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Rose Venkatesan, transexuelle et présentatrice en Inde — Interview

Rose Venkatesan, personnalité médiatique, actrice et réalisatrice, est la première transexuelle à accéder à une grande visibilité en Inde. Roberte a pu l’interviewer !

Rose Venkatesan est animatrice radio, réalisatrice, mais surtout la première transexuelle indienne à animer une émission de télé en Inde. Je l’ai remarquée au Festival du court-métrage LGBT où elle a tenu, avec trois autres personnalités publiques, une conférence de deux bonnes heures sur les problèmes rencontrés par la communauté LGBT en Inde.

Quelques mois plus tard, elle a accepté de répondre à quelques-unes de mes questions, malgré son emploi du temps chargé.

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Cricket Scandal, un film écrit et réalisé par Rose (à droite). Elle joue également dedans.

J’aime beaucoup ton prénom, Rose ; d’où vient-il ?

Rose est le nom d’une fleur aussi belle que parfumée, symbole universel d’amour et de féminité. J’ai été baptisée Roja, la traduction tamoule de « rose », par une amie transexuelle il y a neuf ans. Je l’ai anglicisé et ensuite gardé comme nom de scène.

Tu as été baptisée ? À la LGBT Pride de Chennai, j’ai rencontré deux transexuelles qui se sont présentées comme mère et fille. Elles devaient avoir cinq ans d’écart. Tu peux m’en dire plus sur les « familles » que vous vous choisissez ?

Généralement, une transexuelle expérimentée ou déjà initiée adopte une nouvelle transexuelle. La mère est appelée Guru et la fille Chela. Il existe une sorte de rituel, qui établit les liens filiaux entre mère et fille, appelé Reeth. C’est un rituel au cours duquel la mère offre à sa fille de nouveaux vêtements, une assiette de fruits et un peu d’argent en signe d’adoption, en présence des aînées.

Tu as étudié aux USA. Ton séjour là-bas a-t-il favorisé ta prise de conscience à propos de ta transidentité ?

Mon séjour aux Etats-Unis m’a permis d’apprendre beaucoup des personnalités transexuelles dans la sphère publique. Quelque chose d’inconcevable en Inde à cette époque.

J’ai découvert la vitalité du mouvement LGBT, mais j’ai également pris la mesure de l’homophobie qui règne aux États-Unis. La première chose que j’aie apprise en terme de socialisation aux USA, c’est qu’il était préférable de ne pas se balader main dans la main avec un autre homme, sous peine d’être pris pour un gay. Chose qui n’est absolument pas le cas en Inde, où le fait de se tenir par la main entre hommes est pris pour ce que c’est : une manière de se témoigner sa sympathie mutuelle. Personne ne songerait à interpréter cela comme un comportement homosexuel.

Cette première leçon en dit long sur la manière dont l’homosexualité est considérée aux États-Unis — dans une large mesure, impopulaire, scandaleuse et détestable. Je me suis longtemps demandé comment je parviendrai à survivre dans cette société alors que je n’avais pas encore fait mon coming out et que j’évoluais dans la peur constante d’être démasquée et persécutée.

J’ai néanmoins continué à m’instruire secrètement sur le mouvement LGBT, sans pour autant y prendre part, car j’avais peur de m’attirer l’opprobre de la communauté étudiante indienne dont ma sécurité dépendait largement. Malgré cela, je suis progressivement devenue consciente que j’étais une femme malgré mon corps d’homme et que la société indienne avait urgemment besoin de faire évoluer le statu quo qui touchait la population LGBT.

Anatomiquement parlant, as-tu opéré ta transformation en Inde ou lors de ton séjour aux États-Unis ?

Anatomiquement parlant, je suis devenue femme après être rentrée en Inde, en 2010. Je me suis faite opérer en en Thaïlande. J’ai attendu et économisé pour cette transition importante pendant des années.

En Inde, on a pratiqué l’émasculation pendant des milliers d’années, mais pas la réaffectation sexuelle telle que la (re)construction vaginale à proprement parler. Pour changer de sexe ici, il fallait passer entre les mains de transexuel-le-s qui s’improvisaient toubibs et vous faisaient regarder le plafond pendant qu’on essayait de faire de la magie avec vos parties génitales avec pour toute baguette, un scalpel mal dégrossi.

Ce genre d’intervention sommaire était la seule option chirurgicale disponible en Inde, en raison de l’isolement social des trans ainsi que d’un establishment médical peu qualifié au niveau de la chirurgie, et encore moins soucieux de notre communauté.

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Comment vis-tu ta transexualité, dans une ville comme Chennai ?

