Dans l’introduction du Deuxième Sexe, Simone de Beauvoir décrivait la femme en tant qu’Autre, face à un homme qui est « le Sujet », « l’Absolu ». Cette observation se traduit parfaitement dans la langue française, où il n’existe pas de genre neutre et où c’est le masculin qui remplit cet office. Ainsi quand l’Académie française refuse la féminisation de certains noms en arguant que le masculin est « le genre non marqué », cela ne fait que confirmer ce que de Beauvoir dénonçait.
Les féministes et les militant·e·s queer ont trouvé des moyens de contrer cette « invisibilisation » du genre féminin, lorsque l’on parle d’un groupe de personnes ou de quelqu’un dont le sexe n’est pas connu (par exemple, « l’usager » dans un texte administratif).
Le plus simple est d’utiliser des mots épicènes, c’est-à-dire non marqués par le genre, pouvant être employés indifféremment au féminin ou au masculin. Je pourrais par exemple parler des « personnalités politiques » plutôt que des « hommes politiques ». L’avantage de cette méthode est de ne pas gêner la lecture par des bizarreries typographiques ; elle peut par contre conduire à des périphrases qui alourdissent le texte.
La typographie du langage non sexiste
Pour ce qui est des « bizarreries typographiques », on a vu depuis un moment apparaître des « lycéen(ne)s », des « musicien(ne)s » et des « député(e)s ». Cet usage plein de bonne volonté peut pourtant être jugé discriminant : on met littéralement le féminin entre parenthèses. C’est également le cas de la barre oblique (« instituteurs/trices ») car elle sépare les deux genres.
Que peut-on alors utiliser ? Beaucoup préfèrent le point médian (« les personnes motivé·e·s »), neutre typographiquement
. Il s’obtient en maintenant la touche Alt enfoncée et en tapant 250 sur le pavé numérique – sur les claviers Mac c’est en tapant Alt+majuscule+F. Apprécié également : le trait d’union, qui est littéralement… un trait d’union (cela donne « chanteurs-euses »). Enfin le E majuscule (« intelligentEs »), très usité en Allemand, est controversé car il met davantage l’accent sur le féminin.
« Le féminisme est l’idée radicale que les femmes sont des personnes »
Les néologismes
Le niveau supérieur, c’est de créer des mots trans-genres : « illes » ou « els » au lieu de « ils » (masculin générique) ou « ils et elles » (doublage, qui peut devenir lourd s’il est utilisé tout au long d’un texte). Ces mots surprennent au premier abord, mais s’ils sont utilisés régulièrement ils alourdiront moins le texte qu’un doublage systématique.
On peut également écrire « celleux » ou « ceulles » pour « celles et ceux », ou encore « chercheuseurs » ou « chercheureuses » (bon, ça fait un peu « heureuse ») pour « chercheuses et chercheurs ». Plus fluide, un syndicat québécois a créé le néologisme épicène de « professionnèles » (sur le modèle de « fidèle », naturellement épicène) : on l’appelle désormais la Fédération des professionnèles.
Pour désigner quelqu’un sans connotation de genre (« ni il, ni elle », par exemple pour une personne qui ne s’identifie ni au féminin ni au masculin) on peut utiliser « elli » ou « yel » – mais il est extrêmement rare de rencontrer ces mots.
La grammaire
Dernier niveau, qui nécessiterait une grosse révision de la langue française : modifier la règle « le masculin l’emporte sur le féminin ». L’année dernière plusieurs associations avaient lancé une pétition pour revenir à la règle de proximité (qui a eu cours jusqu’au XVIIIe siècle) : un adjectif se rapportant à plusieurs noms s’accorde au nom le plus proche. Selon ce principe, la pétition s’appelait « que les hommes et les femmes soient belles ».
Là encore, la conservation de la règle actuelle est justifiée par le fait que le masculin est le neutre. Un argument qui n’en est pas vraiment un, puisqu’il entérine dans le langage des schémas sexistes.
Pour mémoire, ce sujet avait été abordé sur les forums de madmoiZelle, avec un sondage demandant « Faut-il en finir avec notre grammaire sexiste ? ». Un tiers des répondantes avaient choisi « Oui, c’est essentiel pour l’égalité homme-femme » tandis que 15% avaient jugé que « La langue c’est sacré », 27% que « Ces revendications féministes sont ridicules » et 24% que « Le débat [était] sans intérêt ».
La grammaire française n’évoluera probablement pas à ce sujet avant un bon moment, mais les initiatives plus modestes évoquées plus haut peuvent se propager naturellement. Allez-vous essayer de les utiliser, ou trouvez-vous qu’elles sont inutiles et ne font qu’alourdir les textes ?
Les Commentaires
J'écris des livres, que je souhaite publier un jour (mais pas encore) dans lequel un personnage est hermaphrodite, je met : ielle. Oui on peut me dire que j'efface "il". Donc je vais voir...
(Je n'ai pas un ego énorme : je sais me remettre en question)
Sinon pour ce qui est des exemple types, je me disais qu'on pouvait mettre en fonction de notre genre : par exemple, si je parle d'une personne dont je ne connais le genre, je mettais au féminin : "imagine t'as une felle qui ça "... Et du coup pour le genre neutre, à chercher ...
Par contre, vous parlez de la langue française en oubliant avant tout que les français SONT SEXISTES. Beaucoup disent "le gars qui.." pour donner un exemple type (abstrait). Ça donne l'impression qu'il n'y a que des "gars" sur cette planète. Ou encore le nom des animaux : combien disent : "un chien" alors que c'est "une chienne"? Pareille pour "chatte"... Parce que "COMME PAR HASARD", les noms d'animaux au féminins sont souvent des insultes ou ont une autre signification qui prends le dessus sur la signification originelle...
Il font donc se réapproprier les mots féminins pour effacer les insultes et pour pouvoir les réutiliser...