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Je veux comprendre… les enjeux du débat sur la prostitution

À quelques jours de l’ouverture du débat sur la « loi visant à responsabiliser les clients de la prostitution » à l’Assemblée Nationale, Marie.Charlotte revient sur ses enjeux.
Nous avions relayé en octobre une campagne du mouvement Abolition 2012, en faveur de l’abolition de la prostitution. Le Tumblr Prostitueurs, compilation des pires « avis clients », avait de quoi retourner l’estomac.

Mais face à cet épineux débat, la rédaction de madmoiZelle n’a pas (encore) d’avis tranché sur la question. Nous ne sommes ni abolitionnistes, ni anti-abolitionnistes. On peut s’offusquer légitimement des violences associées au système prostitueur sans pour autant nier aux travailleuses du sexe le droit d’exercer légalement leur activité.

Pour vous permettre — et nous permettre par la même occasion — de progresser dans notre raisonnement sur le sujet, nous avons décidé de publier cet article, et un autre centré sur le contenu de la loi. Ils n’ont pas vocation à apporter des réponses concrètes aux problèmes posés par la prostitution, mais veulent tenter de soulever les bonnes questions, et permettre un débat dépassionné et respectueux.

La prostitution existe. Certaines personnes la subissent, d’autres revendiquent son exercice. Certain·e·s plaident en faveur de sa décriminalisation, de sa réglementation, d’autres réclament son abolition. Avant de s’intéresser à la manière dont les pouvoirs publics doivent (ou devraient) s’en saisir, essayons de comprendre les enjeux du débat autour de la prostitution, et plus particulièrement les différences d’approches à l’origine du clivage entre pro- et anti-abolition de la prostitution.

NB : puisqu’en France, le débat s’est cristallisé autour d’une opposition entre partisans et opposants à l’abolition de la prostitution, c’est à ces positions que nous faisons référence dans cet article.

La prostitution en tant que contrainte économique

Pour les pro-abolition, la prostitution est toujours une contrainte, elle ne peut pas être une activité « librement choisie ». Ils mettent en avant l’écrasante proportion de victimes des réseaux de proxénétisme, véritables réseaux de traite d’êtres humains.

Il est difficile de citer des chiffres tant la réalité de la prostitution est mal connue. On peut cependant s’accorder sur le constat que les étrangères constituent une majorité importante des personnes prostituées (80% selon le rapport d’information parlementaire).

La notion de contrainte n’est pas niée par les anti-abolition : ils mettent en avant la contrainte économique. Certes, la prostitution est exercée par contrainte, car les personnes prostituées ont besoin d’argent pour vivre, et que le travail sexuel n’est ni plus ni moins dégradant que ne peuvent l’être certains jobs « de survie ».

Il n’est pas inconcevable que certain·e·s préfèrent le travail sexuel. Il suffit d’écouter les témoignages de personnes prostituées pour le comprendre. Certaines ont occupé des emplois de service (vendeuse, caissière…), et n’arrivaient pas à obtenir un temps complet, ou tout simplement, n’arrivaient pas à s’en sortir avec un SMIC.

Ainsi, pour les anti-abolition, on peut tout à fait débattre des notions de choix et de contrainte, mais en quoi une personne qui a recours à la prostitution pour assurer ses revenus serait moins libre ou davantage contrainte qu’une autre, exploitée elle aussi dans un job qui en plus de lui être pénible, n’est pas suffisamment rémunéré pour lui permettre de vivre ?

C’est pour cela que le STRASS, le Syndicat du Travail Sexuel, milite pour la décriminalisation de la prostitution, et pour que le travail sexuel soit régi par le droit commun. Aujourd’hui, les travailleuses du sexe indépendantes paient leurs impôts et leurs cotisations sociales en se déclarant « masseuses » par exemple, mais leur profession n’est pas reconnue. Elles contribuent à l’impôt sans pouvoir prétendre à une véritable retraite.

Mélina, travailleuse du sexe, témoignait au Sénat lors d’un débat organisé par la sénatrice EELV Esther Benbassa :

« Ça fait 30 ans que je paie des impôts. J’ai eu mon relevé de retraite. Je vais pouvoir m’acheter une baguette par jour. »

Les personnes prostituées répondent à l’argument de « la contrainte » par l’indépendance et la liberté, la liberté de choix et la liberté à disposer de son corps.

