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Société

Je suis policière municipale, mais pour certains je suis une « bâtarde de flic »

Cette lectrice de Madmoizelle est policière municipale. Face à des manifestants lui scandant de se suicider, elle a voulu écrire ce texte.

Après avoir suscité de nombreuses réactions lors de sa première publication, ce témoignage ci-dessous a été mis à jour le 30 avril 2019. Retrouvez la nouvelle partie à la fin de l’article.

Le 29 avril 2019

Ce témoignage nous a été envoyé par une lectrice de Madmoizelle, qui fait partie de la police municipale.

Le sujet est sensible, aussi la rédaction rappelle que le respect pour les personnes témoignant sur le magazine est exigé dans vos réactions.

Les flics, « suicidez-vous »

Paris, 20 avril 2019.

Comme chaque samedi depuis novembre, deux groupes se font face, tous deux casqués, dans un nuage de lacrymo sous un ciel bleu profond, l’un vêtu de noir et bleu, l’autre de noir et jaune.

Et soudain.

« SUICIDEZ-VOUS ! »

Scandé plusieurs fois, en chœur, par les noirs et jaunes aux noirs et bleus.

Je suis flic, et mon cœur s’est arrêté.

Je suis une femme policière de 27 ans

J’ai 27 ans, je suis flic et mon compagnon est flic.

Enfin… Je suis policière municipale, anciennement gendarme, et lui gendarme de carrière. Mais pour une minorité de personnes qui nous détestent, nous sommes des « bâtards de flics ».

Et pour ces personnes, nous ne méritons pas de vivre ; sous notre tenue, il n’y a pas de vie, nous ne sommes pas parents, frères ou sœurs, nous n’aimons personne et nous n’avons pas de cœur qui bat.

Nous n’avons pas de passé, pas de futur, nous n’avons rien qui justifie notre existence sur Terre et donc que nous vivions.

Ils n’hésitent pas à mettre le feu à notre véhicule de fonction alors que nous sommes dedans, à nous foncer dessus pour éviter un contrôle juste parce qu’ils ont un peu bu… Mais pas assez pour perdre leur permis.

C’est du vécu.

Ma vraie vie de policière

Combien de personnes savent réellement quel est notre travail ? Nos compétences judiciaires, nos formations, nos champs d’action ?

Combien savent que les gendarmes ont des astreintes, des temps où ils doivent être disponibles immédiatement pour intervenir sur divers faits (allant d’un simple cheval divaguant à un accident mortel avec plusieurs véhicules, parfois à la suite), sans impact sur le salaire ?

Que le policier national, que vous haïssez ce soir de vous avoir retenu (les suspensions et annulations étant du ressort de la préfecture ET du tribunal) votre permis de conduire pour voir trop bu, annonçait le matin même à un père et ses enfants que la mère était décédée dans un accident de la route, percutée par un chauffard ivre mort et sans permis ?

Et tout ça après une garde à vue de 36 heures dans des locaux sans chauffage et moisis ?

Combien d’hommes et de femmes battues, d’enfants victimes de viol, ces femmes et hommes voient au cours de leur carrière, encore plus les enquêteurs et enquêtrices spécialisées…

Pour constater, après avoir rendu un dossier aussi épais qu’un parpaing, que la personne mise en cause ne sera condamnée à aucune peine de prison ferme ?

Pourquoi je suis devenue policière

J’ai choisi d’être flic parce que je voulais porter secours et mettre les méchants en prison.

Je fais mon métier avec passion et dévouement, autant d’humanité que possible (bien que mes compétences judiciaires en tant que policière municipale soit très limitées), alors que certains ne me considèrent même pas comme un être humain.

Et je débecte les agents qui font leur métier avec « trop de zèle », qui du fait de leur comportement font que les gens ne se souviennent que d’eux.

Ceux qui frappent, qui lancent des commentaires racistes et sexistes, qui font oublier tous les autres — qui font leur métier de façon respectueuse, digne, et déontologique.

Je suis policière, et j’ai peur

Ce texte, c’est un peu comme un cri du cœur, parce que j’ai peur aujourd’hui, j’ai mal.

J’ai peur de mourir juste parce que j’ai le mot « POLICE » dans le dos, j’ai peur de perdre mon compagnon, ou qu’il perde son travail parce qu’on lui aura lancé un cocktail molotov dessus, ou de l’acide.

