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Culture

Femme-serpent mais aussi reine du BTP, la fée Mélusine est pleine de surprises

Bien loin de la petite créature ailée mignonne, la fée Mélusine est surtout un personnage emblématique de la France médiévale et une femme insaisissable aux mille visages. Retour aux origines du mythe.

Article initialement publié le 11 mars 2015.

Vous connaissez peut-être la légende de la fée Mélusine, ne serait-ce que dans les grandes lignes.

Mais si, cette femme affligée d’une malédiction qui lui fait pousser une énorme queue de serpent à la place des jambes une fois par semaine ! Un mariage épanoui où règne la confiance aurait pu l’en délivrer, mais si les mythes et légendes se terminaient comme un Disney, ça se saurait.

Et si tout ça vous dit quelque chose, c’est parce que Mélusine est un personnage bien connu des contes et légendes français, qui nous viendrait des écrits et traditions du Moyen Âge. C’est un mythe français, bien de chez nous — du Poitou, la plupart du temps, bien que les régions se l’arrachent.

Serait-elle donc notre sirène française, au même titre que le coq mais avec une excroissance de serpent ? Ah, mais on la dit fée, et sa queue qui va et qui vient (sans sous-entendu) la rapproche d’autres créatures surnaturelles, comme la nymphe des eaux ou la vouivre. Ou un dragon ailé. Le tout doublé d’une succube. Vous saviez qu’elle construisait des châteaux ?

Bon, finalement, vous n’êtes plus très certaines de bien savoir qui est Mélusine. Ce n’est pas grave. On va prendre le mythe à sa racine.

Aux origines de la fée Mélusine

Les fayots plus calés en la matière me parleront de Raymondin, le brave époux de Mélusine qui partage son histoire. Pas si vite mes lapins ! Pour expliquer la malédiction de Mélusine, il faut en croire ce qui nous est parvenu de la tradition orale.

Tout commence lorsque sa mère, une fée des eaux nommée Pressine, épouse le roi Élinas d’Albanie (le nom gaélique de l’Écosse). Un beau mariage d’amour, qui connaît néanmoins une condition : il ne devra jamais essayer de la voir « pendant ses couches ». Comprenez « lorsqu’elle a ses règles ».

Bien sûr, Élinas ne s’y tient pas, et se débrouille pour voir sa douce lors d’un de ses mauvais jours, alors qu’elle baignait leurs trois petites filles : Mélusine, Mélior et Palestine. Comme si des noms pareils n’étaient pas raison suffisante pour un traumatisme infantile, Pressine pète aussitôt un câble et s’enfuit avec sa progéniture sur l’île d’Avalon, l’Autre Monde de la tradition celtique.

« On n’est pas trop en France, jusque là »… Patience, lectorat, patience. Pour l’instant, Pressine élève ses filles un peu plus au Nord, pleine de rancœur pour leur père. Forcément, lorsque les petites grandissent, elles en veulent à Élinas, et Mélusine réussit à convaincre ses sœurs de venger leur maman en l’enfermant à jamais dans une montagne. Si jeune, et déjà si créative.

Vous pensez que maman Pressine serait fière de sa progéniture ? Que dalle. Furieuse, alors qu’elle venait quand même de passer quelques siècles à raconter des saloperies sur son mari devant ses filles, elle punit ces dernières à son tour. Et chez les fées, l’alternative à « file dans ta chambre », c’est :

  • « Mélior, tu passeras ta vie à garder un épervier magique dans un château d’Arménie. »
  • « Palestine, tu garderas le trésor de ton père enfoui dans le mont Canigou avec un lutin qui pue jusqu’à ce qu’un chevalier cupide se pointe et te sauve comme une demoiselle en détresse. »
  • « Mélusine… Mélusiiine… Bon, j’ai plus rien, là. Ah tiens, un serpent. Oui, un serpent ! Ben voilà, chaque samedi, tu auras une énorme queue de serpent à la place des jambes, et tu ne pourras annuler cette malédiction que si tu rencontres un homme capable de fermer les yeux sur ce détail. Pourquoi un samedi ? Je sais pas. »

Et non, Palestine n’a pas fini en Palestine. Petits malins.