« Vous pouvez penser que c’est un mauvais choix, mais c’est notre choix. Nous vous demandons de respecter notre choix », ajoutait à ce sujet Mélina, prostituée.

À ces revendications, les pro-abolition répondent que la prostitution n’est pas un travail, et avancent des « parcours de sortie de la prostitution » en solution. Des mesures qui figurent d’ailleurs dans la proposition de loi qui sera débattue fin novembre 2013 à l’Assemblée Nationale.

Des titres de séjour avec permis de travail de 6 mois devront (devraient ?) être délivrés aux migrantes, à condition qu’elles renoncent à se prostituer. La ministre des droits des femmes, Najat Vallaud-Belkacem, a annoncé la mise en place d’un fonds d’aide à la sortie de la prostitution, de 10 à 20 millions d’euros par an.

Cette mesure est vivement critiquée par les opposant-e-s à l’abolition : quand on connaît la difficulté à trouver du travail aujourd’hui en France, on imagine difficilement une étrangère ayant potentiellement des difficultés à s’exprimer couramment en français (à l’oral et/ou à l’écrit), ex-prostituée, réussir à décrocher un emploi avec un permis de travail de 6 mois.

La contrainte économique incitera ces personnes à retourner à la prostitution. Ce faisant, elles contreviendront aux termes de leur titre de séjour, et seront passibles d’expulsion.

Le fond du débat quand on parle des (très nombreuses) prostituées étrangères porte donc sur l’immigration illégale, ainsi que le souligne Morgane Merteuil, secrétaire générale du STRASS :

« Les abolitionnistes considèrent que toutes les personnes étrangères prostituées qui sont arrivées en France par les réseaux de migration sont nécessairement « forcées » et « à sauver ». Comme on fait un amalgame entre prostituées migrantes et victimes du proxénétisme, ça permet d’utiliser la prostitution comme prétexte pour lutter en vérité contre l’immigration illégale.

Il y a effectivement des personnes migrantes victimes du proxénétisme, mais la solution n’est en aucun cas de les renvoyer dans leur pays (sauf si elles en font la demande). »

La prostitution dans le droit français

En droit français, le principe de non patrimonialité du corps fait obstacle à ce que « le corps humain, ses éléments et ses produits [fassent] l’objet d’un droit patrimonial », aux termes de l’article 16-1 du code civil.

Le principe d’un état de droit, c’est que « la loi doit protéger les plus vulnérables ». Il s’agit de faire obstacle à ce que la logique économique (la contrainte économique) force les plus vulnérables à porter atteinte à l’intégrité de leur corps. Dans ces cas, seul l’acheteur est poursuivi, le vendeur ne risque rien. C’est sur ce modèle que la proposition de loi prévoit d’introduire un délit d’achat de relations sexuelles, sans pour autant pénaliser la personne vendeuse.

Personne ne met en cause la nécessité de protéger les plus vulnérables, la divergence porte sur les moyens à mettre en oeuvre.

En effet, les travailleuses du sexe n’ont pas besoin qu’« on » les protège, les droits qu’elles revendiquent sont justement les armes qui leur font défaut à l’heure actuelle pour pouvoir défendre elles-mêmes leurs intérêts. Morgane Merteuil expliquait :

« Prétendre que les putes ont besoin de la tutelle de l’État, c’est les considérer comme « mineures », incapables de se défendre. Mais si un client a été violent avec moi, je veux pouvoir porter plainte pour violence, et non pas pour proxénétisme. »

Tant que la prostitution s’exercera (même partiellement) dans l’illégalité, les personnes prostituées seront limitées dans la revendication de leurs droits

. Comment protester contre les conditions imposées par un patron de bar / un propriétaire, si le seul recours que l’on a à sa disposition est de dénoncer la personne et de témoigner contre elle pour proxénétisme ?

