise, ce n’est pas parce que je suis folle : c’est parce que j’ai bien vu l’air offusqué sur leurs visages de métal et de bois.
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Et il n’empêche que s’ils n’avaient pas fait les malins chez Pixar, ma vie aujourd’hui serait bien moins encombrée de politesses au quotidien. Et beaucoup plus reposante.
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