Publiée le 16 octobre, la vidéo de Guillaume Pley Comment chopper une fille en 3 questions (sic) cumule plus de deux millions de vues sur Youtube.
https://youtu.be/4p6vL7xojDg
En regardant cette vidéo, je fus profondément atterrée, comme je l’imagine, un grand nombre d’entre vous.
Contrainte et surprise, des techniques innovantes ? Non, un délit pénal
Guillaume Pley s’inspire directement de cette autre vidéo, How to get girls to kiss you. Le principe est exactement le même. Le jeune homme approche une jeune femme isolée (ou en compagnie d’une femme seule) et lui pose 4 questions :
- Est-ce que je peux te poser 3 questions ?
- Est-ce que tu as un copain/un petit-ami ? (la réponse à cette question n’importe nullement, il faut le souligner)
- Comment tu me trouves physiquement ?
- C’est quoi ton excuse pour ne pas m’embrasser, là, tout de suite ?
Peu importent les réponses des jeunes femmes : les questions ne sont qu’un prétexte pour retenir son attention. L’homme profite de l’hésitation/de la surprise de la jeune femme sur la dernière question pour l’embrasser.
On constate sur la vidéo de Guillaume Pley qu’il se passe volontiers du consentement de la jeune femme, puisque plusieurs répondent clairement « non » à sa 4ème question. Qu’importe, il plaque quand même sa bouche sur la leur, en leur tenant la tête avec les mains au besoin. C’est charmant.
Et totalement répréhensible, excusez-nous de le souligner :
Article L-222-22 du Code pénal :
« Constitue une agression sexuelle toute atteinte sexuelle commise avec violence, contrainte, menace ou surprise. »
Et oui, les baisers obtenus par contrainte et/ou par surprise entrent effectivement dans le champ de cet article. Pour vous en convaincre, je vous recommande la lecture de cet article hébergé chez Maitre Eolas (et les réponses du juge Dadouche dans les commentaires.)
À la recherche de la vulnérabilité, ce défi héroïque
Au-delà de l’aspect parfaitement répréhensible de ces actes, examinons l’intention de Guillaume Pley (étant entendu que son intention ne devait pas être à la base de se filmer en train de commettre un délit).
La vidéo est présentée comme « un défi » : embrasser une inconnue dans la rue en moins de 10 secondes serait « un challenge » difficile à relever. Arrêtons-nous un instant sur cette énorme méprise.
Il choisit en effet des filles en position de vulnérabilité : elles sont seules, elles sont arrêtées et/ou assises quelque part (elles ne sont pas en mouvement dans la rue).
La première victime est arrêtée à un distributeur automatique de billets. Saluons ici l’exploit qu’il y a à aborder une fille en train de retirer de l’argent à un distributeur. Je suis à peu près aussi scandalisée que lorsque dans les documentaires animaliers, les fauves se planquent sournoisement à proximité des points d’eau dans la savane : ils savent que les bêtes qui viennent s’y désaltérer sont les plus vulnérables.
Bravo l’artiste. Mais il n’y a aucun mérite ni aucune prouesse à user de force et/ou d’effet de surprise sur une personne en position vulnérable. Pour filer la métaphore de la savane, il faudrait veiller à ne pas confondre chasseur et charognard.
Qui plus est, en regardant attentivement cette première scène, on constate qu’elle s’est certainement produite un soir ou à la nuit tombée. Aborder une fille seule à un distributeur de billets la nuit, mais quel courage, quelle prouesse !
Je suis en admiration devant tant de talent. C’est vraiment pas comme si ces situations dans la rue, la nuit pouvaient être angoissantes, ça se saurait…
« Miss Monde », le nouveau « hé sale pute »
« Ça va c’est un bisou, Miss Monde là ! » répond-t-il, goguenard, à la quatrième fille, la seule qui réussit à refuser son « baiser ».
L’héroïsme est total. Une fille n’adhère pas à la technique des « 3 questions » (ne serais-tu pas le premier boulet à venir l’emmerder ?), et la réaction de Guillaume Pley tombe exactement dans le harcèlement de rue.
Aux sceptiques qui nous lisent, n’allez pas croire que parce que vous n’avez pas balancé une insulte évidente, votre comportement n’est pas insultant. « Ça va c’est qu’un baiser, Miss Monde » est aussi insultant et dégradant que les « vas-y là, salope » et autres « sale pute » proférés à la volée.
Ce « Miss Monde » totalement méprisant sonne exactement comme un « mais pour qui elle se prend », renforçant l’idée que refuser des avances est une faute. Un commentateur YouTube écrit d’ailleurs « C’est la plus grosse qui refuse MDR ! ». Mais vraiment, pour qui se prend-t-elle, cette « grosse » ?