Sur ce point, Morgane Merteuil nous précisait :

« Il est toujours possible de lutter pour améliorer ses conditions de travail, même dans le pire des emplois. Mais c’est impossible lorsque l’activité exercée est illégale. Et d’entendre qu’il suffirait alors de « changer de boulot » n’est ni une réponse, ni une solution pour les personnes qui ne peuvent pas se permettre de renoncer à leurs revenus le temps de trouver autre chose. »

Pour résumer, les tenants de l’abolition souhaitent qu’une nouvelle loi protège les personnes prostituées. Les anti-abolition militent pour que les personnes prostituées soient mises en situation de pouvoir se défendre elles-mêmes.

Les migrantes illégales (qui n’ont aucun moyen de faire valoir leurs droits, puisqu’elles risquent l’expulsion) ont un problème d’immigration illégale avant d’avoir un problème lié à la prostitution ou à la précarité. Elles ne sont pas pour autant oubliées des revendications du STRASS : selon le syndicat, la décriminalisation de la prostitution leur profiterait en premier lieu. Le STRASS s’oppose d’ailleurs fermement à ce que la délivrance des titres de séjour soit conditionnée à l’arrêt de la prostitution, et par conséquent, à ce que l’exercice de cette activité puisse servir de motif d’expulsion.

Quant à l’exploitation que subissent les prostituées victimes des réseaux (étrangères et/ou françaises), les moyens juridiques de lutter contre l’exploitation des êtres humains existent, et ils ont été renforcés par l’adoption en août d’une loi portant sur la lutte contre l’esclavage. Ainsi, l’article 224-1 B du code pénal dispose désormais que :

« L’exploitation d’une personne réduite en esclavage est le fait de commettre à l’encontre d’une personne dont la réduction en esclavage est apparente ou connue de l’auteur une agression sexuelle, de la séquestrer ou de la soumettre à du travail forcé ou du service forcé. »

Les questions que la loi ne tranche pas portent essentiellement sur l’éthique du corps humain. Entre « vendre son corps » et « exercer une activité », entre « esclave sexuel » et « prestataire de service », les mots des uns et des autres trahissent des postulats opposés sur les limites de la liberté à disposer de son corps.

Concrètement, « vendre son corps », on peut ?

Éthique du corps contre liberté individuelle ?

Côté abolitionniste, on se défend d’être moraliste. L’exposé des motifs de la proposition de loi fait explicitement référence à cette critique, en y opposant l’assurance d’un « progressisme social ».

Que dit la proposition de loi visant à « responsabiliser les clients de la prostitution et à renforcer la protection des victimes de la traite des êtres humains et du proxénétisme » sur le sujet ? Pas grand-chose, effectivement, si on reprend la proposition de loi déposée le 7 décembre 2011 dans le texte :

« Lors de la publication des conclusions de la mission d’information, une seule des trente préconisations a été retenue par la plupart des commentateurs (la « pénalisation des clients ») et un seul reproche lui a été adressé : cette proposition, fruit d’une pudibonderie exacerbée, marquerait la volonté de restaurer un ordre moral sexuel.

Cette critique semble étrange à quiconque sait que les clients ont été pour la première fois rendus passibles de sanctions en 1999, en Suède, pays pionnier en matière de libération sexuelle. Deux autres pays européens, la Norvège et l’Islande, l’ont récemment imitée dans cette démarche. Ces trois pays sont pourtant progressistes dans le domaine des questions de société. Par exemple, ils figurent tous parmi les sept États européens qui ont légalisé le mariage homosexuel. »

On peut légitimement se demander ce que vient faire la légalisation du mariage pour tous en caution morale au sein de ce texte. La reconnaissance des droits des homosexuel-e-s n’est pas une affaire de libéralisme, c’est une affaire de tolérance et de respect des individus, dans toute leur diversité.

La question du rapport au corps est finalement peu abordée ouvertement dans le débat sur la prostitution en France, alors qu’elle est au centre des divergences entre pro et anti-abolition.

Les tenants de la décriminalisation mettent en avant la liberté individuelle, notamment le droit à disposer librement de son propre corps. Côté pro-abolition, il n’y a pas de position claire sur ce sujet. Où cette liberté s’arrête-t-elle ? Pourquoi tracer une ligne rouge au niveau des relations sexuelles tarifées ?

