Dans l’émission On n’est pas couché du samedi 17 février 2018, Laurent Ruquier recevait Grand Corps Malade pour la promotion de son nouvel album, Plan B.
Plan B, c’est également le nom d’un des titres qui composent l’album, sur lequel Christine Angot, chroniqueuse de l’émission en duo avec Yann Moix, a souhaité revenir. L’artiste a alors été confronté à l’avis plutôt particulier de cette dernière concernant la vie artistique.
« Pour tous les artistes, être artiste c’est toujours un plan B. C’est ne pas avoir pu faire ce qu’on pensait faire quand on était petit, c’est-à-dire avocat ou instituteur ou médecin ou travailler dans une entreprise. (…) C’est toujours le résultat au fond d’un échec. »
Ah. Bon.
« On est tous des ratés », ajoute alors Laurent Ruquier.
Dans la séquence entière, Bruno Solo, également invité de l’émission, se tortille sur sa chaise et déclare :
« Aussi loin que mes souvenirs remontent, j’ai toujours eu envie de faire ce que je fais aujourd’hui. Je ne vois pas à quel moment j’ai eu envie de faire autre chose. »
Christine Angot faisait ici sans doute référence au parcours personnel de Grand Corps Malade, qui était destiné à une carrière sportive de haut niveau avant qu’un accident ne l’oblige à changer de voie. C’est par la suite qu’il a alors découvert le slam (je vous conseille d’ailleurs à ce sujet très chaleureusement son film absolument sublime et très personnel, Patients).
De fait, l’artiste approuve cette vision par rapport à son cas, mais précise que chronologiquement, forcément, son plan B est intervenu après son plan A, mais qu’il y a de très beaux plans B dans la vie.
Comment comprendre la position de Christine Angot vis-à-vis de l’art, dans la mesure où elle est, elle-même, une créatrice ?
Christine Angot, une auteure qui dénigre les artistes ?
Christine Angot connaît le succès à la parution de son roman L’inceste, en 1999. Elle y raconte par le prisme de l’écriture romanesque les actes incestueux perpétrés par son père dans son enfance. Mymy était revenue sur ce roman dans son article au sujet de l’altercation qui l’avait opposée à Sandrine Rousseau en octobre 2017.
Il est donc facile de s’imaginer un rapport à l’art très particulier de la part de l’auteure, finalement thérapeutique, comme une manière d’expulser par l’écrit les pensées rattachées à une époque qui marque toute une vie.
Est-ce que pour Christine Angot, l’art est une urgence de dire avant d’être une vocation ? Et de fait, son succès serait-il, à ses yeux, le hasard de la rencontre entre un public et son histoire ?
Peut-être. En tout cas, cela expliquerait ses propos, et le lien qui l’unit à Grand Corps Malade, car pour lui, la musique n’était pas une vocation, ce n’était pas un plan A.
En tout cas, en visionnant la séquence, je ne peux m’empêcher de sentir un certain malaise en pensant à celles et ceux qui triment chaque jour pour vivre de leur art. Et ce pour la simple raison qu’elle fait écho à des clichés véhiculés plus généralement par la société.
Un plan B : la vie artistique vue par la société ?
Encore aujourd’hui, affirmer vouloir devenir artiste donne une espèce d’impression de souhait d’une vie de troubadour, de débauche frivole, en quête de reconnaissance et de gloire.
Et de personne un peu chelou
J’ai l’impression que dans l’esprit commun, la stabilité d’un métier qui résulte d’études longues et qui demandent un savoir globalement aussi exhaustif que l’intégralité des mots du dictionnaire débouchent automatiquement sur un travail.
L’art, lui, demande de trouver un public amateur de sa vision et touché par sa propre sensibilité. Être artiste, c’est être moins objectif qu’un avocat ou qu’un médecin, car il n’y a pas de préceptes fondamentaux à appliquer, il faut nécessairement y mettre de soi — ce qui est fatalement peu objectif.
Du coup, la première étape est d’abord de réussir à se trouver artistiquement, puis se perfectionner pour offrir une production la plus aboutie possible et qui ne puisse pas être sujette à des critiques purement rationnelles (fausses notes dans sa chanson, poils de pinceau sur la toile, ou syntaxe bidon dans son roman).
Et seulement à partir du moment où cette expertise est acquise, il faut alors partir à la recherche de son public, se faire entendre, se montrer, pour trouver ses bienfaiteurs.
