Esther est partie recueillir les témoignages des jeunes femmes de plusieurs pays, à travers le monde, avec une attention particulière portée aux droits sexuels et reproductifs : liberté sexuelle, contraception, avortement.
Elle a déjà rendu compte de ses rencontres avec des Sénégalaises, puis avec des libanaises, et sa troisième étape l’a menée en Irlande du Nord (Royaume Uni) et en Irlande ! Elle y réalise interviews, portraits, reportages, publiés sur madmoiZelle au fur et à mesure : voici le premier.
Tu peux aussi suivre au jour le jour ses pérégrinations sur les comptes Instagram @madmoizelledotcom et @meunieresther, avant de les retrouver ici bientôt !
Samedi 12 mai 2018, 9h30. Devant la cathédrale Saint Anne à Belfast, une vingtaine de personnes. Elles portent des tee-shirts et sweeaters arborant différents slogans :
« Together for Yes »
« Alliance for Choice »
« Trust Women »
« Repeal »
Beaucoup d’entre elles n’ont même pas 30 ans, même si j’aperçois quelques visages un peu plus ridés.
Défendre l’avortement au-delà de ses frontières : un exemple de la sororité irlandaise
La plupart sont des citoyennes britanniques, vivant en Irlande du Nord, qui se préparent à monter dans un bus de la campagne « Together for Yes » (« Ensemble pour le oui »).
Aujourd’hui, au programme : du porte à porte dans la campagne irlandaise le long de la frontière pour convaincre les indécis·es d’aller voter pour le « Oui », le 25 mai, jour du référendum lié à l’avortement en Irlande.
Pour comprendre, un rapide point géographique : l’Irlande du Nord et l’Irlande sont sur la même île. L’Irlande du Nord fait partie du Royaume-Uni, tandis que l’Irlande est un état indépendant.
Sur les deux territoires, l’avortement est aujourd’hui prohibé, mais ce 25 mai 2018, un référendum se tiendra en Irlande (la partie sud de l’île, état indépendant du Royaume-Uni donc), pour abroger le 8ème amendement de la Constitution.
En effet, celui-ci consacre « le droit à la vie des enfants à naître », considéré égal à celui de la mère. Dans les faits, ça veut dire que l’avortement ne peut être légal que s’il y a un « risque sérieux et réel » pour la vie de la mère.
Voter pour le « Oui » viserait à remplacer cette disposition par la suivante :
« La loi peut prévoir les conditions de régulation des interruptions de grossesses. »
En VO dans le texte : « Provision may be made by law for the regulation of termination of pregnancy. »)
Cela permettrait de faire évoluer la loi concernant l’avortement en Irlande, sans définir immédiatement en quels termes. L’enjeu de ce référendum est donc d’obtenir la possibilité de légiférer différemment sur la question de l’avortement, ce qui n’est pas permis aujourd’hui par la Constitution.
Si elles sont ici aujourd’hui, pour la majorité d’entre elles, ce n’est pas pour défendre leur droit à l’avortement, mais celui de celles qui vivent au sud de la frontière.
Elles invoquent différentes raisons à leur investissement dans la campagne pour le « oui ». Certaines parlent simplement de solidarité, d’autres estiment qu’une fois que la loi aura évolué au sud, il sera plus simple de mettre la pression en Irlande du Nord pour obtenir, à leur tour, le droit de disposer de leur corps.
« On vient les soutenir, et c’est aussi un moyen de préparer les gens à avoir le même débat public en Irlande du Nord », explique Rachel, une jeune nord-irlandaise.
« On ne fera pas changer d’avis les convaincus » : militer pour le droit à l’avortement en Irlande
Dans le bus à destination de Cavan, les conversations vont bon train.
« C’est la première fois que je vais faire du porte à porte, explique Éimear. Avant, j’étais trop en colère, et pour faire ce genre de choses, il faut savoir ne pas être agressive alors je ne venais pas. »
C’est aussi la première fois d’Aimee.
« Je suis un peu nerveuse, il ne faut pas s’emmêler les pinceaux, savoir dérouler son discours, trouver son ton… »
Helen, quant à elle, appréhende la présence de chiens dans les maisons et jardins.
« Mais en même temps, c’est excitant de prendre part au changement. »
Pour rassurer tout ce petit monde, Danielle, qui gère l’organisation, avance dans l’allée du bus petit à petit. Elle fait ses recommandations car il s’avère que la majorité des militantes présentes n’ont jamais fait de campagne de porte à porte.
