« Je sens que tu as à nouveau envie de t’amuser comme un enfant »
Ce furent les derniers mots de Jeanne, ma fantastique psy, avant qu’elle enchaîne « je suis un peu triste, ça va être notre dernière séance ensemble ». Je l’avais un peu anticipé, certes, mais de l’entendre me féliciter, ça m’a fait quelque chose.
J’ai respiré un grand coup, revécu en quelques instants le chemin parcouru depuis un an, savouré le travail effectué, je me suis levé avec un grand sourire sur le visage, je lui ai fait une grosse bise, et j’ai descendu les marches 4 à 4.
On est le 19 décembre 2017 et ma thérapie est officiellement terminée. Il y a un peu plus d’un an, on tentait de m’assassiner professionnellement, et me voici, quatorze mois plus tard, le menton relevé, le torse droit, paré à vivre de nouvelles aventures.
Je ne vais pas y aller par quatre chemins : dans ma vie, il y aura un avant-21 septembre 2016 et un après-21 septembre 2016.
Je ne vais pas y aller par quatre chemins : dans ma vie, il y aura un avant-21 septembre 2016 et un après-21 septembre 2016.
Ces tweets, ce portrait dépeint de moi, m’ont déchiré les entrailles, que j’ai traînées en bandoulière pendant plusieurs mois, à les regarder pendre, comme ça, sans vraiment avoir la force de les remettre en place. Boarf à quoi bon.
Ce fut sans doute l’épreuve la plus difficile de ma vie.
Retour sur les faits de #Badmoizelle
Le mercredi 21 septembre 2016 vers 21h30, un compte anonyme intitulé @SaferBlueBird, créé depuis quelques semaines, publie des témoignages anonymes émanant selon ce compte d’ex-salarié·es de madmoiZelle.
Ces tweets m’accusent de tout et n’importe quoi : pêle-mêle je harcèle moralement et sexuellement mes salarié·es, je licencie les femmes enceintes, je les oblige à montrer leurs seins sur Internet, je vire manu militari, j’oblige les membres de l’équipe à faire le ménage et à travailler le dimanche.
Dans les 10-15 minutes qui suivent, un hashtag est créé, #Badmoizelle — ce génie marketing. Les RT fusent et les premières insultes avec.
Moi, je suis au resto, en compagnie de Clémence et Lucie, deux membres de mon équipe. Entre quelques conversations enjouées, je vais faire un tour sur le forum de madmoiZelle et je vois qu’on m’a notifié : il est 22h30 et des membres du forum ont déjà repéré le message.
Difficile d’expliquer avec des mots ce que je ressens en lisant ces tweets, et les premières notifications qui me sont adressées. Je connais l’Internet, je me dis : « voilà, c’est mon tour ».
C’est une attaque ad hominem, sur les valeurs profondes qui m’animent et sur lesquelles j’ai fondé et construit la ligne édito de madmoiZelle depuis 11 ans.
J’avais connu des shitstorms, j’ai dit des conneries, j’ai appris des trucs, plein de trucs, la déconstruction a été lente et semée de coups plus ou moins violents venus des réseaux sociaux ou du forum madmoiZelle. Ils piquent l’ego, sont parfois virulents et peuvent te braquer mais sont au final souvent salvateurs, ou ils t’apprennent quelque chose.
Mais cette fois-ci, c’est autre chose : cette attaque est minutieusement préparée par un groupe d’individus qui orchestrent les RT, distillent dans le temps, petit à petit, les différents tweets de témoignages, pour faire vivre la polémique le plus possible.
Ces personnes tuent aussi immédiatement dans l’oeuf et avec agressivité les premières réactions qui tentent de me défendre… et c’est une attaque ad hominem, sur les valeurs profondes qui m’animent et sur lesquelles j’ai fondé et construit la ligne édito de madmoiZelle depuis 11 ans. Une vraie tentative de mise-à-mort personnelle.
Oui, en gros : j’ai eu droit à mon #Balancetonporc rien que pour moi, un an avant tout le monde, à la différence près :
- que toutes ces accusations étaient entièrement anonymes et n’ont été suivies d’aucune plainte d’aucune sorte
- que quand le moment de #Balancetonporc est arrivé, je n’ai bien sûr reçu strictement aucun message.
Au-delà de l’aspect incroyablement destructeur d’une telle campagne de dénigrement, elle s’est accompagnée d’une violente remise en cause de ma personne dans son ensemble.
Je ne pense pas être borné sur mes positions, je pense être tout à fait capable de me remettre en question, d’interroger, de chercher à comprendre l’avis de l’autre.