« Je ne sais pas, je ne te connais, je vais pas te juger » répond pourtant cette fille lorsqu’il lui demande comment elle le trouve physiquement.
C’est si difficile d’appréhender l’idée qu’on ne juge pas forcément les gens sur leur physique ? Si être au goût de ces messieurs semble être une raison suffisante pour se faire aborder, est-ce que ces messieurs peuvent tout de même entendre que non, nous plaire physiquement n’est pas une raison suffisante pour embrasser un inconnu dans la rue au bout de 10 secondes ?
Ne pas confondre : séduction et harcèlement
Exemple de confusion séduction/harcèlement
Norman nous a répondu sur Twitter
C’est pourtant bien simple. Mais la méprise est si courante que la différence mérite d’être précisée. La question élémentaire à se poser avant d’aborder une fille dans la rue est la suivante :
« Ai-je devant moi un être humain avec lequel j’ai envie d’interagir respectueusement ? »
Si votre impulsion de départ est « c’est un vagin sur pattes, je tente le coup », vous tombez irrémédiablement dans la case harcèlement. Passez votre chemin.
Comment aborder une fille ? Si vous vous apprêtez à utiliser une phrase d’approche déjà entendue un demi million de fois, avortez votre tentative d’approche : elle est vouée à l’échec.
[dailymotion]https://www.dailymotion.com/video/xf8qia_berengere-krief-cours-de-repartie-a_music[/dailymotion]
Exemples de phrases d’approches à ne surtout pas tenter, par la talentueuse Bérengère Krief et ses cours de répartie anti-relous. Ajoutez donc « je peux te poser 3 questions ? » à cette liste.
« Mais… c’est trop dur d’aborder des filles dans la rue, en fait ! On peut rien vous dire ! »
Oui, la dure réalité est qu’en tant que fille, il m’arrive parfois de sortir dans la rue sans envie ni intention d’attirer l’attention d’un mâle. Parfois je sors dans la rue parce que j’ai des courses à faire, parce que je me rends à une destination bien précise, parce que j’ai un rendez-vous, parfois même pour le simple plaisir de me promener dans cet espace public théoriquement ouvert à la libre circulation de tous qu’est « la rue ». Et non, je n’ai pas forcément envie d’être abordée par un inconnu. Indépendamment de son physique.
Comment repérer une fille qui n’a pas envie qu’on l’aborde ? Elle ne te regarde pas. Tu lui parles et elle ne relance pas la conversation. Elle essaie même d’y couper court. Elle regarde autour d’elle. Indice : fous-lui la paix.
« Du coup comment je fais pour l’aborder quand même ? » : tu ne peux pas. Oui, je sais, c’est difficile à entendre, mais les filles ne sont pas des boîtes de conserve sur un rayon de supermarché. Il faut vraiment se faire une raison et arrêter de croire qu’il y a des techniques de séduction qui permettraient de nous ouvrir telles des huîtres. Le consentement ne peut pas être marchandé ni négocié, il doit être accordé. Si je ne veux pas, tu n’y peux rien. Point barre.
Les techniques de « séduction » entretiennent l’illusion qu’un « non » est un « peut-être », que le séducteur habile est celui qui « arrive à obtenir un oui ». Ce postulat est dégradant et dangereux pour les femmes.
Dégradant parce qu’il revient à sous-entendre que la séduction est un jeu dont le trophée est la femme. Je préférerais être une joueuse à part entière dans le jeu de la séduction, et pas simplement le gain de la partie.
Dangereux parce qu’il nie la notion de consentement, et qu’une relation sexuelle non consentie est un viol. Oui, ça escalade très vite. « Forcer » ne veut pas nécessairement dire user de violence physique. Rappelons-le : céder n’est pas consentir.
« Embrasser une fille en moins de 10 secondes » n’a rien d’un exploit
Violer l’espace d’une personne, entrer en contact physique avec une inconnue sans son accord exprès n’est pas un exploit. L’exploit consiste pour une fille se déplaçant seule dans la rue à éviter les différentes invasions de son espace personnel, volontaires ou non.
[dailymotion]https://www.dailymotion.com/video/xsi69g_sofie-peeters-femme-de-la-rue-bruxelles_news[/dailymotion]
Sofie Peeters, étudiante belge, a réalisé cette vidéo en caméra cachée pour mettre en évidence le harcèlement de rue.
Alors non, embrasser une inconnue sans qu’elle n’ait pu accorder son consentement, ce n’est pas un défi, ce n’est pas un challenge. C’est profondément irrespectueux.
Il est grand temps d’arrêter de considérer que les filles sont des lots à gagner, des « objets » de désir. Nous sommes des êtres humains et nous revendiquons le droit de faire jeu égal dans la séduction.
