Tous les week-ends, Jack Parker fait le tour des blogs de filles qu’elle suit… Et passe à chaque fois par plusieurs étapes, allant de l’inspiration profonde au désespoir sans fin.
Publié initialement le 7 décembre 2011
Chaque weekend, j’ai mon petit rituel : rattraper mon retard sur la petite centaine de blogs que je suis. (merci l’inventeur du flux RSS, reconnaissance éternelle frère). Parmi ces blogs, il y a pas mal de “blogs de filles”. Des blogs tenus par des filles, qui traitent de sujets dits « de filles ». Certains se spécialisent dans la mode, d’autres la cuisine, d’autres la custo… que des trucs que je ne maîtrise absolument pas mais qui me font fantasmer. De loin.
C’est pas demain la veille qu’on me verra tricoter une chapka à oreilles de renard MAIS j’aime bien lire la vie de celles qui le font. J’sais pas, quelque part je dois fantasmer sur la fille que j’aurais pu être si j’avais été plus… boarf, allez, pour faire dans la caricature : plus fille. En 2011, ça veut plus dire grand chose d’être une fille-fille, ces filles que je suis et qui semblent avoir des vies toutes droit sorties des 50’s sont généralement couvertes de tatouages et ont rencontré leur tatoué de mec à un concert de Radiohead. Mais bref.
Cette séance de rattrapage m’envoie toujours au tapis, me mettant face à ce que je ne serai jamais (et que je n’ai jamais vraiment voulu être mais vu que je le serai jamais j’préfère en pleurer). Mais avant ça, ça me motive, m’inspire, me donne envie de faire plein de trucs… sinon, j’aurais arrêté de les lire depuis longtemps. Du coup, chaque weekend, c’est le même bordel. Je passe par les 4 étapes du syndrome de la lectrice de blogs frustrée.
1. Ooooh c’est beaaaau, j’veux faire tout pareil !
En fait, ce rattrapage s’étale entre ma sélection de blogs et des tours réguliers sur Pinterest, temple ultime de l’inspiration pour les-trucs-que-tu-feras-jamais-dans-ta-vie-ou-ptet-en-méga-raté (enfin, je parle au nom des empotées de ce monde). Du coup, je traîne sur des boutiques genre Love Mae, et je me dis « wouaaaah c’est beau, ça ferait bien dans mon… dans ma… dans l’immense bordel poussiéreux dans lequel je vis, derrière les cartons que je n’ai pas encore déballés, trois mois après mon emménagement ». Ah ouais, non. Ça ferait super bien dans mon appartement fictif de femme amoureuse des jolies choses et de l’organisation (que je ne suis pas).
Des blogs comme English Muse, See Hear Say, ou Here Comes the Sun (trois exemples parmi des centaines) me rappellent à ma réalité. Elles donnent l’impression que tout va toujours bien, même quand il pleut, qu’elles sont malades ou que leur chien est mort. Rien n’est grave, rien ne dure, tout passe par la douceur, le calme et la compréhension détendue des évènements. Le dimanche, elles paressent au lit avec une tasse de thé des séries, ou un bon bouquin – comme moi. Mais quand elles le font, elles le documentent, avec des belles photos de tasses de thés fumantes et des dessus de lit fait main ou shoppés dans une friperie. Moi je m’enroule dans ma couette Pocahontas avec mon pyjama Tortues Ninja et je bois aussi du thé devant des séries, mais bizarrement j’me sens carrément moins classe.
Qu’elles mangent, lisent, parlent, s’habillent, sortent, s’aiment ou créent – elles font tout mieux que moi, en plus beau, plus brillant, plus maîtrisé, plus intéressant. J’peux pas ouvrir de blog pour prendre mon assiette de riz à poêler quatre fois par semaine en ajoutant un filtre photoshop vieilli et prétendre me joindre à leur club, faut se rendre à l’évidence.
2. Non mais elles ont raison, je peux y arriver si je veux, je peux faire ce que je veux, je suis multiple, illimitée, je suis femme et le monde m’ouvre ses portes.
Il existe une foultitude de blogs basés sur le schéma « féminité-youpibonheur-aimez-vous-telles-que-vous-êtes-nous-sommes-toutes-belles » qui rappellent aux femmes complexées que tout est possible, qu’elles sont belles, intelligentes et qu’elles peuvent arriver à tout. Parmi ces gourous se trouve Gala Darling, l’une des plus connues du milieu, débarquée de Nouvelle-Zélande pour conquérir New-York – et qui a réussi avec brio. Elle gagne très (très) bien sa vie grâce à son blog et véhicule un message positif de « radical self-love », pour aider les femmes à s’accepter telles qu’elles sont et à apprendre à s’aimer. A chaque fois que je fais un tour sur son blog, et que je parcours les liens qu’elle balance dans sa rubrique Carousel, je me sens investie d’une mission céleste, épaulée par toutes les divinités féminines du monde mythologique.
Elle me donne l’impression qu’effectivement, je peux faire tout ce que je veux, si je choisis d’y croire et de m’en donner les moyens (à l’aide, par exemple, des fameuses wish lists). Qu’aucune porte ne m’est fermée, qu’aucune possibilité n’est à exclure et que je peux faire ce que je veux de ma vie et de mon corps. Profondément féministe mais également très féminine (je parle de la féminité telle qu’on l’imagine souvent – rose, robes, paillettes et froufrous), tatouée, rock ‘n roll, fraîchement mariée à son tatoué de copain-parfait – elle incarne le rêve de beaucoup de femmes. Pas forcément physiquement, mais par son mode de vie, ses réussites à la pelle, sa motivation constante, le plaisir qu’elle prend à travailler non-stop… Y a pire comme modèle.
