Chère petite robe,
Je t’aime bien, tu sais. Et pas seulement parce que je t’ai chopée à 5€ en soldes chez H&M.
J’aime ta couleur vert d’eau douce comme une piscine dans laquelle j’ai envie de plonger, fraîche comme un diabolo-menthe en terrasse au soleil. J’aime ton décolleté rond qui fait la part belle à mes clavicules et au grain de beauté qui orne la base de ma nuque.
Chère petite robe, je t’aime bien, tu sais.
J’aime la façon dont ta jupe frôle le haut de mes genoux, s’évase en corolle au moindre courant d’air, au moindre mouvement de hanches, épouse mes fesses comme une caresse sans trop les mouler.
J’aime que tu sois confortable et qu’en te portant, je ne me sente jamais enfermée, malmenée, déguisée. J’aime te porter aussi naturellement que mes jeans/t-shirts habituels, en faisant juste un peu attention quand je me baisse, car tu as tendance à aller voir là-haut si j’y suis, et il faut la mériter pour la contempler, ma culotte Tortues Ninja.
Je t’aime bien, petite robe, mais ce matin, je t’ai laissée au placard.
J’ai parcouru mentalement les 5 minutes à pied qui me séparent de l’entrée du métro. Le soleil sur mes jambes, le claquement sur le bitume de mes petites tennis rose pâle.
En esprit, j’ai dépassé une terrasse de café. Entendu une voix grave à travers mes écouteurs intra-auriculaires. J’ai choisi de ne pas me retourner. Le harceleur de Schrödinger, si tu l’as pas vu t’es pas sûre qu’on te harcèle.
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En esprit, j’ai attendu au passage piéton. Plus difficile d’ignorer un harceleur quand c’est devant toi, au volant de sa voiture, qu’il se place. Qu’il te siffle. Qu’il demande si elle a un prénom, la petite, où elle va, la petite, si elle voudrait pas faire un tour dans sa caisse, la petite.
J’ai choisi de ne pas me retourner. Le harceleur de Schrödinger, si tu l’as pas vu t’es pas sûre qu’on te harcèle.
En esprit, je suis rentrée dans le métro. Un homme s’est collé à moi pour passer sans ticket, et sans demander, comme souvent. A pris, au passage, une seconde pour poser sa main sur mes fesses, sur toi, ma jolie robe que j’aime tant. Autant en profiter tant qu’on y est, j’imagine.
En esprit, j’ai attendu sur le quai. Aux abois, aux aguets, maintenant qu’on m’a bien rappelé que je n’étais pas à ma place. Que j’étais une proie.
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En esprit, je suis entrée dans la rame bondée. Trois arrêts, puis un changement, et encore deux. Cinq sauts de puce. Cinq éternités.
Le souffle des autres sur ma nuque. L’odeur matinale, semi-propre semi-artificielle, où le savon se mêle au déodorant bien musqué. Les corps qui se pressent.
C’est quoi, là, contre ma fesse ? J’espère que c’est un sac. J’espère que c’est le coin rigide d’une besace. J’espère que c’est la poignée d’un parapluie, on sait jamais, même s’il fait grand soleil et trente degrés.
Je préfère pas savoir. Ça bouge pas. J’aurais du mal à me retourner. Et puis c’est mon arrêt.
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Je t’aime bien, petite robe, mais ce matin j’avais pas la foi. Peut-être qu’il ne serait rien arrivé. Mais toutes ces micro-hypothèses t’ont remise sur ton cintre, ont sorti d’un tiroir mon short à trous et ma casquette à l’envers.
Je t’aime bien, petite robe, mais ce matin j’avais pas la foi.
Petits gri-gris bourrés de superstition, alors que je sais que ça ne protège de rien, que ce n’est pas l’habit (de la victime) qui fait le harceleur.
Et puisque je le sais, petite robe, je te le dis : lundi, je te mets. Promis.
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Les Commentaires
Je ne compte plus le nombre de fois ou je suis prête... Et à la derniere minute je cours me changer et préferer un pantalon.
Mais ce n'est qu'une jupe/robe, alors pourquoi je me prends autant la tête...? Je n'en sais rien...
Tout à coup quand il est l'heure de partir, je n'ai plus le courage de sortir comme ça. C'est presque toujours pareil...
Je n'ai plus la force de supporter des remarques/regards/gestes. Alors je fous mon vieux jean et j'ai moins peur.
Est ce que je fais pouffe? Est ce que je fais p*te? Est ce trop court? Est ce qu'on voit mes fesses si je me baisse? Non non je vais trop attirer l'attention on va voir que moi. Allez pof retour au placard, on va prendre Mr Jean.... Encore.
Et j'vous parle de jupe/robe, mais j'fais pareil avec les talons selon ma tenue...
Un jour j'espere que j'arreterai d'avoir peur comme ça. J'essaie en tout cas!