Se conseiller des livres est plutôt quelque chose de naturel. Que ça soit entre potes, à la bibliothèque, chez son libraire, ou dans un club de lecture, c’est gratifiant d’inviter ses semblables à se plonger dans un livre que l’on a adoré en espérant qu’ils partageront notre propre enthousiasme.
Cette pratique évolue avec son temps, et avec la place centrale occupée par les réseaux sociaux dans nos vies, grandit aussi l’envie de communiquer autour de ses dernières lectures avec le plus grand nombre de personnes possible. Conseiller ses potes, c’est sympa, conseiller plusieurs milliers d’inconnus, c’est pas mal aussi !
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Les blogs littéraires sont depuis de nombreuses années très dynamiques, mais plus récemment, on assiste à un véritable essor des chaînes YouTube consacrées à la lecture. Leurs propriétaires ont d’ailleurs un nom dérivé de la célèbre plateforme de vidéo : les booktubeurs.
Mais alors, c’est quoi, concrètement, un booktubeur ?
Portrait-robot du booktubeur
Le phénomène du booktube nous vient des pays anglophones et hispanophones où il est extrêmement dynamique. Par exemple, la chaîne de la booktubeuse Las palabras de Fa réunit plus de 305 000 abonnés, et son succès lui permet de faire des interviews de grands acteurs américains entre deux revues de livres. La survitaminée Poland Bananas Books est quant à elle une américaine du New Jersey qui réunit quelques 297 000 abonnés et ne manque pas d’inventivité pour parler de la lecture sous toutes ses formes.
Si tous les profils de booktubeurs existent, il y en a tout de même un qui domine particulièrement : c’est celui de lecteurs et lectrices d’une petite vingtaine d’années, qui ont généralement une affection particulière pour la littérature jeunes adultes et de l’imaginaire.
Encore une fois, il y en a pour tous les goûts et tous les âges (avec également des chaînes consacrées à la littérature « classique » et plus généralistes) mais le mouvement reste véritablement jeune.
Une médiation horizontale
Quel est le secret du succès du booktubeur ? Sa force vient du fait qu’il s’adresse à ses pairs : des lecteurs, plutôt de son âge, qui partagent ses goûts.
Le booktubeur noue une relation horizontale avec eux, c’est-à-dire que le conseil de lecture n’est pas prodigué par un critique professionnel ou par un adulte lecteur, professeur ou médiateur littéraire.
Le booktubeur est un alter ego accessible
Quand pour certains, l’âge et le recul de l’adulte pourraient constituer un barrage dans la légitimité du conseil, notamment dans le cas de lectures pour le plaisir, le booktubeur devient l’alter ego qui guidera avec ses mots et son enthousiasme vers sa prochaine lecture.
En fait, c’est un peu comme si c’était ton pote qui te conseillait son dernier coup de coeur littéraire, et c’est ce qui fait l’efficacité de la démarche et le succès de ces chaînes YouTube : le sentiment de proximité. Un sentiment qui peut devenir réalité, grâce aux meet-up régulièrement organisés.
https://www.youtube.com/watch?v=WGI4_7K0AJM
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La bibliothèque comme meuble sacré
Les booktubeurs, quelle que soit leur nationalité, adoptent le même décor derrière eux dans leurs vidéos : celui de leur bibliothèque extrêmement bien garnie.
Si certains s’inquiètent du fait que les jeunes ne lisent plus, un bref coup d’oeil à toutes ces chaînes consacrées aux livres devrait les rassurer, et devrait sans doute les rendre un peu jaloux.
Les booktubeurs ont un attachement pour l’objet livre
D’ailleurs, en général, les booktubeurs ne se contentent pas de parler uniquement du contenu des livres qu’ils présentent : ils ont un véritable attachement pour l’objet livre lui-même, avec cette envie d’exposer leurs étagères qui débordent prêtes à se casser la figure non sans fierté, mais aussi dans l’importance qu’il accorde à donner leur avis sur les couvertures et l’objet d’un point de vue général.
Un type de vidéos que l’on retrouve régulièrement est la visite des bibliothèques, qui ont souvent beaucoup de succès, et ont un côté très relaxant, il faut l’admettre.
Un esprit critique approfondi
Leur avis, justement, parlons-en, car c’est le point central de leur activité.
Ils développent intensément leur esprit critique
Ces dévoreurs de livres, souvent jeunes donc, commentent une foultitude de livres et développent ainsi leur esprit critique de manière intensive. Ils acquièrent un recul sur les livres que peu de lecteurs arrivent à développer – voire même que peu d’étudiant•e•s en lettres parviennent à atteindre.
Certain•e•s s’intéressent à énormément de genres différents, et accumulent une culture vertigineuse. Bref, ce sont vraiment le genre de personnes qui peuvent occuper une conversation un long moment lors de ta prochaine crémaillère.
Le dépoussiérage de la littérature
En plus de leurs chroniques de livres, les booktubeurs développent tout un tas de petites vidéos fun autour de la littérature en général, montrant ainsi que les livres font partie intégrante de leur quotidien.
Ces vidéos peuvent aussi bien être des traditionnels unboxing (ils ont reçu un carton de livres, ils savent ou non ce qu’il y a à l’intérieur, on le découvre ensemble) et des In my mailbox (où ils énumèrent tout ce qu’ils ont reçu dans leur boîte aux lettres).