J’ai fait des erreurs, j’ai pu être maladroit, voire blesser des gens avec qui j’ai bossé, mais même dans les situations les plus tendues, je n’ai jamais eu d’intentions malveillantes.
Ça m’a permis d’apprendre énormément sur moi en 11 ans à la tête de madmoiZelle. J’ai fait des erreurs de communication, de management, j’ai pu être maladroit, voire blesser des gens avec qui j’ai bossé — que celui qui n’a jamais fait d’erreurs me jette la première pierre, mais je suis sûr d’une chose : je n’ai jamais eu d’intentions malveillantes envers qui que ce soit avec qui j’ai travaillé, même dans les situations les plus tendues.
Là, ces tweets me présentent tellement comme une personne que j’ai l’impression de n’avoir jamais été que le premier choc est une violente remise en cause personnelle : est-ce vraiment comme ça que j’ai été perçu par des gens avec qui j’ai longuement travaillé ? Qu’ai-je bien pu faire pour qu’elles se sentent à ce point mal à l’aise ? Ai-je vraiment une attitude de harceleur ?
Ce fut extrêmement dur à encaisser.
Plus de 1500 tweets postés les douze premières heures avec le hashtag #Badmoizelle, infiniment plus les jours qui ont suivi — je n’ai pas eu la présence d’esprit d’en demander un comptage à l’époque, Rue89 a fait un article qui a fini à plus de 300 000 visites, cette histoire a eu un impact énorme sur mon entreprise, mon équipe, mon entourage et sur moi.
À lire aussi : #Badmoizelle : la rédaction répond aux accusations
Je ne parlerai pas plus dans ce post de #Badmoizelle en particulier. J’ai décidé de porter plainte, il va donc falloir laisser la justice faire son travail, une enquête s’est mise en place, elle prendra les mois et les années qu’elle doit prendre.
Cette crise m’aura appris une chose : j’en suis sorti grandi, infiniment plus fort qu’avant.
Tout comme Marion Séclin, victime d’un cyberharcèlement d’une violence rare, le racontait dans notre interview, cette crise m’aura appris une chose : j’en suis sorti grandi, infiniment plus fort qu’avant.
Je suis allé raconter il y a quelques semaines, mon histoire à Antonin Archer, créateur de Nouvelle École, que vous pouvez écouter ici :
Comme je n’ai pas pu tout expliquer dans la partie où on évoque #Badmoizelle, je souhaitais vous proposer ce texte, un peu plus abouti, plus long, où je détaille quelques leçons que j’ai pu tirer de ma thérapie.
madmoiZelle est avant tout une plateforme de partage d’expériences. Je me suis rendu compte en discutant autour de moi que mon apprentissage pouvait servir à d’autres, qui ont rencontré un trauma, peu importe le domaine — amoureux, professionnel, familial.
Au-delà de ma petite histoire perso, tout comme les leçons tirées de mon couple, si cet apprentissage peut être utile à au moins l’un·e d’entre vous, je me dis que je n’aurai pas perdu mon temps. Bonne lecture à vous !
1/ Accepte d’avoir besoin d’aide
Sans doute le truc qui aura été le plus compliqué à piger pour moi. Cinq jours après les événements, j’étais déjà en train de ressortir ce petit refrain lancinant dans ma tête « je vais bien, tout va bien ».
J’avais mis tous mes soucis sous le tapis et hop hop, je faisais mine d’être reparti comme en 40.
Et puis je suis fort (on y reviendra), je n’ai pas besoin d’aide. J’étais totalement brisé de l’intérieur, mais bon, qui peut m’aider à part moi-même ? C’est mon souci après tout y’a que moi qui puisse le régler blablabla.
Jusqu’au jour où effectivement, comme je le raconte dans l’interview de Nouvelle École, je craque complètement.
Je n’étais pourtant pas réticent à aller voir une psy, mais pour moi, je n’allais pas assez mal pour faire cette démarche et aller demander de l’aide.
Avec le recul, ça m’aura finalement pris peu de temps (1 mois) mais cette première acceptation aura bien sûr été décisive pour la suite.
2/ Ta souffrance est légitime
Aaaah celle-ci aussi m’aura bien donné du fil à retordre. Je me suis d’abord pointé chez la psy en m’excusant d’être là, en disant qu’il y avait forcément des gens qui allaient plus mal.
Que je n’avais pas tant à me plaindre, après tout, j’étais en bonne santé (jusque-là), j’avais une entreprise qui marchait à peu près bien (jusque-là), une femme et des enfants qui m’aiment (jusque-là).
