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Vie quotidienne

Mon frère handicapé et notre relation complexe

Le frère d’Albane est handicapé. Toute sa vie, elle s’est sentie lésée et mise au second plan. Elle souhaite aujourd’hui parler de cette place particulière de sœur de personne handicapée.

Depuis 21 ans, le handicap fait partie de ma vie. Mais ce n’est pas moi qui suis handicapée, c’est mon frère qui l’est.

Je trouve qu’on ne parle pas beaucoup des frères et sœurs dans l’équation du handicap. Alors aujourd’hui j’avais envie de dire « Hé ho on est là, on existe, coucou ! ».

Et peut-être que toi qui me lis, tu es dans le même cas que moi, et que ça te fera du bien de voir que tu n’es pas seule.

Le handicap de mon frère

J’ai un schéma familial assez classique : deux parents et deux grands frères. Le premier qui a 29 ans et puis un second qui a 27 ans. C’est l’aîné de notre fratrie qui est porteur d’un handicap.

Il est Infirme Moteur Cérébrale (IMC), avec une lésion au nerf optique et un syndrome épileptique.

En gros il ne marche pas et n’a pas toutes ses capacités cérébrales. Il est myope comme une taupe et sa lésion fait qu’il a des « trous » dans la vue.

Par exemple, il peut voir une miette de pain, mais pas forcément une tomate. Dans notre « malheur » on a un peu de chance puisque mon frère parle très bien et nous comprend.

Par contre il gère assez mal ses émotions, n’aime pas vraiment l’imprévu et a une obsession pour la nourriture.

Mon frère handicapé, notre relation complexe

Notre relation n’as pas toujours été facile. Toute mon enfance, jusqu’à mes 15-16 ans, j’ai ressenti beaucoup de haine pour lui.

Quand je passais dans le même couloir que lui, trop près de son fauteuil roulant, il me tirait les cheveux. Quand on était à table j’avais droit à des jolis noms d’oiseaux (sale pute, connasse, salope… et tout le tralala).

Il restait mon frère, mais je ne voyais pas pourquoi je ne pouvais pas répliquer comme je le ferais avec le second, alors moi aussi je lui tirais les cheveux, lui donnais des claques et l’insultais.

Ce que je viens de dire doit en choquer plus d’une… mais pour moi, mon frère est normal : handicap ou pas, j’aurais agi de la même manière.

Il y a beaucoup de choses que je n’ai jamais pu faire parce que mon frère était là. Aller au cinéma, dans des parcs d’attraction, en week-end ou vacances improvisées, au ski… Ou tout simplement être toute seule avec mes parents.

Même si j’ai toujours eu des petites attentions de ma mère et mon père, il y aussi eu beaucoup de conflits. J’avais l’impression qu’ils ne m’aimaient pas autant que lui.

Je me sentais seule, je le sentais « privilégié » : il me privait du temps que j’aurais pu passer avec eux.

Tout cela peut paraître superficiel, mais ça ne l’est pas pour une enfant de 8 ou 9 ans. Parfois, je l’avoue, je souhaitais qu’il meure, qu’il disparaisse pour avoir enfin une famille « normale »…

À lire aussi : Le(s) handicap(s) face au monde du travail – Les madmoiZelles témoignent

Mon frère handicapé, mon secret

On m’a souvent cataloguée comme « la sœur de » et ça a découlé sur des réflexions très dures.

La pire remarque qu’on m’a adressée, c’était en primaire :

« Aaah ne me touche pas je vais attraper la maladie de ton frère ! »

Alors comme un système de défense, j’ai fini par cacher cette partie de ma vie. Ça n’a pas duré longtemps, mais pendant une partie de mon collège je n’en parlais pas, ou à très peu de personnes.

J’avais extrêmement honte.

Lorsqu’on me demandait si j’avais des frères et sœurs et ce qu’ils faisaient dans la vie, je répondais que je n’avais qu’un seul frère.

C’était difficile, je parlais très peu du cauchemar que je vivais à la maison. Le poids du secret était parfois très lourd à porter.

Plusieurs fois dans ma vie, j’ai eu l’occasion de rencontrer des psychologues, pour différentes raisons, ce qui m’a beaucoup aidée, permis de faire le point et d’avancer.