Le booktube n’échappe pas aux TAG, ces types de vidéos plus amusantes et venues directement des booktubeurs étrangers. Pour les livres, cela consiste par exemple à faire la liste des personnages avec lesquels ils adoreraient être amis (ou plus si affinités), ou bien à relever le défi de trouver une couverture de livres de chaque couleur de l’arc-en-ciel.
Ils ont aussi une manière ludique d’approcher la littérature et d’en parler, idéale pour ceux qui pensent que les livres, c’est un peu dépassé.
Des autodidactes de la vidéo
En plus d’avoir recours à des trésors d’imagination pour animer leurs chaînes et promouvoir la littérature, ces jeunes personnes, comme la plupart des Youtubeur•ses toutes catégories confondues, ont rarement un bagage audiovisuel très fourni quand ils et elles lancent leur chaîne.
Ces personnes apprennent donc le montage sur le tas, et au fil des années, parviennent à produire des vidéos de bonne qualité avec un matériel de haute compétition.
Aussi, à la manière des chaînes d’humour ou de vulgarisation, ils adoptent le ton, le dynamisme, et le rythme propre à YouTube. Après, chacun trouve son style et son public !
Des sollicitations par les professionnels du livre
La pluralité des compétences des booktubeurs commencent (enfin) à être reconnue dans les sphères professionnelles du livre !
En France, ils peuvent être amenés à être sollicités pour animer des rencontres dans le cadre des salons : ils deviennent des intervenant•es que l’on juge légitimes de partager leur expertise, et on peut dire que c’est plutôt chouette.
Les booktubeurs deviennent des intervenant•es légitimes aux yeux des professionnel•les
Les éditeurs sont attentifs à leurs critiques, au point de leur confier des manuscrits en avant-première, mais aussi aux découvertes de celles et ceux qui lisent des romans en langue étrangère : il s’agirait de ne pas laisser passer un achat de droits d’un roman susceptible de connaître du succès !
En France, l’année dernière, le Centre national du Livre avait soutenu une initiative spontanée d’un collectif de blogueurs et booktubeurs lors de la première édition Lire en short (devenu Partir en live). Rien que ça !
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Des prescripteurs au coeur de la critique littéraire d’aujourd’hui
Les booktubeurs sont donc devenu•es des allié•es précieux•ses aux yeux des maisons d’éditions, qui voient en eux des critiques littéraires à l’influence intéressante et très étendue, et qui offrent un format de prescription innovant et vitaminé.
En effet, l’enthousiasme communicatif d’un booktubeur est particulièrement vendeur, surtout lorsqu’il s’adresse au lectorat cible du livre de l’éditeur, comme précisé plus haut dans l’article. Ce n’est d’ailleurs pas pour rien que des booktubeurs deviennent… libraires ! D’autres profitent de cet intérêt des éditeurs ou des divers annonceurs pour proposer des partenariats commerciaux. Mais cette pratique reste encore très minoritaire, et le modèle économique du booktube est très loin d’être viable à l’heure actuelle.
Mais du côté des éditeurs, on n’hésite plus à envoyer des services de presse à tout va en consacrant une grande part du budget communication à ces envois, pour espérer avoir le droit à une chronique pleine d’énergie au sujet de leur dernière parution. Ils sont inclus dans la promotion des livres et leur nom apparaît en quatrième de couverture ou en bandeaux de certains livres. Quoi qu’en diront les sceptiques, leur avis compte !
D’ailleurs, au moment où je finalise cet article, un colloque sur le booktube a lieu, indice que la pratique devient un domaine de recherches légitime et mérite que l’on s’y attarde avec plus de sérieux.
Un retard français
Et pourtant, malgré cet enthousiasme généralisé dans toute la sphère littéraire, les booktubeurs ne sont pas des vidéastes extrêmement suivis en France. La première booktubeuse française, Nine, vient tout juste de dépasser les 39 000 abonnés. Un chiffre plus qu’honorable, mais qui reste loin derrière d’autres chaînes sur d’autres thématiques, et loin derrière les booktubeurs étrangers.
Comment expliquer ce retard dans un pays où le livre tient pourtant une place importante dans le quotidien des français ? Consulter YouTube pour se trouver une nouvelle lecture ne serait pas encore un réflexe ? Les lecteurs privilégient-ils les conseils en librairies ou sur les sites de ventes en ligne ? Si vous avez d’autres pistes de réponse, n’hésitez pas !
Et dans tous les cas, si vous aimez lire et partager le fruit de vos lectures, lancez-vous, on a un forum dédié à l’entraide entre Youtubeuses !
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Les Commentaires
Héhé
J'étais en TL puis en licence de lettres modernes spé métiers du livre. On nous faisait surtout lire des livres dit '' classique '', mais à côté de ça, en Sociologie de la lecture on devait étudier des livres qui ne devaient pas être vieux de plus de 3 ans. Du coup, c'était plutôt intéressant.
Certains livres sont moins fouillés, ou recherché, certes ( et pas forcément les YA ou les NA comme l'on pourrait penser), mais cela reste de la littérature. Il n'y a aucun mal à lire de la YA/NA , certains comme La Passe-miroir sont plutôt recherché au niveau de l'histoire.
Le style d'écriture change avec l'époque, c'est une preuve de renouvellement. Il n'est que le vecteur pour faire passer l'histoire du roman. Bref.. voila mon petit point de vue.