Elle a très vite désamorcé toutes ces remarques : « arrête de te comparer, ce qui compte, c’est toi, pas toi par rapport aux autres ».
Ah oui, c’est vrai, tiens.
3/ Respire un peu
Premier rendez-vous. Je commence à parler. Au bout d’environ 15 secondes, elle me coupe, faisant le signe « temps mort » avec les mains.
– Pause s’il te plaît – Oui ? – Tu peux… respirer s’il te plaît ? – Respirer ? Comment ça, respirer ? Je respire. Si je respirais pas, je serai mort. (j’étais au top de mon art) – Non, mais prendre le temps de respirer. Avec ton ventre. Là, tu ne respires qu’avec ta tête, j’aimerais que tu essaies de prendre une grande inspiration avec ton ventre.
Je me suis arrêté deux secondes, ai pris une grande inspiration avec le ventre, et soufflé avec le nez.
Ça fait du bien hein ? On dirait que ça remet le corps à zéro, tu ne trouves pas ?
Mais tellement.
Je ne le savais pas encore, mais c’était la première vraie respiration de ma deuxième partie de vie. J’en reparlerai plus loin, mais toute cette histoire m’aura appris à respirer mieux.
4/ Les émotions, ce n’est pas sale
Aaaah les émotions, tout un programme. Et pourtant, ça a été un sacré chantier. Non pas que je ne vivais pas mes émotions — parce que dit comme ça, je pourrais passer pour un sociopathe… mais plutôt, je m’interdisais de les vivre pleinement, dans un seul but : éviter de les laisser me submerger.
Ajoutez à ça la découverte du concept de vulnérabilité, autant vous dire que ça a été l’escalade de la chialade pendant quelques semaines.
J’ai déployé tous les efforts du monde pour me construire une superbe digue, puis pour la colmater dès qu’une émotion trop violente menaçait de la faire craquer.
J’arrivais quand même à vivre mes émotions, mais mon objectif principal a toujours été de les circonscrire à un champ le plus restreint possible.
Alors j’ai bossé avec un objectif simple : apprendre à les reconnaître, à les « accueillir » quand elles se pointent, à vivre pleinement, à en profiter, voire à les utiliser plus concrètement dans mon quotidien.
Ajoutez à ça la découverte du concept de vulnérabilité dont je parle avec Antonin dans l’interview Nouvelle École, autant vous dire que ça a été l’escalade de la chialade pendant quelques semaines.
Regardez le TED de Brené Brown sur la vulnérabilité :
Je vais pas vous cacher que j’ai connu quelques remous avec ça. Forcément, quand tu découvres tout ça à 39 piges, ça remue des trucs, pas mal de trucs.
Heureusement, j’ai appris petit à petit à les apprivoiser, et ça m’a fait tellement de bien.
5/ Apprends à les écouter, ces émotions, tu vas voir, c’est bien
Première étape très concrète : ma psy m’a filé un compteur. Tu sais, un truc qui fait clic-clic, que les gens qui comptent les files d’attente ont dans la main. Pourquoi faire ?
« À chaque fois que tu vis un moment qui te fait kiffer, qui t’apporte du bonheur, je veux que tu cliques. »
Je l’ai compris assez vite, le but d’avoir ce clic-clic dans la poche est de me permettre de prendre conscience des petits moments de kif. Le fait de matérialiser chaque instant par un clic m’a vraiment filé un immense coup de main.
« À chaque fois que tu vis un moment qui te fait kiffer, qui t’apporte du bonheur, je veux que tu cliques. »
Assez rapidement, j’ai appris à apprécier le moment, à être plus présent lors des bons moments, et petit à petit, à me relier à mes émotions.
Anecdote amusante à propos de ce compteur : deux mois après que ma psy me l’a donné, elle me demande comment ça se passe avec mon compteur, je lui explique que ça marche très bien, le sors de ma poche pour voir à combien de clics j’en suis, le pose sur le bureau, et je me rends compte mi-interloqué mi-effrayé qu’elle le reprend et le range dans son bureau.
J’ai paniqué douze secondes — « OH MON DIEU MAIS COMMENT JE VAIS RÉUSSIR À KIFFER SANS CE COMPTEUR » — avant de me rendre compte que mais non, je n’en avais plus besoin : j’avais trouvé comment faire clic-clic dans ma tête tout seul, sans l’aide du compteur.
Mais pour tout vous dire, tout ça n’aurait jamais été possible sans m’être mis (beaucoup) plus sérieusement à la méditation.
6/ Médite, prouve que tu existes !
Avant cette histoire, j’avais déjà médité, mais de façon très sporadique. J’ai mis un peu de temps, grâce à ma psy notamment, à piger qu’une pratique plus régulière pourrait vraiment m’aider à me (re)connecter à mes émotions.