Cette vidéo, et l’approche qu’elle encourage entretiennent des mythes sexistes et violents, il suffit de lire les commentaires pour s’en rendre compte.
« C’est facile avec des filles faciles », le double standard Don Juan/salope
Dans les commentaires postés sous la vidéo, c’est un festival : entre ceux qui applaudissent la technique et promettent de s’y essayer, ceux qui ne voient pas le problème (malgré plusieurs commentaires dénonçant le procédé à la limite de l’agression), la lecture de l’échantillon ci-dessous peut sérieusement entamer votre foi en l’humanité.
Saluons l’implication de TreeHugger dans la nuée de commentaires ignares/haineux/violents (au choix).
Les commentaires sont au moins aussi atterrants que la vidéo. Slut-shaming, culture du viol, tout y est.
Avertissement courtois à tous ceux qui seraient tentés de mettre en pratique « la technique des 3 questions » : je collerai une mandale préventive à toute personne qui m’aborderait par un « je peux te poser 3 questions ? ». Et j’invite mes congénères à redoubler de méfiance dans les prochaines semaines, ainsi qu’à signaler cette vidéo pour contenu inapproprié, histoire de limiter l’écho de ce lamentable exemple de harcèlement.
Triste Sganarelle…
Mais j’ai une vraie question pour Guillaume Pley (cher confrère, si tu me lis).
Comment aurais-tu réagi si un mec t’avait fait le coup des 3 questions ? À supposer que tu aies autant de sens de l’humour dans la vie qu’à l’antenne, j’imagine que la scène te ferait rire (comme elle a effectivement fait rire/sourire une des filles dans ta vidéo). Et ensuite ?
Ce serait pas un tout petit peu gênant, tu ne te sentirais pas un minimum agressé, brusqué, touché par ce contact intime non désiré ?
Et si la scène se répétait, ou simplement menaçait de se répéter quotidiennement, si tu étais interpellé par des inconnus à chaque fois que tu sortais dans la rue ?
Ce serait pas excessivement relou au bout d’un moment ?
Ce serait pas excessivement humiliant et dégradant ?
Divertir les foules est un bien noble dessein, mais n’y aurait-il pas davantage de noblesse à le faire à tes propres dépens, plutôt qu’à ceux d’innocentes victimes ? Par « victimes », j’entends nous toutes, nous qui subissons quotidiennement et en silence le harcèlement de rue, cette épuisante banalité.
Il n’y a aucune noblesse, aucune finesse et surtout, aucune originalité dans ta vidéo.
Triste Sganarelle, que celui qui se crut Don Juan des temps modernes.
Et au passage très cher, comment « chopper » une fille ? Essaie avec un seul P, plutôt qu’avec des gros sabots d’âne bâté.
– Merci à Carlottina de nous avoir signalé cette vidéo
Mise à jour, 13h20 : À l’initiative de DariaMarx, un rassemblement est prévu devant le siège de NRJ pour protester contre cette vidéo, rappeler l’importance du consentement et lutter contre la culture du viol. Rendez-vous donc à 18h30, au 22 rue Boileau (Paris 16ème) ; n’hésitez pas à amener des pancartes (« Mon consentement n’est pas une blague », « Non c’est non », suggère Daria) et des ami-e-s !
Mise à jour, 19h45, par Fab : Alors qu’on attend une réaction du cabinet du Ministère des droits des femmes sollicité un peu plus tôt dans la journée, Marie-Charlotte était devant NRJ pour couvrir le rassemblement organisé par DariaMarx.
Elle m’a passé au téléphone Elena, 22 ans, webjournaliste, qui est allée discuter en compagnie d’autres femmes sur place avec le responsable de la sécurité de NRJ, pour tenter de rencontrer Guillaume Pley et établir un dialogue construit autour de cette vidéo. Il a préféré ne pas donner suite à leur requête et a annoncé parler « de la polémique » au micro de NRJ ce soir à 23h.
On attend sa réaction, d’autant plus impatiemment que NRJ a passé sa journée à censurer l’intégralité des commentaires en colère sur leur page Facebook ainsi que celle de l’animateur… (cf capture d’écran ci-dessous ainsi que les commentaires de madmoiZelles indignées dans notre forum). L’animateur de « Guillaume Pley Radio 2.0 » n’est 2.0 que quand ça l’arrange, semble-t-il. Suite de l’affaire tout à l’heure, donc.
Mise à jour 23h35 — Comme prévu donc, Guillaume Pley a entamé son émission de ce soir avec une mise au point l’espace de 3’20, dont voici la retranscription exacte en intégralité.
Pour aller plus loin :
- Le harcèlement de rue, cette épuisante banalité
- Je veux comprendre : le slut-shaming
- Une étudiante belge dénonce le harcèlement de rue en caméra cachée
- Et tous nos articles sur le harcèlement de rue
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