Chennai est globalement une ville conservatrice et patriarcale dans son fonctionnement social. L’Inde, dans la globalité, est foncièrement homophobe dans la mesure où elle condamne les membre de la communauté LGBT à la marginalité, mais j’ai rarement entendu parler de violences physiques comme se faire tabasser dans la rue par des inconnus sur l’unique motif de son homosexualité, par exemple.

Les gens se contentent de couper tous les liens qu’ils ont avec vous, dépendances financières comprises. Ce qui fragilise encore plus la situation financière des homosexuel-le-s et par extension, leur situation sociale. Les transexuel-le-s, eux, sont constamment confronté-e-s aux moqueries et à la violence physique et verbale.

Moi par exemple, j’ai été battue et chassée de chez moi par ma propre famille à mon retour des États-Unis, lorsque j’ai initié ma transformation et refusé un mariage arrangé avec une cousine. Ma famille a tour à tour usé de flatteries, d’ordres puis de menaces pour me contraindre à épouser la fille de mon oncle alors même que j’avais entamé ma transition et mon traitement hormonal.

Ils ont fini par comprendre que mon refus était catégorique et que mes intérêts « secrets » pour la communauté LGBT étaient irrévocables. Ils ont alors décrété que j’attirais la honte sur la famille et m’ont reniée.

À ce moment-là, il était devenu particulièrement difficile de trouver ne serait-ce qu’un emploi, sans parler d’un endroit sûr où m’installer. À partir du moment où j’ai commencé à me présenter comme transexuelle à la face du monde, j’ai très vite été confrontée aux désirs sexuels insatiables et incessants de la gent masculine.

On me suivait la nuit quand je me déplaçais seule en scooter, je subissais les mains baladeuses dans le bus si je m’aventurais à prendre les transports publics, on me proposait tout le temps de l’argent contre des rapports sexuels et j’ai même été kidnappée deux fois. J’ai réussi à échapper au viol une fois, mais pas la seconde.

Plus tard, un homme qui m’approcha sous couvert d’amour, dont je finis par presque tomber amoureuse, me proposa de devenir sa « femme secrète » tandis qu’il épouserait sa compagne de longue date, dont il ne m’avait jusqu’alors jamais parlé.

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J’ai eu d’autres petits amis, mais aucun d’entre eux ne m’a jamais assumée au grand jour : j’étais vouée à rester une liaison secrète, et je finis chaque fois par découvrir qu’ils avaient une petite amie féminine (biologique), dont ils n’avaient jamais pris la peine de me parler. Aucun des hommes que j’ai croisés n’était disposé à assumer notre relation en public.

Comment le côté conservateur de Chennai se manifeste-t-il au quotidien ?

Le gros de la société évite les transexuel-le-s. Personne n’a envie de parler ouvertement d’homosexualité ou de transexualité. Toute personne pour ainsi dire « normale » ayant un-e ami-e homosexuel-le sera automatiquement moquée et étiquetée.

Vous ne verrez aucun amant de transexuelle vivre sa relation ouvertement et renoncer à épouser une femme biologique pour lui faire des enfants, comme le veut le modèle du mariage monogame qui reste l’unique modèle accepté par la société.

Cet état de fait génère énormément d’angoisse et de stress émotionnel pour les personnes homosexuelles ou transexuelles. Parfois, des usagers refusent de s’asseoir à côté d’un transexuel dans les transports en commun, comme s’il s’agissait d’un individu intouchable.

Les transexuels, de manière générale, sont considérés comme des travailleurs du sexe bas de gamme qu’on peut abuser à loisir. Les employeurs hésitent beaucoup à les embaucher, à l’exception peut-être des rares multinationales implantées en Inde.

Ce double standard social est tel que la plupart des hommes qui évitent les transexuel-le-s le jour leur rendent visite la nuit, pour du sexe tarifé ou sans lendemain. Naturellement, tout est oublié dès l’aube et personne ne songerait à en parler.

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Tu travailles à la télé : comment ta recherche d’emploi s’est-elle passée ?

Ça n’a pas été simple, surtout pour un poste de présentatrice. Je me suis faite jeter de plusieurs chaînes de télé, tout simplement pour avoir osé entrer et me renseigner au sujet des opportunités.

Ça s’est passé différemment chez Star Vijay TV. La chaîne était gérée par des personnes jeunes et instruites, on m’y a accueillie plus volontiers. Je ne vous cache pas qu’ils étaient un peu nerveux quant à l’accueil que réserverait le public à l’émission, mais tout s’est bien passé.

On me demandait récemment quel était le statut légal des transexuel-le-s en Inde.