Je m’y suis attelé quotidiennement en juin 2017, méditant quasiment chaque jour 15-20 minutes. À l’heure où j’écris ces lignes, j’ai médité 330 jours sur ces derniers 334 jours (j’ai une appli qui fait le compte) et c’est devenu aussi important pour moi que de me brosser les dents chaque matin : je ne peux clairement plus m’en passer.
Petite note personnelle : je vous parle ici d’une méditation de pleine conscience, de plus en plus à la mode en Occident ces dernières années, et fondamentalement laïque — la précision est de taille, puisque souvent quand on parle de méditation, on a ça en tête :
Aujourd’hui, je peux dire que la méditation m’aura sauvé la peau, m’aura permis d’aller chercher creuser en moi les raisons de ma souffrance liée à #Badmoizelle, et de pouvoir petit à petit me frayer un chemin vers des solutions durables.
7/ Arrête de te juger
Combien de fois par jour vous jugez-vous gratuitement, et de façon très fourbasse ? Moi, des dizaines de fois. « Mais que je suis bête », « ah le con ! », « quelle andouille » et autres petites phrases que je m’inflige(ais) quotidiennement.
J’utilise « m’inflige(ais) » car je bosse encore dessus quotidiennement, et wow c’est loin d’être évident. C’est trèèèès long de détricoter 40 balais d’auto-rabaissage dans les règles, et si la prise de conscience fut violente et soudaine, le chemin vers une éradication totale de ces jugements de valeur est semé d’embûches.
D’autant plus compliqué qu’avec le nombre de décisions que je dois prendre quotidiennement, j’ai tout ça de plus de chances de me louper. Héhé.
8/ Éloigne tout ce qui est négatif (et quitte Twitter)
Voici un autre aspect déterminant de ma « guérison » : j’ai réussi à éloigner un maximum de négativité autour de moi. Tout ce qui pouvait m’atteindre de près ou de loin, je m’en éloignais le plus possible.
Ça signifiait aussi quitter définitivement Twitter, le réseau social par lequel tout ceci est arrivé. À mes yeux, le réseau du Sheitan. Mais j’arrête avec Twitter. Ceux qui ont vu l’épisode 6 de la saison 3 de Black Mirror savent — #DeathTo.
J’ai donc coupé tous mes accès à mon compte, pendant plusieurs mois, puis suis revenu petit à petit, étant de plus en plus actif sur ce réseau.
Il n’aura pas fallu longtemps pour que ça reparte : en septembre 2017, après une nouvelle attaque crétine d’une de mes hateuses attitrées — « la rançon de la gloire » dixit ma psy — j’ai tout laissé tomber, donné à une amie mes identifiants, elle a changé le mot de passe et adieu Twitter pour moi, à jamais.
Désormais, je lui demande de poster des tweets pour mon podcast Histoires de Darons
et de m’envoyer les questions qui méritent réponse.
Et vous savez quoi ? Non seulement je ne reçois plus aucune notif de haine, mais en plus, je me suis éloigné de cette boule de colère que représente ce réseau (à chaque jour son indignation) , et ma vie « IRL » n’a pas changé.
C’est souvent une lapalissade que « ceux qui ne peuvent pas comprendre » diront aux victimes de cyberharcèlement : « t’as qu’à quitter Internet ».
Croyez-moi, c’est bien plus simple à dire qu’à faire. Surtout quand, comme moi, Internet c’est ta vie. Imagine, tu te retrouves dans une soirée, où tout ton entourage, professionnel, amical et familial, se retrouve.
Et dans cette soirée, ça bitche de fou sur toi, ça raconte de la merde, des mensonges, ça calomnie, ça diffame… t’aimerais, toi, qu’on te dise : « bah t’as qu’à quitter la soirée » ?
Bah non, c’est effectivement plus compliqué que ça, parce que ça n’empêchera pas tous les participants de la soirée de continuer à parler sur toi, sans que tu puisses y dire quoique ce soit — à la différence près, que, dans la vraie vie, t’es à distance de baffe si les gens te manquent trop fort de respect.
Aaaah les velléitaires derrière leur écran, un vrai bonheur.
9/ Focalise sur le positif
Avant, je n’arrivais pas DU TOUT à focaliser sur le positif. Chaque « victoire », des plus petites aux plus significatives, était à mes yeux normale, et j’avais sans cesse en tête le challenge suivant.
C’était pénible pour moi, mais aussi pour les autres : comme je suis du style à ne pas me dire « bravo ! », j’ai toujours eu du mal à le dire à mes équipes.