Ça m’a fait beaucoup de bien de parler sans jugement et dans la bienveillance.

Quand je suis rentrée au lycée, je me suis sentie mieux et moins jugée, alors j’ai commencé à plus assumer. Je n’avais plus l’étiquette « frère handicapé » collée sur mon front.

Ça a même suscité l’intérêt de plusieurs personnes qui m’ont posées plein de questions pour comprendre mon quotidien, et j’ai trouvé ça plutôt valorisant.

Certains de mes amis ont rencontré mon frère, et ont été impressionnés de toute l’émotion qu’il dégage.

Mon frère handicapé, ma fierté

Aujourd’hui notre relation s’est apaisée, on se voit beaucoup moins souvent donc on profite un peu plus des moments ensemble. Son handicap évolue mais pour l’instant tout va bien pour lui.

À lire aussi : Besoin d’une bourse pour étudiante handicapée ? C’est le moment de candidater !

Il gagne en autonomie sur certains aspects ; son activité favorite est par exemple d’appeler tout le monde avec son téléphone, même si les appels restent courts.

Il n’a pas l’habitude de gâcher sa salive pour du bla-bla inutile. Souvent nos conversations se limitent à ça :

— Bonjour Albane. — Salut, alors tu as passé une bonne journée ? — Au revoir Albane.

Ça me fait rire… et au moins, je sais qu’il pense à moi !

Mon frère n’a pas eu accès à l’école mais mes parents lui ont appris beaucoup de choses, notamment pendant les longues heures d’attente à l’hôpital. Et comme il aime beaucoup les jeux télévisés, le combo lui a permis d’avoir une bonne culture générale.

En plus, il a une mémoire impressionnante alors capitales, pays, régions, départements, préfectures… Il connaît bien. Il a l’oreille absolue (l’aptitude à reconnaitre les notes d’un son et à les reproduire), et joue du piano depuis des années.

J’ai parfois le plaisir de l’entendre jouer du Aya Nakamura, des génériques de séries et du Mozart à la suite. Et dans ces moments-là, qu’est-ce que je suis fière de lui !

Mon frère handicapé, ma responsabilité

Évidemment, le handicap de mon frère conditionne ma vie et mes choix. Je suis jeune et je veux profiter au maximum parce que je sais que mes parents ne sont pas éternels, et que j’aurai la charge de mon frère tôt ou tard.

Il sera toujours un facteur décisif dans mes choix.

Je me vois mal partir à l’autre bout du monde et le laisser tout seul pour des fêtes de famille importantes, par exemple.

De même, il est essentiel pour moi que la personne qui partage ma vie accepte mon frère et toutes les choses que sa situation implique dans ma vie.

Mes parents ont eu la force d’avoir d’autres enfants après lui et je les remercie, car sinon je ne serais pas là. Ils ont tout fait pour qu’on ne se sente pas écartés et qu’on soit une vraie fratrie.

Ils nous aiment tous de la même façon, même si j’ai mis du temps à le comprendre. Ils nous poussent à donner le meilleur de nous-même.

Eux ont fait ce choix courageux, mais moi je ne le ferais pas. J’aimerais avoir des enfants mais si je découvre pendant la grossesse un handicap, j’effectuerais une IVG.

Je ne veux pas faire vivre à mes enfants ce que j’ai vécu.

Les moments difficiles ne sont pas terminés, mais aujourd’hui j’ai beaucoup de recul sur mon frère, notre relation et l’impact qu’il a eu sur ma vie.

Ce n’est pas tout rose mais ce n’est pas un monstre. C’est mon frère et je l’aime.