Éthique et hypocrisie

Côté abolitionniste, on précise cependant que :

« l’abolition ne rend pas la prostitution illégale, elle vise à sa disparition en abolissant toutes les règles spécifiques susceptibles de la favoriser, la prostitution privée est donc licite pour la position abolitionniste. »

Pourtant, la conciliation des deux propositions paraît difficile : comment d’un côté, soutenir que la prostitution privée puisse rester légale, tout en visant à sa disparition ?

Le débat effleure — sans jamais y toucher — le tabou qui persiste en France autour du rapport au corps, question qui mériterait pourtant d’être abordée ouvertement dans la société.

Ne soyons pas hypocrites, dans le cas de la prostitution, c’est le sexe qui pose problème. Alors pourquoi se « cacher » derrière des contraintes économiques et l’assurance de progressisme social au lieu de parler clairement de sexe ?

Les putes sont des femmes comme les autres

Et comme toutes les femmes, les prostituées subissent de plein fouet les stigmates et les violences d’une société dont certains de ses prétendus « intellectuels » ne rougissent pas à l’idée de publier toute une tribune revendiquant un « droit à la pute » (épargnez vos yeux, contentez-vous d’écouter l’édito de Nadia Daam sur le Mouv’ : les 343 blaireaux).

Invité sur l’émission Le Soir de BFMTV, Gil Mihaely, directeur de publication du magazine Causeur (qui publie le fameux manifeste des 343 salauds), compare sans rougir les prostituées victimes des trafics à de la « viande avariée ».

[dailymotion]https://www.dailymotion.com/video/x16mdwg_le-soir-bfm-touche-pas-a-ma-pute-le-manifeste-des-343-salauds-30-10-3-4_news[/dailymotion]

Ces déclarations témoignent du sexisme encore tenace dans notre société. Avec ou sans prostitution, il y aura encore des gens pour penser que les femmes peuvent être des « biens de consommation », qu’il est normal et naturel que des hommes le revendiquent comme un « droit ».

Dans tous les cas,  la « loi visant à responsabiliser les clients de la prostitution » sera présentée à partir du 27 novembre à l’Assemblée nationale. Espérons que le débat qu’elle engendrera sera à la hauteur, pas comme celui autour du mariage pour tous. Par exemple.

Pour aller plus loin :


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Les Commentaires

22
Avatar de Lady Von Duck
19 novembre 2013 à 01h11
Lady Von Duck
Je n'arrive pas à me positionner sur la question, comme beaucoup d'autres mads l'ont très bien dit avant moi dans le forum.

Cela dit une phrase dans l'article "Je veux comprendre… les enjeux du débat sur la prostitution" (très bon par ailleurs) m'a fait tiquer :

"Ne soyons pas hypocrites, dans le cas de la prostitution, c’est le sexe qui pose problème."


Je n'en suis pas si sure. Le vrai problème est que la prostitution se situe à la limite entre la liberté légitime à disposer de son corps et une violence faite à des hommes et à des femmes. Et tout le débat s'organise autour de la définition de cette violence, parce qu'elle n'est pas ... "tangible" ... je ne sais pas comment l'exprimer.

Bon par exemple, certaines personnes très pauvres acceptent de se faire tabasser contre de l'argent.

Tout le monde est d'accord pour dire que ce n'est pas acceptable. Même si la personne tabassée se dit volontaire.

La prostitution est aussi une forme de violence ... ou pas. Ça dépend. De la personne qui se prostitue, du client, du contexte ... c'est ça le problème, on ne peut pas la situer sur l'échelle parce que chaque cas est particulier. On ne peut pas mesurer les séquelles psychologiques comme on pourrait constater 3 côtes cassées et une mâchoire réduit en miette.

Et le plus compliqué c'est que certaines (je ne dis pas toutes), certaines prostituées qui se disaient volontaires etc, racontent quelques années plus tard qu'il aura fallut qu'elles sortent de la prostitution pour se rendre compte de cette violence subit (même volontairement)
Alors comment évaluer une violence dont même les victimes (majeures et vaccinées) n'ont parfois pas conscience sur le moment ?

Pour tout ça, pour moi le vrai problème de la prostitution, ce n'est pas le sexe, c'est la "violence", et la définition de celle-ci

(mais encore une fois je n'ai pas d'avis tranché sur le sujet, je donne raison aux anti-abolitionnismes ET aux pro-abolitionnismes)
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