Non pas que je n’étais pas fier du boulot réalisé, au contraire, mais verbaliser ce bravo nécessitait un réel effort de ma part.
Plus grave encore : je commençais à calquer ce fonctionnement sur mes propres filles. Damned. Ce fut le déclic pour moi.
J’ai donc pas mal progressé ces dernières années concernant mon entourage, mais pour ma pomme, c’était une autre paire de manches.
Dans la foulée du compteur clic-clic, j’ai donc appris — et vraiment ce ne fut pas facile, encore une fois — à me poser, à contempler la moindre petite réussite pour me dire intérieurement « OUH YEAH ! » chose qui me demandait une réelle prise de conscience auparavant.
J’ai aussi appris à moins bloquer sur les commentaires négatifs, voire de haine, et à véritablement profiter des messages d’encouragements, d’amour, ou même des lettres fantastiques comme celle-ci :
À ressentir de la gratitude pour ces moments, où tu te dis que ton projet a contribué à changer des choses pour les personnes qui te lisent.
Encore une fois, merci la méditation, qui t’incite à prendre conscience de tes automatismes quotidiens.
10/ Que te dit ta peur ?
Aaaah la peur. Je ne suis pas du genre peureux. J’ai toujours eu un rapport détendu à la peur — l’un des aspects positifs de peu écouter ses émotions.
En revanche, ce trauma m’aura vraiment changé mon rapport à la peur.
Désormais, je me pose la question : « qu’est-ce que tu ferais si tu n’avais pas peur ? »
Au cours du printemps-été 2017, madmoiZelle a été dans une sale passe financière. Une très sale passe. Rappelons que madmoiZelle reste une petite boîte indépendante, à l’équilibre économique fragile.
À quel point #Badmoizelle aura joué sur ces difficultés ? Si on prend tous les paramètres, de mon état de forme perso aux coups de fils d’annonceurs restés sans réponse, en passant par les difficultés de recrutement, je crois pouvoir dire que ça a eu un impact considérable.
Toujours est-il que je me levais le matin avec une boule au ventre. J’étais paumé, je ne voyais pas où emmener la boîte, les équipes, je me disais que ça y est, j’atteignais sans doute mon seuil de Peters.
Après en avoir parlé à ma psy, elle m’a demandé :
– Mais tu médites ? – Oui, mais ça marche pas : je n’arrive pas à me débarrasser de ma boule au ventre. – Non, mais ne cherche pas à t’en débarrasser ! Au contraire, il faut l’embrasser. Qu’est-ce que te dit cette peur ? Pourquoi elle est là ? Quelle forme a-t-elle ? – … – Essaie pendant tes méditations de plonger en toi, et tente de la visualiser. Une fois que tu auras trouvé qui elle représente, discute avec, emmène-la avec toi en balade, chante avec, fais des trucs avec ! – Je peux faire ça ? – Oui, essaie, tu verras !
Je vous passe les détails, mais avec un peu d’entraînement, j’ai réussi à lui donner une forme effectivement, à discuter avec, à me balader avec (sisi), à la dompter tout simplement.
Parallèlement, j’ai vu le TED de Tim Ferriss, où il explique qu’il se pose sans cesse la question « qu’est-ce que tu ferais si tu n’avais pas peur ? ». Une excellente question, que j’ai pris l’habitude de me poser et qui vous ouvre des perspectives.
Et petit à petit, la boule au ventre a disparu, et j’ai arrêté d’avoir peur.
madmoiZelle va beaucoup mieux aujourd’hui, et je crois pouvoir dire sans prétention que c’est lié à ma forme revenue.
11/ Remplis ton puits
J’ai tout écrit sur le sujet sur mon blog perso !
12/ « Il faut renoncer à l’espoir d’un meilleur passé »
Je cherchais à tout prix à redevenir « comme avant ». C’était tout simplement impossible.
Cette phrase m’a littéralement retourné le cerveau. Elle est d’Irvin Yalom, et vraiment, elle m’a mindfuck dans les grandes largeurs.
La raison ? Je cherchais à tout prix à redevenir « comme avant ». C’était tout simplement impossible, mais je n’en ai pris vraiment conscience dans toute sa profondeur quand j’ai lu cette phrase.
Elle évoque aussi la notion d’impermanence, avec laquelle on vit au quotidien, sans jamais vraiment « l’embrasser » totalement.
L’impermanence est l’une des trois caractéristiques bouddhistes « de toute chose ». C’est un principe selon lequel rien n’est permanent, tout évolue, change. C’est aussi selon le bouddhisme une souffrance, puisque l’Humain voudrait que rien ne change.