J’aimerais dire « Eh ! Chez nous aussi il y a des gens bien ! Chez nous aussi il y a des gens qui ont envie que ça change ! ». C’est un peu comme partout en fait, pas d’amalgame, des cons y en a partout.

Mais mon travail moi je l’aime, même si dans un monde utopique nous ne devrions pas exister…

Je me demande donc pourquoi on nous hait tellement, alors que c’est l’être humain lui-même qui a créé ce métier.

Car l’être humain est le seul habitant de la Terre qui n’arrive pas à vivre dans le respect des autres membres de son espèce, dans le respect du travail de l’autre, de la vie de l’autre.

En étant flics, nous aimerions être acteurs de l’amélioration du vivre-ensemble, malheureusement nous sommes les spectateurs privilégiés de sa dégradation, assis au premier rang.

J’aimerais tellement que mon métier n’existe pas.

Je suis policière, et je suis humaine

Je suis flic, mais je suis aussi une vie, une sœur, une fille, une compagne.

Bien entendu, je pense aussi à toutes ces personnes qui nous font confiance, qui nous considèrent comme autre chose qu’un simple numéro sur un uniforme.

Toutes ces personnes qui, à l’instar des « flics bien », sont plus discrètes que les « anti », mais sûrement plus nombreuses.

Je pense à tous ces enfants qui ont les yeux pleins d’étoiles quand ils voient les motards de la gendarmerie ou la police. Je pense à toutes ces personnes qui ont eu besoin de nous et ont pu trouver une écoute, des conseils, de l’aide, du soutien et justice.

Car notre métier finalement, ce n’est même pas de mettre les méchants en prison : c’est de les attraper pour que la justice les mette en prison. Mais ça, c’est une autre histoire…

À lire aussi : J’ai testé pour vous : être fille de policier

J’ai lu vos commentaires, et vos échanges m’ont fait réfléchir. J’ai l’impression de ne pas avoir réussi à transmettre ce que je voulais dire, alors je reprends la plume pour essayer de faire mieux passer mon message.

La gendarmerie, milieu patriarcal

Je me suis souvenue du moment où je me suis engagée. Je pensais que le métier serait « comme sur les affiches »… la réalité est toute autre.

J’ai découvert un milieu patriarcal et archaïque, celui de la gendarmerie. Je l’ai d’ailleurs quitté pour ça, même s’il m’a beaucoup apporté.

Il m’a notamment appris à surmonter ma timidité, à prendre confiance en moi — il le faut pour oser contrôler les gens, parfois leur mettre des contraventions, quand on est une toute jeune femme !

Ma vie de policière municipale

Après la gendarmerie, j’ai voulu passer les concours pour être policière nationale (et non municipale). C’était en pleine affaire Théo, ce jeune homme pénétré au niveau de l’anus par une matraque pendant son interpellation.

Je ne voulais pas devenir ce cliché de flic raciste, violent, misogyne. Je suis devenue policière municipale.

Certaines d’entre vous ont d’ailleurs noté dans les commentaires qu’en tant que policière municipale, je ne devrais être que peu concernée par les manifestations car les encadrer ne fait pas partie de mes attributions.

C’est vrai, et j’aimerais un jour raconter mon vrai quotidien de policière municipale. Mais ce sera quand j’aurai changé de commune, car actuellement, mon job se rapproche trop de celui d’une policière nationale…

En effet, la police nationale, là où je vis, manque d’effectifs, alors je me retrouve à accomplir des missions qui s’éloignent de mes attributions classiques, comme des actions dépendant de police secours, ou des interpellations (vols, bagarres, vente de stupéfiants, etc.).

C’est pour cela que je vais changer de lieu de résidence : pour retrouver mon métier de policière municipale.

Les Gilets Jaunes et moi

Revenons-en aux manifestations, dont je parle dès le début de mon témoignage, écrit quelques jours après le « choc » de ce « Suicidez-vous ».

Ce « Suicidez-vous » qui succédait à « Ne vous suicidez pas, rejoignez-nous », fut le basculement qui m’a poussée à écrire, mais j’étais déjà consciente de la situation catastrophique entre nous et le peuple.

Je voudrais dire, en premier lieu, que les Gilets Jaunes, je les comprends.

Je comprends que ces gens en aient marre, marre de la violence, de la précarité, marre de souffrir. Je comprends la colère face à un sentiment d’abandon, face à la fatigue ressentie semaine après semaine.

