Cet article a été rédigé dans le cadre d’un partenariat avec Wild Bunch. Conformément à notre Manifeste, on y a écrit ce qu’on voulait. Initialement publié le 15 mars 2017
« Qui veut aller voir Grave en projection presse ? C’est un film d’horreur sur une végétarienne qui devient cannibale ! »
Je ne vais pas vous mentir : ce pitch a peu convaincu la rédaction. Et pourtant…
N’écoutant que mon courage, et ma curiosité pour tous les sujets touchant au végétarisme dans la pop culture, je me suis portée volontaire pour aller assister à la projection de Grave, le premier long-métrage de Julia Ducournau, au PIFFF (Paris International Fantastic Film Festival).
En compétition, il a brillamment remporté l’Œil d’or du meilleur film. Moi-même, peu friande des productions d’épouvante, je le confesse, je lui ai attribué un franc 5/5.
C’est que Grave n’est pas vraiment un film « d’horreur », et je suis la première surprise de la décision du CNC de l’avoir frappé d’une interdiction aux moins de 16 ans.
Voici pourquoi je recommande très franchement ce long-métrage à tou•tes les amatrices et amateurs de bon cinéma, que vous soyez friand•es d’horreur, d’épouvante, de gore ou, au contraire, hermétiques à tout ça.
Grave n’est ni horrible ni gore
Au top 3 des grosses ficelles que je n’aime pas dans les films, tous genres confondus, il y a :
- Les jump scares : ils consistent à faire sursauter le spectateur par des mouvements de caméra brusques, doublés d’un volume sonore soudainement indécent. Je trouve ça facile et pénible.
- Les scènes ultra-gores : je n’ai pas peur du sang (j’utilise une mooncup), mais lorsque le rouge carmin colore 80% de l’écran, je fais une overdose. Je trouve ça facile et écœurant.
- Le suspense absurde : lorsque le film pose plein de questions et d’énigmes qu’il ne résout pas. Genre le mystèèèère fait peeeuuur. Je trouve ça facile et fainéant.
Bon, excellente nouvelle : Grave n’utilise aucun de ces mécanismes lassants, raison pour laquelle je suis sortie de cette projection beaucoup trop enthousiaste pour un film de genre (horreur-suspense), c’est-à-dire pas exactement le registre que j’affectionne le plus.
Mais voilà : Grave est intelligent, sans être pédant. Il est subtil, sans être intello. Il est intense, sans être lourd. Il est graphique, sans être écœurant. Il est haletant, sans être épuisant.
Grave est un film de genre, plutôt qu’un film d’horreur
Ne vous y trompez pas : si Grave est horrible, ce n’est pas parce que sa protagoniste se découvre une passion dévorante (pun intended) pour la chair humaine.
C’est plutôt parce que le parcours initiatique de cette jeune étudiante nous place face à nos propres angoisses, et notamment l’une des plus terribles : celle qui nous fait affronter la part d’inconnu en nous.
Qui serais-je dans une autre société, dans d’autres codes immuables, bornée par d’autres tabous et d’autres interdits infranchissables ? Grave nous fait interroger la norme qui protège et celle qui aliène.
Justine n’est pas un monstre, mais elle est différente. Redondance, me direz-vous peut-être. La différence, à l’heure où la pression sociale confine au conformisme, n’est-t-elle pas le sceau des monstres ?
Un monstre qui se maîtrise vaut-il plus ou autant qu’un monstre libéré ? La question terrible mérite pourtant d’être posée…
Grave, le film de genre qui va vous réconcilier… avec les films du genre
Grave est l’histoire de Justine, jeune étudiante surdouée, qui débarque à 16 ans dans l’école vétérinaire dont ses parents sont diplômés, et où sa sœur aînée étudie déjà.
Intégration ou bizutage oblige (selon que l’adhésion à ces épreuves soit consentie ou subie), Justine se trouve obligée d’avaler un rein de lapin, alors que toute sa famille est strictement végétarienne.