Si effectivement le concept prend sa source dans le bouddhisme, on peut aussi l’interpréter d’une manière beaucoup plus laïque, et qui me convient mieux : effectivement, plus rien ne sera jamais comme avant, et ça m’a fait souffrir.
Je voulais revenir à avant, et j’ai mis du temps à piger que oui, c’est impossible, ça ne sera plus jamais comme avant, ça sera différent, mais ça sera pour le mieux, quoiqu’il arrive.
Avec le recul, ma résistance à ce changement m’a vraiment questionné : dans ma situation professionnelle, j’ai l’habitude, et je dirais même que c’est vital pour ma petite entreprise indépendante de rester « agile » (ce terme à la mode).
Et pourtant, après ce trauma et quand ça concernait ma « psyché », j’ai eu un mal fou à accepter ce changement.
Parce que j’ai pigé autre chose en passant : « on ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve » disait Héraclite, un philosophe grec, pour revenir à cette idée d’impermanence.
C’est fou à quel point cette phrase de ce bon Hérac’ m’aura aussi ouvert les yeux : à 15 jours d’intervalle, ma psy m’a dit exactement la même phrase. Une fois en consultation, la fois suivante devant tout le groupe, durant le voyage en Inde.
La première fois, ça ne m’a pas frappé, mais deux semaines plus tard, ça m’a fait l’effet d’une énorme claque. J’étais tout simplement « mûr » pour en capter toute la signification la seconde fois, c’est tout.
Cette phrase et les perspectives qu’elle a ouvertes à mes yeux ont en tout cas constitué une étape décisive vers un mieux.
13/ La douleur n’est pas la souffrance
Dans ce cheminement vers ma guérison, j’ai pigé un truc — et vous y trouverez peut-être des choses à en redire, mais peu importe, c’est mon interprétation, et celle qui m’aura sauvé la peau.
J’ai compris la différence entre douleur et souffrance. Alors que la douleur est purement physiologique et corporelle, la souffrance est plutôt portée sur la psychologie.
En comprenant cette distinction, j’ai pu m’ouvrir une voie claire : si cette souffrance est psychologique, et provient de mon cerveau, ça signifie que j’ai un pouvoir dessus, que je peux la prolonger — ou pas — si je le souhaite.
Tout comme j’ai pu changer mon rapport à la peur grâce à la méditation, je peux aussi « hacker » mon cerveau. Je peux lui envoyer les messages que je souhaite.
Ça m’a donc pris un peu de temps, mais j’ai fini par comprendre :
- que je ne voulais plus souffrir
- que j’avais donc la possibilité d’arrêter de souffrir
- et donc qu’il « suffisait » que je le décide.
Effectivement, expliqué comme ça, je vous fais un raccourci très rapide de mon parcours vers la fin de cette souffrance. Entendons-nous : encore une fois, je ne nie pas la douleur, ni la souffrance, loin de là.
Attention ! Si tu considères que tu es en souffrance, je sais que cette partie va te faire grincer des dents. Entends-moi bien : je ne nie pas ta souffrance, et je ne dis pas qu’il suffit avec un claquement de doigts d’arrêter de vouloir souffrir pour que la souffrance s’arrête.
Il est très probable que je n’aurais jamais pigé ça un an auparavant, parce que je ressentais au plus profond de moi ce besoin de continuer à « écrire » cette souffrance.
Chaque chose en son temps, et je crois que c’était tout simplement pour moi le bon moment d’entendre cette phrase, et de la comprendre de la sorte. Et encore une fois, si tu te sens concerné·e, j’espère au plus profond de moi que ce moment viendra bientôt pour toi. Vraiment.
14/ Tu es puissant
C’est sans doute la finalité, le point d’orgue de mon histoire et de ma thérapie. Lors de mon voyage en Inde, ça m’est tombé dessus comme un coup de masse : « ah mais c’est vrai, tiens, j’avais oublié mais je suis puissant ! ».
J’ai ce feu à l’intérieur qui brûle, qui m’incite à faire des choses, et Badmoizelle l’avait totalement mis sous l’éteignoir.
Je sais que je suis puissant. Et je ne dis pas ça pour frimer ou me la raconter : je le sais intérieurement depuis très longtemps, j’ai ce feu à l’intérieur qui brûle, qui m’incite à faire des choses, et Badmoizelle l’avait totalement mis sous l’éteignoir.
Cette histoire m’aura tellement abîmé dans la confiance en moi que je l’avais complètement oublié.