Moi-même, au début de ma carrière, l’État me payait 780 € par mois. Je travaillais 45 heures par semaine. J’avais besoin de ce même État, de ses aides sociales, pour joindre les deux bouts.

Épuisement chez les forces de l’ordre

Je suis amenée à côtoyer des policiers nationaux et des CRS, certains n’en peuvent plus.

Je pense à ce flic, normalement rattaché à police secours, mobilisé en renfort pour encadrer les manifestations, qui a perdu pied et demandé à ne plus accomplir cette fonction au bout de 15 jours.

« C’est pas mon boulot, je ne suis pas formé, je n’ai pas de matériel pour me protéger, il faut me sortir de là. »

Je pense à ce CRS m’expliquant qu’en un mois et demi, il a dû avoir deux jours de repos, et pas à la suite. À ses nerfs au bord de craquer.

À ce sujet je vous renvoie vers l’excellente BD d’Emma : L’histoire d’un gardien de la paix.

Je veux faire mon métier avec humanité

La société française va mal. Je comprends tout à fait les gens qui sont en colère, qui ont la haine envers les flics.

Mais je n’arrive pas à croire que c’est en quittant la police que je la ferai changer. Au contraire, j’ai envie qu’elle s’améliore de l’intérieur.

Ma vision de mon métier est basée sur l’humanité, la compréhension, le dialogue. Même quand je pose une contravention, je suis prête à discuter.

Chaque personne est unique, elle a ses problèmes (personnels, financiers…), il est possible de s’adapter.

J’aimerais voir la confiance revenir, j’aimerais que les forces de l’ordre protègent les Français et Françaises qui manifestent, afin qu’ils puissent exercer ce droit en paix et sans peur.

Les violences policières et le racisme

Je suis désolée pour tous ceux et toutes celles qui ont subi des violences policières. Je les condamne, et je serai la première à dénoncer un collègue qui en serait l’auteur.

Je réagis aussi à certains qui sous-entendent qu’on ne dit rien à des Jean-Michel mais qu’on s’amuse avec des gens aux noms d’origines étrangères : à mes yeux, il n’y a rien de pire que les « cols blancs ».

Ces hommes, essentiellement, blancs, essentiellement, qui tirent de ces caractéristiques un énorme sentiment d’impunité et de protection.

Le genre d’homme qui me prenait de haut lorsque, gendarme de 24 ans, je le verbalisais pour un excès de vitesse devant une école, tentait de m’intimider parce qu’il est patron d’entreprise et roule dans un véhicule aussi gros que ma chambre…

Ma colère ne vise pas le peuple français

Oui, je suis en colère. Oui, je pousse un coup de gueule.

Mais je l’adresse aux responsables hauts placés qui laissent les gens souffrir, qui ferment les yeux sur les personnels, qui chient sur le code de déontologie, qui refusent que nos services de polices et gendarmerie avancent avec leur temps, qui restent dans un système archaïque qui va droit dans le mur — un mur formé de millions de Français.

Oui, nous servons l’État, ou la mairie dans mon cas, mais nous servons avant tout le peuple. Et je veux servir le peuple.

Tout doit changer. Mais ce n’est pas en quittant la police que je pourrai changer quelque chose, ou du moins essayer.

Changer la police, j’y crois encore

Si un jour je pars, ce sera parce que je ne me sens plus capable de faire mon métier avec humanité et bonté.

Pour le moment, je m’accroche aux personnes qui me disent merci, merci de mon aide, merci de faire mon travail, merci de les avoir protégées ou sorties d’un mauvais pas.

Je m’accroche au fait que personne ne s’est plaint de la façon dont je bosse, du traitement que je lui ai accordé.

Être policière, qui plus est quand on est une femme jeune et féministe, ce n’est pas facile tous les jours, car le milieu est profondément patriarcal. Mais je refuse de me dire que « c’est comme ça et pas autrement ».

Si chaque jour je peux faire mon métier comme moi je le vois, avec humanité et tolérance, et comme la population l’attend de moi, alors je serai satisfaite.

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Les Commentaires

343
Avatar de Lenoxette
10 avril 2023 à 21h04
Lenoxette
AnnéeNombre de décèsNombre de blessés
201714une centaine
201815106
201919117
Bof , perso je suis pas impressionnée par ces chiffres, qui ne comportent pas que les bavures d'ailleurs (des terroristes sont compris dedans).
Je met au défi n'importe quelle police étrangère d'en faire autant, avec le comportement et les dérives qu'on connait de certains de nos concitoyens.
0
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