Sa sœur participe à la pression, tant et si bien que Justine finit par avaler ce foutu organe. Sans savoir le bouleversement qu’il allait engendrer dans sa vie…
Affronter la part de l’autre en soi, n’est-ce pas le plus ambitieux combat que l’on puisse livrer ? Grave raconte cette histoire, à travers le regard juste de Julia Ducournau, et la prestation époustouflante de Garance Marillier, dont c’est aussi le premier rôle dans un long-métrage.
Grave, une réussite du casting à la réalisation
Je ne pourrais signer une critique décente de Grave sans m’arrêter sur ses protagonistes : les personnages de Justine, Alexia (Ella Rumpf), Adrien (Rabah Naït Oufella), et bien sûr, la réalisatrice, Julia Ducournau.
Justine d’abord, incarnée avec talent, sincérité et sensibilité par la très jeune Garance Marillier. Elle vient seulement d’avoir 18 ans, et je lui décernerais volontiers le César du meilleur espoir féminin pour sa prestation époustouflante dans le rôle de cette étudiante, maltraitée par sa destinée. La voici dans une interview où on cause avec elle du film et de son parcours :
Rien ne l’intègre dans ce milieu où sa place devrait pourtant être acquise : entre sa douance et son héritage familial, elle devrait être comme un poisson dans l’eau au sein de ce milieu universitaire.
Au lieu de ça, elle lutte, subit, encaisse, réagit et se bat contre tout, tout le monde, elle-même. Grave est l’histoire d’une solitude oppressante. Ella Rumpf et Rabah Naït Oufella brillent aux côtés de Garance Marillier, solides seconds rôles.
Ella Rumpf joue Alexia, la sœur de Justine. Elle irradie ses scènes de ses regards d’acier et de sa nature animale. Rabah Naït Oufella incarne Adrien, son colocataire. Il adoucit tant que faire se peut la réalité dont Justine ne peut s’évader.
Il est intéressant de noter que cette présence masculine serait, dans bien d’autres contextes, une menace pour la jeune héroïne. Mais ses pulsions animales en font une prédatrice redoutable, capable de dompter jusqu’à ce mâle qu’on lui impose dans le récit.
Cette histoire d’intégration et de lutte, de rencontre et d’émancipation, est racontée avec brio par Julia Ducournau, scénariste et réalisatrice. Pour son premier long-métrage, la jeune réalisatrice française signe un véritable chef-d’œuvre.
Vous trouvez cette critique dithyrambique, exagérée ? Ne prenez pas mon jugement pour parole d’évangile. Regardez plutôt le palmarès de Grave, sorti vainqueur de toutes les compétitions auxquelles il a été présenté.
Grave a récolté pas moins de 9 prix depuis sa présentation au festival de Cannes, en 2016, ou il a remporté le Prix de la critique :
- Au Festival européen du film fantastique de Strasbourg 2016 :
- Octopus d’or du meilleur long-métrage fantastique international
- Prix du public du meilleur film fantastique international
- Au Festival du film de Londres 2016 : Sutherland Trophy du meilleur premier film
- Au Festival international du film de Flandre-Gand 2016 : Grand Prix du meilleur film
- Au Paris International Fantastic Film Festival 2016 :
- Œil d’or du meilleur film de la compétition internationale
- Prix Ciné+ Frisson du meilleur film
- Au Festival international du film fantastique de Gérardmer 2017 :
- Grand prix du jury
- Prix de la critique
Si vous n’aimez pas « les films d’horreur », c’est par celui-ci qu’il faudrait commencer.
Si vous adorez « les films d’horreur », Grave ne vous décevra pas.
Si vous aimez les films de genre, je pense vous avoir convaincu à « Grave est un film de genre, plutôt qu’un film d’horreur ».
Et quand vous aurez vu Grave, s’il vous plaît, venez en parler dans les commentaires : il y a tant de choses que j’aimerais approfondir sur ce film, mais je ne veux pas vous spoiler. Parlons-en quand vous l’aurez vu ! C’est tout le mal que je vous souhaite…
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Les Commentaires
Héhéhé