Tout ça, c’est un travail énorme, c’est une rigueur de vie à s’imposer, et une patience de moine tibétain à s’inculquer.
Un artiste n’a rien s’il ne travaille pas
Je les entends déjà, les détracteurs qui vont affirmer que la téléréalité permet aujourd’hui de vivre facilement de son art.
J’ai envie de rétorquer qu’en plaçant la popularité avant le travail, il y a peu de chance de réussir sur le long terme — et il n’est pas rare que les gagnantes et gagnants des émissions de télécrochet par exemple mettent du temps avant de sortir un premier album.
Alors est-ce que viser un métier artistique est plus instable qu’un métier traditionnel ? Concrètement, comparer les deux domaines, c’est comme comparer le basketball au handball : on a bien un ballon qui sert à marquer des points, mais ça n’a rien à voir. Ici, on a bien deux métiers qui servent à mettre des aliments dans son assiette, mais ils sont loin d’avoir les mêmes fonctionnements.
L’un n’est pas plus facile que l’autre : ils sont justes très différents. À ceci près que tous deux demandent une rigueur et du travail pour parvenir au bout de ses ambitions.
Si en plus de son talent, Grand Corps Malade n’avait pas fait de nombreuses scènes de slam, il n’aurait pas construit pierre par pierre sa notoriété, qui l’a mené à enregistrer son premier album.
Si J.K. Rowling n’avait pas persévéré avec acharnement pour réussir à faire éditer Harry Potter, elle ne serait pas l’une des auteures les mieux payées au monde.
Les conseils de l’auteur et dessinateur Riad Sattouf aux jeunes artistes souhaitant se lancer dans la BD reposaient, quant à eux, principalement sur le travail et la persévérance.
Si, contrairement à ce que les médias véhiculent encore massivement, les vidéastes sont parvenus à faire de leur travail sur YouTube un métier nouveau, c’est parce qu’ils se sont imposé de publier régulièrement des vidéos, de les réaliser avec le plus de qualité possible, que ça soit dans l’écriture, le jeu, la manière de filmer et de prendre le son. C’est aussi parce qu’ils ont appris à gérer leur communication et les débuts de leur entreprise.
Alors quel que soit le domaine précis, sans cette dévotion au travail, une soif d’apprendre et de perfectionnement, il faut un énorme coup de chance pour réussir.
C’est du travail, différent des apprentissages techniques, des différents codes à apprendre ou de l’expertise médicale à connaître la plus précisément possible, mais du travail tout de même.
La vie artistique ou le complexe des filières bouchées
Là où il est possible de trouver une vraie résonance dans l’interprétation des propos de Christine Angot, c’est dans l’idée que la société n’encourage pas les voies artistiques : elles ne sont pas encouragées à être un plan A.
Allégorie de l’artiste face à ce que lui impose la société
Il suffit de tendre l’oreille pour entendre que telle personne a préféré
faire des études lui assurant un avenir sécurisé avant de se lancer dans des rêves plus artistiques, ou que les parents de telle personne lui ont d’abord demandé de passer le bac avant d’essayer de percer artistiquement.
Alors à toi qui me lis, et qui te destine à un métier d’art, tu n’es pas le« résultat d’un échec » dans l’interprétation la plus crue de l’expression : tu as au contraire le courage et la détermination de te démarquer de la société qui préférerait sans doute que tu essayes de trouver un CDI plutôt que des piges et de l’intermittence.
N’écoute pas celles et ceux qui te disent que tu n’y arriveras pas : il y a de la place pour tout le monde dans le paysage artistique. Si tu as du talent, il n’y a pas de raison qu’il ne soit pas reconnu. Aucune voie n’est inaccessible et « bouchée », certaines demandent simplement plus d’acharnement et de patience que d’autres.
Mais attention, n’écoute pas non plus celles et ceux qui pensent que c’est facile : cela te demandera du travail, de t’accrocher, d’accepter les échecs pour mieux rebondir.
Pour trouver un dernier regain de motivation, je t’invite à écouter ou réécouter les différentes prises de parole de Marion Séclin, tout d’abord dans notre interview et dans le podcast Nouvelle école où elle explique comment elle a surmonté son syndrome de l’imposteur et comment elle s’est donnée les moyens d’atteindre ses objectifs.
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Et si le film que vous alliez voir ce soir était une bouse ? Chaque semaine, Kalindi Ramphul vous offre son avis sur LE film à voir (ou pas) dans l’émission Le seul avis qui compte.
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