Étrangement, l’identité transexuelle est légale sur les passeports indiens (NDLR : contrairement à beaucoup d’autres pays occidentaux, par exemple). La liste qui figure dessus permet à son détenteur de cocher « masculin », « féminin » ou « autre ». Les services d’État du Tamil Nadu ont même ce qu’ils appellent la T identity.

Au moins sur le papier observe-t-on un maigre degré d’acceptation, même si son pendant social reste affligeant.

Mais alors, existe-t-il un statut légal pour l’homosexualité ? Est-ce que la bisexualité en a un, par exemple ?

L’homosexualité N’A PAS d’existence en Inde. C’est du moins l’opinion que la plupart des gens ont. Ils voient ça comme un apport occidental et l’abhorrent. Le verdict rendu en juin 2009 par la court de Delhi décriminalise l’homosexualité entre adultes consentants dans une décision historique contre la section 377 du code pénal indien. Hélas, ce jugement a été contesté par la court suprême indienne, la procédure est toujours en cours.

Dans une interview précédente, Sarojini Sahoo posait le patriarcat comme grand responsable de la condition des femmes. Que pensez-vous que les jeunes femmes devraient faire pour se libérer du poids des traditions ?

Toutes les filles indiennes devraient commencer par arrêter de croire que l’ultime réalisation de la femme réside dans le mariage hétérosexuel monogame et la maternité qu’il suppose. Cette vision sacralisée de la femme, au sens religieux du terme, est à la base de l’oppression des hommes sur les femmes.

Le mariage devrait être un choix, alors qu’il est l’unique option qui se présente à la majorité des filles qui sortent de la puberté. Ces fillettes sont élevées dans l’idée du mariage comme stade final. Se libérer de l’institution du mariage telle qu’elle existe ici revient à se libérer de l’emprise masculine.

Il faut être capable de choisir un petit ami, quelqu’un de gentil, de prévenant, qui respecte les femmes. Alors seulement, les femmes échapperont au contrôle du mari, accèderont à l’emploi et à l’indépendance financière.

J’ai adoré la LGBT Pride de Chennai en mai dernier ; comment décrirais-tu le mouvement LGBT en Inde ?

Le mouvement LGBT en Inde gagne chaque année en vigueur et en résonance grâce à Internet. De plus de plus de gens font leur coming out et en appellent au changement social, ce qui est une réelle évolution…

L’Inde en tant que nation a évolué ces dernières années pour devenir plus accommodante, même si quelques États restent très conservateurs. Il reste néanmoins beaucoup de choses à faire, particulièrement en terme de tolérance et d’acceptation totale de la communauté transexuelle.

Merci à Rose pour son temps et ses réponses !


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Les Commentaires

6
Avatar de salvia
2 décembre 2013 à 20h12
salvia
Je viens seulement de découvrir l'article puisque je rentre tout juste de plusieurs semaines passées... en Inde.

@Roberte-
Merci pour cette interview très touchante! Par contre je ne peux pas m’empêcher de relever ce passage:

"j’ai également pris la mesure de l’homophobie qui règne aux États-Unis. La première chose que j’ai apprise en terme de socialisation aux USA, c’est qu’il était préférable de ne pas se balader main dans la main avec un autre homme, sous peine d’être pris pour un gay. Chose qui n’est absolument pas le cas en Inde, où le fait de se tenir par la main entre hommes est pris pour ce que c’est : une manière de se témoigner sa sympathie mutuelle."

Qu'en est-il du fait de se tenir par la main entre un homme et une femme? Je sais que cela est très mal vu en Inde, sais-tu pourquoi?

Il me semble qu'en occident, le fait de se tenir par la main passé un certain âge, démontre en effet un lien intime que l'on peut supposer sexuel (tout comme le fait de s'embrasser sur la joue, acte également mal vu en Inde). De ce fait on suppose automatiquement qu'un homme et une femme qui se tiennent par la main sont en couple, tout comme deux hommes ou deux femmes qui se tiendraient par la main. J'imagine que les indiens aussi supposent qu'un homme et une femme qui se tiennent par la main partagent leur intimité puisqu'ils désapprouvent ce geste qu'ils jugent inapproprié en public. Pourtant, ils n'appliquent pas cette idée aux hommes.
N'est-ce pas le signe au contraire d'une homophobie bien plus marquée qu'aux USA puisque l'idée même que deux hommes puissent être ensemble ne semble pas leur effleurer l'esprit?

Il est "amusant" aussi de constater que ce comportement est également présent dans d'autres pays où les femmes sont souvent cachées et reclus... Je ne sais pas trop quoi en conclure mais ça m'interpelle. Voila, désolée pour le HS!
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