Sauf que de mon côté, je suis encore trop peu sûre de ce que je veux, de ce en quoi je crois, de ce que je suis et d’où je vais. Mais il paraît qu’à 24 ans, c’est pas encore trop dramatique.
3. Ouais mais en attendant, j’ai toujours envie de cracher sur mon reflet et je sais pas découper une feuille de papier en deux sans tout niquer.
Oui mais voilà, je suis très loin de ressembler à ces filles là. Si j’ai un boulot qui s’apparente parfois au leur – cet article pourrait très bien figurer sur un blog, puisque bloguer ne se résume plus à raconter sa journée et mettre des photos de ses copines – la comparaison s’arrête là. Je suis loin, très loin, de toute forme de « radical self-love », je n’ai pas l’impression d’avoir un style à moi, une identité particulière qui dégage quelque chose d’aussi positif que les leurs, ou un message fort à faire passer. Ça m’arrive, parfois, d’avoir des élans de motivation et de taper du poing sur la table, mais elles, elles le font tous les jours – et en douceur.
Quand je croise mon reflet dans le miroir, je ne me dis pas « tiens, voilà une jeune fille bien équilibrée, au physique agréable, qui s’accepte telle qu’elle est, fière d’elle, et qui peut accomplir ce qu’elle veut ». Non. J’en suis encore au stade de la haine gratuite envers moi-même (bien que ça se soit calmé depuis ma sortie de l’adolescence). Je doute encore énormément de moi, je serre les dents quand je prends un risque en m’attendant toujours au retour de bâton, j’ai une grosse tendance défaitiste et faut pas trop me demander de croire en moi.
Essayer de reproduire un super nail-art que j’ai vu sur un blog (même jusque sur madmoiZelle tiens) revient à faire un mix de Picasso et de Pollock sur mes deux premières phalanges. Tenter de faire de jolies guirlandes en papier donne un résultat proche du « j’ai lâché mon dogue allemand dans une fabrique de papier crépon et j’ai rajouté un chat apeuré pour fignoler le tout ». Me préparer un petit déjeuner joli, coloré et équilibré se solde généralement en un « OH ET PUIS NIQUE ! Un bol de Cheerios et puis c’est marre hein ». Je ne suis pas faite pour la vie de blogueuse.
4. En même temps c’est pas très grave hein, parait qu’on s’en sort encore très bien sans être blogueuse dans ce monde.
Et puis je finis par me rendre l’évidence : je n’ai jamais fait de cupcakes de ma vie (je sais pas si j’aurais le courage de tenter l’expérience un jour), je ne sais pas tricoter, j’ai pas dessiné depuis cinq ans, je mange encore de la bouffe industrielle et de la junk food, j’ai pas un style qui se reconnait à mille bornes… mais est-ce que ça importe vraiment ? J’veux dire, est-ce qu’on est vraiment obligées de suivre les instructions de ces femmes là sous prétexte que ça va révolutionner notre vie ? À la limite, si on a envie de rester dans notre crasse, j’ai comme l’impression que ça ne regarde que nous. Si nous ne sommes pas encore prêtes à passer de femme-normale-tranquille-banale-tavu à yeehoo-l’extase-feng-shui-youpi-bonheur, c’est notre problème. Et encore, j’pense pas qu’on puisse qualifier ça de problème.
Si tout ce que je dois faire pour avoir l’impression de vivre une vie de rêve c’est d’Instagramer mon quotidien, pas de souci, j’peux le faire hein :
Alors ouais, ok, d’un coup c’est moins glamour. Mais c’est pas très grave, c’est ma vie, j’en fais c’que j’veux. Rien ne nous empêche de continuer à baver sur des quotidiens qui ne sont pas les nôtres, et qui ne le seront peut-être jamais. Du moment qu’on assume les choix qui nous éloignent de ces vies là, rien ne nous empêche de rêver un peu.
Écoutez l’Apéro des Daronnes, l’émission de Madmoizelle qui veut faire tomber les tabous autour de la parentalité.
Les Commentaires
Mais le pire c'est surtout les IG, l'obsession de prendre la photo parfaite du gouter que tu vas t'empiffrer dans la minute qui suit, prendre le beau ciel bleu, le plus beau chat de la maison, etc. Tout est transformé et on ne montre surtout pas l'envers du décor qui est tout de même vachement moins glamour que cela en à l'air ! Et c'est la que notre "symdrome de la lectrice frustrée" apparait ! Parce que comme les blogueuses que l'on suit, on essaye de faire le même genre de photos et ça nous frustre parce que l'on ce dit qu'on a pas la même vie, qu'on doit surement vivre dans un monde parallèle parce que nous ça fera jamais le même effet qu'elles, c'est pas juste !
Mais on tient bon et on essaye d'apporter notre petite touche personnelle en montrant que les blogueuses peuvent également avoir une vie totalement normale !
Voila, désolée pour le pavé haha !
Je plussoie à 100% sinon !!