J’ai aussi réussi, je crois, à lâcher prise par rapport à mon « besoin d’être tout-puissant », de résoudre tous les problèmes, de guérir tous les maux autour de moi.
Ma psy m’a dit cette phrase fabuleuse : « peut-être comprendras-tu dans ta deuxième moitié qu’il vaut mieux être puissant que d’avoir besoin d’être tout-puissant ».
Wow. Si on m’avait dit ça à 18 ans…
15/ Les deux guerriers les plus puissants : la patience et le temps
La patience, je pensais connaître : je vous rappelle que madmoiZelle aura mis 4 ans (!) avant d’atteindre son premier million de visites. J’ai mis 7 ans avant de me payer mon premier salaire (merci Cath !). C’était long et il a fallu faire preuve d’une immense patience.
Mais #Badmoizelle m’aura rappelé que je pouvais faire encore mieux en terme de patience.
J’avais au départ tendance à m’énerver sur moi, sur mon comportement, sur mon manque d’énergie, sur mon incapacité à rebondir comme avant. J’avais envie de guérir tout de suite, de sauter les étapes.
Et un jour, ma femme vient me voir, 15 jours ou 3 semaines après les faits : « quand est-ce que ça va aller mieux ? Tu souris plus jamais, t’es plus comme avant. Tu vas guérir bientôt ? ».
Je me détestais d’être dans cet état, mais j’ai appris à arrêter d’être aussi dur envers moi, à m’accorder à la fois du temps et de l’indulgence.
Elle était ravagée de me voir dans un tel état. De mon côté, je n’avais pas encore été voir ma psy, mais elle aura été un premier palier dans ma prise de conscience de mon besoin d’aide : je suis tout cassé de l’intérieur, le petit lapin Duracell à l’intérieur de moi qui me donnait cette patate depuis 11 ans a pris un coup de poignard en plein coeur.
Ce jour-là, je me suis dit qu’il allait falloir du temps pour le réparer.
Je me détestais d’être dans cet état, mais j’ai appris à arrêter d’être aussi dur envers moi, à m’accorder à la fois du temps et de l’indulgence. Mon intuition me chuchotait que c’était un passage nécessaire pour aller vers une guérison, j’ai appris à ne pas forcer.
J’ai eu des périodes de mieux, suivies par des périodes de (beaucoup) moins bien, mais je crois que j’ai su garder un cap. « Notre route est droite mais la pente est forte » avait dit Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre de Chirac, dans son discours de politique générale en 2002.
Cette phrase avait fait rire et réagir, mais avec le recul, c’était mon leitmotiv : je crois qu’à un certain point, j’étais intimement convaincu que je m’en sortirai, mais j’ai su m’accorder du temps, et de la patience.
16/ Les gens ne peuvent pas piger
Ah là, loin de moi l’idée de faire l’ado en conflit avec ses parents qui leur hurlerait « TU PEUX PAS COMPRENDRE D’ACCORD ? », mais j’ai mis du temps à moi-même réaliser que la plupart des gens ne pouvaient pas piger l’effet que cette histoire avait pu avoir sur moi.
Pour certains, c’était un bad buzz qui est parti aussi vite qu’il est revenu. Pour d’autres, « ça va c’est juste Internet ».
Suite à ma première « sortie » publique sur le sujet, dans la vidéo de Benjamin Nevert, des lectrices m’ont envoyé des messages adorables, mais si révélateurs de cette situation, dont un qui m’a particulièrement marqué :
« Je n’imaginais pas. Pour moi, tu es patron, papa, tu as du succès, tu as l’air tellement occupé et tu fais tellement de choses, je n’aurais jamais imaginé que tu aurais pu être à ce point affecté par cette histoire ».
Je sais, je me doute bien que vous ne pouviez pas imaginer. Mais, pour moi, Internet, c’est ma vie, madmoiZelle c’est le projet de mon existence, et cette saloperie de #Badmoizelle, cette injustice tellement à l’opposé de mes valeurs.
C’est une marque à vie, gravée dans ma chair et dans ma « e-reputation » : quand vous tapez mon nom dans Google, #Badmoizelle apparaît dans la première page.
J’en parle d’ailleurs systématiquement lors de nos entretiens de recrutement, ou quand je cherche à entrer en contact avec des jeunes entrepreneuses. Prévenir plutôt que guérir.
Heureusement pour moi, j’en suis sorti par le haut, et aussi grâce à mes proches.
17/ Chéris tes proches
2016-2017 n’a été simple pour personne dans mon entourage. Je vous passe les détails mais que ce soit pour ma femme et mes filles, mes ami·es, mes équipes, ce fut aussi une épreuve du feu.