Mélusine et Raymondin, un amour qui finit en queue de serpent

L’histoire se répète aussi dans les légendes, et la vie maudite de Mélusine va refléter celle de sa mère : le peu d’éléments qu’il nous reste de la légende appuie cette version, il est fort possible que Pressine, « fée des eaux », ait elle aussi été affligée d’une queue de serpent. En mode petite sirène.

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Illustration par la talentueuse E.J. Jenkins

Cherchant à oublier sa peine, la fée Mélusine traverse la mer et les territoires, et c’est le Poitou qui l’emporte : c’est là qu’elle rencontre Raymondin, le neveu du comte de Poitiers. Les circonstances de la rencontre, très floues, laissent à penser que des éléments importants de la légende se sont perdus au fil des siècles. Les versions les plus récentes, et l’histoire retranscrite par Jean d’Arras dans Le Livre de Mélusine (1392), indique que Raymondin découvre « trois dames de grand pouvoir » autour d’une fontaine. Dans une forêt. À minuit.

Pourtant, la suite s’enchaîne bien vite. Il est charmé par l’une d’elles, Mélusine, qui lui promet de lui apporter la prospérité s’il l’épouse. Malgré les petites lettres en bas du contrat qui stipulent qu’il ne doit pas essayer de la voir le samedi, il s’empresse d’accepter. Ils se marièrent, et ils eurent… Dix fils.

Tout va bien dans le meilleur des mondes. Le couple est heureux, et chaque samedi, lorsque Mélusine s’isole pour cacher sa queue de serpent, Raymondin vaque à ses occupations. Mieux encore, lorsque Raymondin est retenu par ses obligations de comte, Mélusine, elle, bâtit. Parfaitement, elle bâtit ! Elle construit des trucs, quoi. Pas des chaises, pas des cabanes : des villes et des châteaux.

La légende ne dit pas comment la population a vécu ces constructions miraculeuses, mais veut que Mélusine soit à l’origine de la ville de Lusignan, dont elle fait de Raymondin le premier roi d’une grande lignée, mais aussi de Tiffauges et des abbayes de La Rochelle. La fée bâtit et distribue le pouvoir ; elle organise, en un sens, les frontières du pays.

Et puis un jour, le frère de Raymondin, qui a peut-être du mal avec cette bonne femme plus puissante que lui, insinue que le samedi, elle fait cocu son époux. Ce dernier, choqué, rejoint la tour que sa femme avait construite pour s’y réfugier, et fait un trou dans la porte pour l’espionner.

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La Belle Mélusine de Julius Hübner – 1844

Les versions diffèrent sur la suite, mais se terminent toutes de la même manière : Raymondin découvre et renie la nature de Mélusine qui, démente, pousse un hurlement de douleur en se jetant par la fenêtre. Elle se change entièrement en serpent géant, ou en dragon, et disparaît dans un cri surnaturel. Rien que ça.

Et la légende dit encore qu’elle continua à veiller sur sa descendance, et que lorsque l’un d’eux était sur le point de mourir, c’était son cri que l’on entendait percer la nuit.

Mélusine, la fée bâtisseuse

Cette légende étonnamment bien construite doit sa survie jusqu’à nos jours aux écrits de Jean d’Arras et de Coudrette au 14ème siècle. Ils lui ont conféré une dimension presque historique, en faisant d’elle la fondatrice de la lignée des Lusignan. Et pourtant, la symbolique de l’histoire de Mélusine et sa nature ont droit à un bon nombre d’interprétations différentes.

melusine gravure
Mélusine découverte par Raymond de Lusignan, gravure anonyme, 1870

Déjà, Mélusine continuant à veiller sur la lignée qu’elle a fondée, et le cri qu’elle pousse à l’approche d’une mort au sein de la famille, rappelle à la fois le folklore des elfes ou génies liés à une famille, et la figure mythique de la Banshee, la femme annonciatrice de mort. Cours de rattrapage ci-dessous.

C’est vrai que vue comme ça, cette histoire des origines du Poitou, de Lusignan et d’une partie de la Bretagne ressemble davantage à une légende locale qu’à un mythe universel. Et c’est probablement le but de Jean d’Arras et consorts lorsqu’ils couchent sur papier des éléments du mythe à la demande de divers ducs et seigneurs ! Car en opérant ainsi, ils donnent un contexte historique à l’histoire de Mélusine.

