Il y a quelques jours, mes oreilles ont entendu ce qu’elles n’auraient jamais voulu entendre : invitée dans l’édition spéciale « Fashion Week », sur la nouvelle chaîne Chérie 25, Delphine Apiou, la rédactrice en chef de Biba, donne son opinion sur « les grosses » et la mode.
À la question « Pourquoi les mannequins sont si maigres ? La majorité des femmes que l’ont voit dans la rue ont des formes. Pourquoi ? », Delphine Apiou s’empresse de répondre en s’appuyant sur les propos de Karl Lagerfeld :
« C’est une débat complètement schizophrénique dans cette société aujourd’hui. Il faut commencer par dire qu’il faut arrêter l’hypocrisie. La mode ça va quand même mieux aux minces qu’aux grosses, c’est un fait établi ! Lagerfeld le dit ! Les grosses, c’est difficile à habiller. La mode quand on est grosse c’est compliqué. Il faut choisir d’autres vêtements. Maintenant ce discours, « les rondes c’est bien, on veut voir des rondes »… On veut voir des grosses mais on ne veut pas être grosse. Donc c’est très compliqué de montrer les filles dans les magazines. On ne veut pas voir des filles grosses, ou alors en one shoot. Juste un petit coup pour leur dire « Oui, elles sont super bien dans leur peau, c’est génial ». Mais après, on a tous les régimes, on a toute la philosophie du corps svelte et mince. (…) Ce n’est pas vrai, quand on est ronde, on est pas bien dans sa peau. Quand on est gros, c’est comme quand on veut arrêter de fumer. Quand on est gros, on veut être plus mince ! »
(Étrangement, la vidéo de cette intervention a été supprimée…)
Je dis NON. Non à ces diktats qui sont censés guider nos vies. Qui sont ces hommes et ces femmes qui osent se permettre de ranger les gens dans des cases ? Si le milieu de la mode est ouvert sur certains points – on saluera d’ailleurs Chanel qui s’engage en faveur du mariage pour tous en faisant défiler deux mariées lors de la Fashion Week– il n’en reste pas moins l’un des plus réfractaires au sujet de l’évolution de l’image du corps.
Comment expliquer ça ? Le business de la mode a besoin d’entretenir cet idéal quasi-inaccessible qu’est celui de la minceur. En effet, très peu de femmes peuvent changer leur morphologie, atteindre un tel poids, sans que cela implique d’importantes conséquences d’un point de vue médical. On ne peut jouer avec sa santé à l’infini. La morphologie lambda des femmes n’est pas une taille 36 : en 2009, la taille moyenne des femmes en France était le 40
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Alors pourquoi ? L’industrie de la mode a vite compris qu’il est plus facile d’avoir de l’embonpoint que d’être mince. L’impossible faisant rêver, c’est naturellement que les idéaux de la mode ont convergés vers cette image là. Tout comme aux siècles précédents, où la majorité des gens étaient maigres, musclés et bronzés à force de labeur en extérieur, on préférait les corps pâles et gras. De nos jours, l’idéal corporel s’inverse. Les médias montrent ces grandes femmes minces comme symbole d’un parfait équilibre de vie : les gens en bonne santé sont minces et les gens minces sont aimés. C’est un triangle parfait renvoyant aux idéaux de la société : obtenir l’Amour et l’Admiration d’autrui. Un idéal qui n’est, en fait, qu’une illusion…
La mannequin plus-size Tara Lynn pour H&M
Madame Delphine Apiou, moi, jeune femme dans la « norme », je vous demande de vous arrêter un instant. Lâchez vos photos de magazines, vos mannequins podium. Sortez. Sortez, et regardez le monde. Regardez ces femmes et ces hommes dans la rue. Il n’y a rien qui soit laid ou honteux. Rien qui ne mérite pas d’être vu. Tout ce que vous voyez là, c’est la vraie vie.
Moi, jeune femme dans la « norme », qui vit parmi ces gens et avec ces gens – les chauves, les blonds, les gros, les grands, les petits – je sais ce qui nous rend si extraordinaires. Ce n’est pas notre uniformité, ce sont nos différences. Les humains ne seront jamais un monochrome de Malevitch ! Allez donc faire un tour chez ces bloggeuses formidables, ces femmes de la rue, qui vous prouveront que vous avez tort. Stéphanie Zwicky sera toujours plus resplendissante, rayonnante, qu’un mannequin qui tire la tronche.
Cessez de vous cantonner dans nos idées préconçues. Heureusement, vos propos désuets ne représentent pas la totalité des gens qui font la mode. Jean-Paul Gaultier, l’un des plus grands créateurs, n’a-t-il pas fait défiler toutes les femmes ? Étaient-elles laides ? Semblaient-elles mal dans leur peau ? Non, elles étaient juste des femmes.
Comment ne pas être outré qu’en 2013 certaines personnes, aussi influentes que vous, puissent oser avoir une opinion si surannée ? Votre poste au sein du magazine Biba fait de vous un modèle auprès de beaucoup de vos lectrices. Malheureusement vous ne renvoyez que l’image d’une femme fermée et intolérante.
Et j’ai honte d’être une femme qui aime la mode comme vous, lorsque j’entends vos propos. Vous ne montrez du monde de la mode qu’un aspect bien terne et étriqué, alors qu’il est bien plus que ça. La mode n’est pas faite pour UNE femme, elle est conçue pour toutes les femmes. Il n’y a aucune beauté prédéfinie. La haute couture n’est pas créée pour un corps, mais pour émerveiller, faire naître des émotions. Elle n’est pas là uniquement pour sublimer celui ou celle qui la porte, mais pour être une forme d’art. Elle n’est pas faite pour un idéal inaccessible, ni réservée à une élite. Elle est un dialogue avec l’esprit.
En espérant que ma voix, représentant beaucoup d’autres, se fera entendre assez fort pour que vos « Spécial mode pour les grosses » puissent un jour devenir des « Spécial mode » tout court.
Signé Zoé, taille 38.
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