À Ashe et l’équipe de Gameblog.
Chers confrères,
La peur des représailles me force à prendre le couvert de l’anonymat. Pourtant, je suis une joueuse passionnée, je me dévoue corps et âme à ce métier que nous pratiquons vous et moi, mais je suis aussi une femme et une victime. J’ai des choses à vous vomir.
Contexte : il y a deux jours, mercredi 16 octobre alors que le monde jouait naïvement à Pokémon, vous avez publié un article à propos du Huffington Post et d’une nouvelle accusation ajoutée aux nombreuses autres qui touchent le jeu vidéo. Ni la violence, ni l’addiction… cette fois on tape dans le sujet polémique du moment : la culture du viol et l’hypersexualisation des femmes dans le jeu vidéo.
Le moins qu’on puisse dire, c’est que votre article a fait réagir, au vu des nombreux tweets discutant du sujet. Morceaux choisis :
Si dans un premier temps, je peux comprendre votre envie de défendre ce média auquel nous avons choisi de dédier notre carrière, je ne comprends pas ce papier que je qualifierai de « troll ». Car oui, vous n’apportez rien, aucun point de vue, juste des questions creuses et superficielles auxquelles vous ne répondez pas. Votre argument ? Les violeurs sont bêtes, les violeurs sont malades.
Ce à quoi je vous réponds un grand NON. Violer n’est pas une pathologie, la maladie est une excuse trop simple. Vous vous essuyez les pieds sur la gamine de 16 ans que j’ai été et qui est tombée sur un de ces « malades ». Vous crachez sur toutes les autres « victimes de maladie ». Faites semblant de compatir un minimum.
- Une femme sur 10 a été violée ou le sera au cours de sa vie.
- Dans 80% des cas, l’agresseur est connu de la victime, et un tiers des viols a lieu au sein du couple.
- 74 % des viols sont commis par une personne connue de la victime (cf. le Tumblr qui fait froid dans le dos, Je connais un violeur).
- 25 % des viols sont commis par un membre de la famille.
- 57 % des viols sont commis sur des personnes mineures (filles et garçons).
- 51% des viols sont des viols aggravés.
- 67 % des viols ont lieu au domicile (de la victime ou de l’agresseur).
- 45 % des viols sont commis la journée et non la nuit.
- Selon Amnesty international (2007), 90 % des violeurs ne présentent aucune pathologie mentale et 90 % des condamnés sont issus de classes populaires.
- 96 % des auteurs de viol sont des hommes et 91 % des victimes sont des femmes.
L’une des causes majeures de ces chiffres alarmants est la culture du viol (celle-là même qui au niveau sociétal tend à dédramatiser ou à passer sous silence le viol, à blâmer les victimes ou encore à ne pas responsabiliser les violeurs pour leurs actes).
Bien sûr, on vous accordera que l’article du Huffington Post n’est pas très bon, mais l’étude à laquelle il fait référence est quant à elle sérieuse, intelligente et pose le doigt sur les bonnes questions à se poser.
La conclusion de cette étude est qu’à trop voir de personnages ultra-sexualisés dans les jeux, les femmes auront une « self-objectification » d’elles-mêmes et par là, une acceptation de cette culture du viol, que ça soit on- ou offline. Et qu’il faudrait que les joueurs (en général) soient informés de ces effets et implications psychologiques.
Je ne veux pas accepter ça, je ne veux pas que les joueuses acceptent ça et que ce comportement se banalise. Ouvrez les yeux.
Je pense que vous confondez « acte de viol » et « culture du viol » (et vous ne lisez donc pas assez madmoiZelle !). Être joueur ne signifie pas être un violeur en puissance, prêt à passer à l’acte. Personne n’a dit ça. Mais vous tournez la chose de cette manière, vous faites croire à votre lectorat que c’est ce qu’on veut impliquer. Au point de lire sur Twitter des phrases du type « J’ai 31 ans de jeux vidéo derrière moi et je n’ai toujours rien violé
» — comme si on devait s’en féliciter.
La culture du viol est une pratique quotidienne dans notre milieu vidéoludique, à coup de « je vais lui faire manger à cette salope ! » ou encore « tu riras moins quand je te la foutrai dans le cul » (véridique ; depuis, je ne joue plus en ligne).
C’est aussi se faire traiter, en public, par des joueurs, de « pute », de « suceuse », parce que j’ai le malheur de faire mon métier.
C’est aussi me ramener à une paire de seins quand j’ai le malheur d’apparaître en photo, ou dire que l’on va me suivre sur mon lieu de travail.
C’est aussi recevoir des messages d’insultes parce qu’une fille « devrait retourner à la cuisine ou se faire baiser » plutôt que de jouer ou encore de lire qu’au lieu de critiquer des jeux, je devrais avoir la bouche ouverte pour d’autres choses.
Oh, et je n’ai pas parlé de ce jour où on m’a monnayé une interview contre mon cul… Des exemples, j’en ai des tonnes. Paye ton métier de rêve.
Maintenant, parlons des réactions que vous avez provoquées. On critiquera les méthodes de Mar_Lard (pour qui j’ai le plus grand respect) autant qu’on veut, mais impossible de passer à côté de cette vague de connerie monstrueuse, empreinte de culture du viol, que vous avez engendrée.
Vous nourrissez cette pensée avec votre article, vous placez le curseur sur le mauvais ennemi. Saloperie de féministes ! Un coup de bite et on les remet dans le droit chemin, n’est-ce pas ?
Je crois que vous n’imaginez pas, vous ne concevez pas ce qu’une victime peut ressentir devant tant de haine, tant de fantasme de viol, tant de violence mais aussi tant de déni. Et surtout, à quel point vous donnez des clés aux monstres pour se trouver une excuse (comme ça a été le cas avec Anders Breivik, qui a plaidé l’addiction aux jeux vidéo violents dans un premier temps pour expliquer son geste).
Vous êtes fiers de votre article ? Alors imaginez la tête de la première fille violée qui s’entendra dire que « je t’ai violée parce que les seins de la sorcière de Dragon’s Crown gigotaient trop » (je n’ai rien contre les gros seins dans les jeux, cela dit : je suis juste lassée de ne voir que des gros seins).
Quand j’évoque le déni, je veux parler de tous ces professionnels du milieu qui disent « la culture du viol n’existe pas ». Forcément, mon chou, tu ne le vis pas, ça ne touche pas le petit mâle lambda que tu es, donc pour toi, ça n’existe pas : tu es un peu comme Saint Thomas.
Mais pour nous, joueuses… Toutes mes amies gameuses, toutes, ont des exemples d’insultes clairement genrées, de « menaces pour rire » (trop drôle, je m’en déchire l’utérus de rire), de slut-shaming assumé. Les simples passionnées comme les professionnelles.
J’espère naïvement qu’à l’avenir, vous apporterez un vrai contenu journalistique à ce genre de sujet. Il faut en parler, il faut faire changer les choses, vous êtes un média de masse : ne vous arrêtez pas aux clichés sur le viol, puisque ceux sur les jeux vidéo vous insupportent — à raison, d’ailleurs. En clair : faites votre métier de journaliste. C’est tout ce qu’on vous demande.
Les Commentaires
Je repasse un peu 10 ans après mais merci pour ce lien !!! L'article est vraiment super puis j'avais oublié que ce merveilleux site existait donc merci merci merci