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Les Commentaires

65
Avatar de Ahn
28 avril 2019 à 14h04
Ahn
J'apprécie beaucoup ce témoignage même s'il n'est pas parfait (mais personne ne l'est au fond)... J'avais une petite sœur handicapée qui ne pouvais ni parler, ni marcher. Elle est morte (un peu avant ses 18 ans). Et ça a été un vrai choque et très culpabilisant pour moi de réaliser que depuis toute petite j'étais jalouse d'elle malgré son handicape, de toute l'attention qu'elle attirait et nécessitait. Et comment, en même temps, ça m'a amené à me rendre invisible pour ne pas ajouter un poids supplémentaire à mes parents.
Mes parents ont toujours tenu à ce qu'on fasse le max tous ensemble. ça a été facilité par le fait qu'elle a très peu grandi (la taille d'un enfant de 6-7 ans). Du coup on pouvait l'amener sans trop de difficulté à la mer, à la montagne, en randonnée... Ma mère n'a pas travaillé pour pouvoir s'occuper d'elle et ne pas la laisser dans un institut comme beaucoup le fond. Elle a été dans un institut mais seulement la journée, c'était son école. On avait la chance d'avoir un centre très bien et pas trop loin mais c'est pas le cas de tout le monde. Et beaucoup de ses camarades passaient la semaine voir le mois dans cet institut. Mais en même temps je trouve ça trop facile d'accuser les parents qui les "abandonne". C'est une situation extrêmement compliqué pour tout le monde. J'ai découvert la notion de validisme dans les commentaires de cet article. Et c'est effectivement très présent, dans la vie de tout les jours. Il y a toujours des gens qui se plaignaient parce qu'elle "chantait" à sa manière et assez fort. On a essayé plusieurs fois de l'emmener au cinéma mais ça restait assez compliqué. J'crois qu'il y a aussi un vrai manque de communication et des confrontation entre les différents types de handicapes et les gens "normaux".
J'me suis aussi posé les questions de qu'est-ce que je ferais quand mes parents seront plus là ou plus en capacité de s'en occuper... Alors oui, ça peut sembler très égoïste. Mais c'est des questions qu'on est obligé de se poser dans cette société et j'ai trouvé certains commentaires vraiment violent par rapport à son témoignage. On est tous humain, et invalider ses propres souffrance parce que celles de l'autre sont pire n'amène à rien. ça ne fait pas avancer le débat et je ne voit pas comment on peut améliorer les choses sans écouter les souffrances de toutes les personnes impliquées dans une situation.
Pour le handicape de ma sœur, c'est un fait, elle était absolument incapable de se gérer toute seul. Dans son cas, la société n'aurait jamais pu lui permettre d'être autonome. Elle nécessitait beaucoup d'attention et ce n'est qu'une fois qu'elle n'a plus été la que j'ai réalisé à quel point tout tournait autour d'elle. C'est pas une critique mais constat car pour moi c'était juste normal. Et j'ai aussi vu le vide que ça a créé chez mes parents, puis la possibilité que ça leur a ouvert aussi de faire des choses juste pour eux après tant d'années organisées autour d'une vie...
C'est vraiment un sujet très complexe qui fonctionne au cas par cas. J'admire énormément mes parents pour l'avoir gardé (ils ont été au courant avant sa naissance que s'ils décidaient de la garder elle serait lourdement handicapée et ne vivrait pas plus de quelques jours). Au final elle a vécu presque 18 ans et par le sourire et les rires constant, j'pense pouvoir dire qu'elle a été heureuse pendant la plus grande partie de sa vie.
Mais je sais aussi qu'ils n'avaient pas idée de ce que ça impliquerait quand ils ont fait le choix de la garder. Et je sais aussi que c'est un choix que je ne pourrais jamais faire. Et je crois que tout le monde devrait avoir la liberté de faire son choix sans être constamment jugé par les autres. Certains peuvent dire que c'est cruel de l'avoir laissé venir au monde, d'autre que ça aurait été cruel de ne pas l'avoir fait... On ne le saura jamais vraiment puisqu'elle ne pouvait pas s'exprimer comme on le fait.
Les handicapes sont aussi nombreux que les personnes qui en sont touchées, et leurs situations est unique pour chacun. Vouloir trouver une solution pour tous va au delà de l'utopie. Tout fonctionne au cas par cas et c'est bien un domaine où il est parfaitement impossible de faire des comparaisons généralistes. D'où le fait que le notion de validisme soit très réel et très indapté à la fois aux réalités auxquelles font face les personnes touchées de handicape.
C'est un peu brouillons et j'ai pas l'habitude d'en parler, mais j’espère que ça pourra éclairer certaine personnes.
Et vraiment merci à la Mademoizelle d'avoir témoigné!
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