Heureusement qu’elles et ils ont été là, pour m’entourer de tout l’amour qu’il avait à leur dispo à mon égard. Ce fut si précieux qu’aujourd’hui, je peux écrire sans sourciller que sans elles, sans eux, je me serais foutu en l’air.
Merci à mon équipe, le lendemain, et les jours qui ont suivi, d’avoir été là pour me ramasser par terre, d’avoir pleuré avec moi, de m’avoir épaulé et soutenu.
Merci à Pénélope pour ce dîner le lendemain soir, tes mots ont été tellement précieux, merci à celles et ceux qui m’ont appelé ou envoyé des messages « le jour d’après », ceux-ci ont eu une valeur inestimable à mes yeux.
Merci aussi d’avoir été là les mois qui ont suivi, je sais que ça n’a pas été facile, mais vous avez été au top.
Merci à Denis, mon vieux pote et merci à Clémence, tout particulièrement, promue 15 jours auparavant et qui s’est retrouvée esseulée à la tête du navire.
Merci à mes filles, et wow merci à toi, Cath, ma femme, tu as été TELLEMENT forte pour deux pendant tout ce temps.
Donc oui, j’ai eu cette chance fabuleuse d’être si bien entouré — même si je m’y étais bien préparé, à recevoir cette chance.
Ils et elles le savent, mais merci à elles, merci à eux, tellement merci.
18/ Amuse-toi à nouveau !
Je boucle la boucle, avec cette phrase de ma psy : « Je sens que tu as à nouveau envie de t’amuser comme un enfant ». Mais tellement.
Je ne m’en rendais pas compte mais j’avais oublié cet état de joie. C’est d’ailleurs sans doute le piège le plus trompeur quand je n’allais pas bien : même si j’avais l’impression d’aller mieux, mon cerveau me jouait des tours, me chuchotant « t’as vu comme tu vas mieux ? ».
Je m’en persuadais si fort, mais c’était un leurre : quand je me suis vraiment nettoyé de tous ces seaux de merde qu’on m’avait déversé dessus, je me suis souvenu.
C’était donc ça, la VRAIE joie, la joie durable, libérée de toute cette trouille, cette honte, ces sentiments négatifs. Le vrai bonheur, il était toujours là, dans ma tête, il n’était pas très loin, j’avais juste décidé qu’il était à nouveau temps de profiter de la vie, et d’écrire ma belle histoire.
Je danse à nouveau, je mets à nouveau du disco très fort le matin, j’ai retrouvé cette énergie et cette envie de porter madmoiZelle, parce que oui, madmoiZelle n’est pas cette entreprise que j’avais associé, sans trop m’en rendre compte, à mes pensées suicidaires.
madmoiZelle est mon projet, que j’ai mis depuis 12 ans à disposition de jeunes femmes fortes, ambitieuses, intelligentes, pour qu’on fasse ensemble le magnifique média qu’elle est devenue.
Et comptez sur moi : je suis reparti comme en 2005, avec la même volonté.
Pour conclure, quelques mots
J’étais tout pété de l’intérieur, j’ai mis un temps fou à trouver comment réparer les morceaux, et aujourd’hui je le sais : je suis plus puissant qu’avant. Cette histoire m’aura rendu tellement plus fort.
Pour paraphraser un camarade qui faisait partie de mon groupe en Inde, « c’est con qu’on doive en passer par en chier pour grandir ». Je te le fais pas dire, mon Régis.
Et j’ai envie de vous glisser à l’oreille, si vous êtes dans un moment compliqué, s’il vous plaît, dites-vous : « ça va aller mieux, et j’en sortirai encore plus puissant·e ». Parce que oui, « ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort » , me concernant, ça n’est pas qu’un con de proverbe.
Je suis tellement fort qu’aujourd’hui, je peux écrire sans trembler, sur ce média que j’ai monté, fait grandir à la seule force de mes épaules, de mon travail acharné et qui a résisté à toute cette histoire :
Peu importe le rôle que vous ayez joué dans cet épisode horrible de ma vie et de la vie de madmoiZelle, que vous ayez fait partie de cette majorité silencieuse (« j’ai vu, j’sais pas, je dis rien »), que vous ayez été derrière moi dès les premiers instants, que vous soyez venu·e me voir en personne pour me poser des questions après avoir douté (un merci particulier à vous), que vous ayez contribué à répandre des rumeurs dégueulasses sur mon compte ou sur celui de l’équipe, ou que vous ayez carrément participé à cette tentative d’assassinat : je vous remercie du fond du coeur, et je vous souhaite très sincèrement d’avoir une aussi belle vie que la mienne.
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