Je ne comprends rien aux échecs, ça fait partie de mes fails depuis mon enfance, avec le fait de ne pas savoir siffler, claquer des doigts ou faire du vélo (j’ai appris à 20 ans, il était temps). N’ayant jamais su différencier une reine d’un cavalier, je me sentais moyennement à même de comprendre Le Tournoi. Et pourtant, quelle surprise devant cet OVNI réalisé par Elodie Namer, qui parle autant d’échecs que de la vie, la jeunesse, les doutes, les amours.
Le Tournoi, un premier film très réussi
Le Tournoi parle d’une compétition mondiale d’échecs, tenue à Budapest avec des joueurs (et quelques joueuses) de tous niveaux, tous horizons, tous pays et tous âges. Parmi eux, des petits génies qui s’entraînent constamment, qui n’imaginent pas leur vie sans un plateau et vivent dans un monde parallèle. Le film reflète à merveille cet univers assez fermé et secret, dont les novices ne connaissent pas grand chose si ce n’est le terme « échec et mat ».
La réalisatrice Elodie Namer s’est immergée dans les échecs, en apprenant le jeu, mais aussi en allant à la rencontre de joueur-ses et en découvrant leur vie au quotidien. Le Tournoi a l’exigence d’un documentaire mais l’esprit d’une fiction, dans laquelle les non-joueur-ses se reconnaîtront aussi. En suivant les différentes étapes de la compétition, les personnages évoluent, ainsi que leurs relations, leur vision des échecs et de leur vie.
Partant d’un huis-clos dans l’hôtel où se déroule le tournoi et dans la tête des personnages en permanence concentrés, le film suit l’évolution psychologique du personnage principal, laquelle mène le changement de décors, de musique, de façon de filmer. Le Tournoi, en plus de traiter avec originalité le monde des échecs, est une pépite de réalisation et d’esthétique.
Des acteurs exceptionnels pour des personnages inspirés
La force du film tient, sans aucun doute, à son casting hors-pair, composé de novices et jeunes espoirs du cinéma. Le rôle principal de Cal est tenu par Michelangelo Passaniti, un boxeur choisi pour son physique loin du cliché du joueur d’échecs un peu geek. Pendant un an, l’acteur a appris les échecs, est parti suivre des compétitions avec la réalisatrice, a pris des cours de théâtre : un travail impressionnant qui se sent dans la présence incroyable de Cal à l’écran.
A ses côtés, une équipe de joueurs plus vrais que nature : complètement déconnectés du monde extérieur, des études, des jeunes de leur âge, ils incarnent les stéréotypes des joueurs d’échecs tout en les détruisant. On découvre par le biais de ces personnages un monde de compétition, semblable au sport ou aux jeux d’argent : tout est une occasion de jouer, de parier, de calculer.
Parmi les acteurs jouant les camarades de Cal, un vrai joueur d’échecs, Fabien Libisziewski
, qui a participé à l’initiation d’Elodie Namer.
Absolument frappant, il signe ici son premier rôle au cinéma et joue pourtant avec une aisance et une présence impressionnantes. Il incarne un de ces personnages attachants comme on aimerait en avoir dans son entourage, Aurélien, un joueur doué mais pas brillant, qui le sait sans jamais le dire.
Michelangelo Passaniti (Cal), Aliocha Schneider (Anthony), Thomas Solivérès (Mathieu) et Fabien Libiszewski (Aurélien)
Aux antipodes d’Aurélien, il y a Anthony, qui a de l’ambition et l’envie de sortir de l’ombre de Cal. Il participe à l’ambiance parfois « rock star » de ces jeunes enfermés dans des hôtels de luxe, qui jouent au strip poker avec des filles rencontrées au détour d’un couloir et parlent de leurs envies dans une piscine déserte. Joué par Aliocha Schneider, frère de Niels Schneider qui s’était illustré dans Les Amours Imaginaires de Xavier Dolan, Anthony fait partie de ces anti-héros qu’on a à la fois envie d’étrangler et de comprendre.
Et puis il y a Lou de Laâge, la (presque unique) présence féminine du film, loin d’être anecdotique ou réduite au rôle de belle plante. L’actrice, qui s’était déjà illustrée dans Respire, incarne ici Lou, joueuse d’échecs bien décidée à se faire entendre dans un domaine essentiellement masculin et bien machiste. Pour se faire respecter et faire reconnaître la qualité de son jeu, elle ne cherche jamais à se masculiniser, elle s’impose comme elle est.
Le personnage de Lou est d’ailleurs soumis au même type d’évolution que celui de Cal : il s’ouvre au monde, et elle s’enferme alors qu’elle commence à être reconnue, ses tenues vestimentaires s’assombrissent, en même temps que son humeur et ses relations aux autres ternissent. Fermement féministe, elle tient un discours poignant qui m’a touchée sans pour autant connaître quoi que ce soit au monde des échecs :
« On commente tes matchs pendant que moi, on me mate le cul. »
Il est question de la part de naturel et de conditionnement, du rôle de la testostérone dans l’esprit de compétition, de l’avis de la société sur les échecs.
Les échanges entre Cal et Lou semblent si réels et s’adaptent à tellement d’autres mondes qu’on en oublie souvent qu’il s’agit d’une fiction. Un duo qui crève l’écran et parfois le coeur.
Le Tournoi sort aujourd’hui en salles et je vous conseille grandement d’y foncer !
Écoutez l’Apéro des Daronnes, l’émission de Madmoizelle qui veut faire tomber les tabous autour de la parentalité.
Les Commentaires
On a eu de la chance, la réalisatrice était présente et après la séance elle a pu échanger avec les spectateurs, c'était chouette d'avoir son point de vue !
Pour ceux qui voudraient aller le voir en famille, notez que, même s'il s'agit d'un film "tout public", quelques scènes ne sont pas adaptées aux plus jeunes.