Fin 14ème siècle, on est en pleine guerre de Cent Ans, et le Poitou est un territoire stratégique. En faisant de la fée Mélusine la fondatrice de la lignée des Lusignan, la famille se pare d’une dimension extraordinaire qui ne peut faire que du bien à sa cote de popularité. Comment une dynastie ayant une ascendance féérique pourrait-elle ne pas être légitime ? Hop, petite stratégie politique.

melusine tableau moyen age
« Laisse, je gère. »

D’un autre côté, Mélusine est une fée bâtisseuse. Elle s’impose comme un mythe fondateur, ou de civilisation, en bâtissant villes, murailles et monuments de pouvoir — bref, un véritable symbole de conquête face à la barbarie (ou l’anarchie).

Mais cette Mélusine-là est le produit de la mise à l’écrit d’une tradition orale, et il est impossible non seulement de connaître les origines du personnage, mais aussi de savoir quels éléments du mythe ont été conservés, et lesquels se sont perdus avec le temps. On devine que des détails ont pu avoir de l’importance, comme l’hybridité de Mélusine, à la fois femme et animal, ou l’isolement de Pressine pendant ses couches. On peut les interpréter de mille façons différentes.

Quant à la présence de l’île d’Avalon à la genèse de l’histoire de Mélusine, lieu mythique omniprésent dans la tradition celte, elle laisse à penser que la légende n’est pas née du côté du Poitou (désolée les Poitevins), et qu’elle est beaucoup plus vieille qu’on ne le pense.

Les mille apparences de Mélusine

En sortant donc la légende de son contexte historique, on s’aperçoit qu’elle aborde des thèmes universels. L’hybridité de Mélusine, fée et femme, humaine et serpent, entre monde terrien et monde aquatique, rappelle par exemple la sirène, femme occulte entre deux natures.

Elle est d’ailleurs souvent représentée avec les mêmes attributs de séductrice que la sirène : une femme qui peigne ses longs cheveux relâchés.

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« Mermaid » de John William Waterhouse

Il y a aussi le thème de l’alliance entre le mortel et l’être féérique, une histoire qui se termine systématiquement mal avec la transgression de l’interdit, comme pour rappeler qu’il faut savoir rester à la sa place (non mais). D’ailleurs, entre le fait qu’elle séduit Raymondin et celui qu’elle se change en serpent, vous vous doutez que Mélusine a facilement finie diabolisée, pour devenir une succube charchant à s’unir à un pauvre mortel.

Elle s’apparente aussi à la légende de la vouivre, cette créature mythologique aux allures de dragon avec une énorme pierre précieuse sur le front, qui se change parfois en jeune fille (si ce n’est l’inverse). Et que dire de la figure de la femme-serpent, déjà présente dans l’Antiquité avec par exemple Lamia, monstre de la mythologie grecque, ou les Gorgones ?

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Méduse, Le Caravage

Tant de liens et d’interprétations qui, finalement, n’aident pas à éclaircir le mystère derrière la légende de Mélusine… femme subversive s’il en est. Mais vous commencez à avoir l’habitude des femmes subversives dans la mythologie, ces êtres d’une grande puissance que le temps semble avoir rendu étrangement maléfiques.

Pour aller plus loin…

  • Mélusine moderne et contemporaine, par Arlette Bouloumie
  • Mélusine et le chevalier au cygne, par Claude Lecouteux
  • Les Fées au Moyen-Age, Morgane et Mélusine ou la naissance des fées, par Laurence Harf-Lancner
  • La Déesse Mélusine, mythologie d’une fée, par Guy-Édouard Pillard
  • La légende et l’étymologie de Mélusine sur MythoFrançaise

À lire aussi : 3 monstres marins mythiques qui ne cessent de nous fasciner

Crédit photo : GO69, CC BY-SA 4.0, via Wikimedia Commons


Les Commentaires

16
Avatar de Timey Wimey Geeky
26 octobre 2021 à 17h10
Timey Wimey Geeky
Hyper intéressant. J'ai dévoré l'article. Je ne connaissais pas du tout Mélusine.
0
Voir les 16 commentaires

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