« La première chose, c’est de ne pas partir du principe que les gens vont voter. Demandez-leur.
Ensuite, s’ils vous disent immédiatement qu’ils sont contre une évolution de la loi, il n’est pas nécessaire d’entamer le débat.
Ce sont des gens qui ont forgé leur opinion, vous ne les ferez pas plus évoluer qu’ils vous feraient évoluer.
En revanche, s’ils vous disent qu’ils ne savent pas encore s’ils vont voter, ou ce qu’ils vont voter, c’est là qu’il faut développer vos arguments : il s’agit d’un vote de compassion, de confiance envers les femmes, pour améliorer leur santé.
Rappelez simplement que l’avortement est un phénomène déjà présent en Irlande, mais que les femmes qui y ont recours doivent le faire dans des conditions difficiles : elles doivent voyager, ou commander des pilules abortives en ligne et le faire seules chez elles sans soutien médical. »
Le bus arrive à Cavan, une ville d’environ 10 000 habitants : le terrain d’action pour la journée. Le groupe est accueilli avec énormément d’enthousiasme par quelques militantes locales, parmi lesquelles Jay :
« Pour la campagne locale, on était 17 à la première réunion. En gros, on est 7 à être très actives et on est ponctuellement aidées par des volontaires. »
Quand je lui demande à quel point l’ambiance est tendue, elle est assez enthousiaste :
« Ici, les gens sont polis. J’ai entendu des histoires vraiment pas top avec des gens agressifs dans d’autres villes, mais jusque-là on n’a jamais été vraiment prises à partie violemment. »
Pour autant, assumer une position pro-choix n’est pas toujours facile, que ce soit en Irlande ou en Irlande du Nord, témoigne Rachel :
« C’est délicat de le dire publiquement, ce n’est pas encore accepté comme une opinion banale.
Je sais que j’ai des ami·es qui m’ont « unfriend » sur Facebook à cause de ça par exemple – mais c’est okay après tout, c’est honnête.
Je préfère ça plutôt que de recevoir, comme l’ont vécu certaines de mes amies, des messages de type « tu es une meurtrière ». »
Les positions des militantes elles-mêmes n’ont pas toujours été les mêmes. Aoife m’explique par exemple s’être mobilisée pour la première fois pour le droit à l’avortement après avoir accompagné une amie en Angleterre à l’âge de 17 ans, pour que celle-ci puisse avoir recours à une IVG.
« J’avais été élevée dans un environnement catholique, j’ai clairement grandi en étant anti-choix. Mais cette expérience m’a fait changer d’avis. »
Militer pour le droit à l’avortement en porte-à-porte
Après une première rapide session de tractage dans la rue, tout le monde bénéficie d’un repas offert dans le restaurant du coin et finalement, le groupe se met en marche.
On forme des duos, et chacun d’entre eux se voit remettre une pochette contenant tracts informatifs et formulaires permettant de comptabiliser le type de réponses obtenues.
Je me greffe au duo de Jay et Peter* : l’une des superviseures, associée à un jeune lycéen de 17 ans qui est sans doutes le plus enthousiaste et énergique du groupe :
« Je suis dans une école de garçons, c’est sans doute moins bien reçu que dans une école de filles mais j’ai fait campagne là-bas. J’ai réussi à faire s’inscrire 40 personnes sur les registres électoraux !
Je sais que j’ai réussi à en faire changer certains d’avis sur la question, donc je suis content. »
Je ne sais pas s’il a de la chance ou si son enthousiasme est contagieux, toujours est-il que la première personne face à qui il se retrouve lui assure que l’intégralité de la maisonnée votera pour le « Oui ».
« J’ai eu 6 oui, ici ! »
Des pronostiques peu clairs
Tout le monde n’a pas la même chance. Très souvent, les portes restent closes, auquel cas les militant·es se contentent de glisser un tract dans les boîtes aux lettres.
Parfois, les gens sont hésitants :
« Je ne sais pas trop quoi voter, je ne fais pas confiance à nos politiques pour établir une loi correcte après le référendum… Les militants pour le non sont passés par ici déjà. Mais bon, je pense que je vais quand même voter oui. »
Le terrain est en effet occupé par les deux parties : en refermant la porte, nous croisons un duo d’activistes… en faveur du non. « C’est pas de chance, on les croise jamais », dit Jay.
Les accueils varient grandement.
« Oui, c’est un grand oui, ne vous en faites pas je vais voter. On a reçu un tract de la part du « non » mais Dieu merci, ils n’ont pas sonné à ma porte. »
Je ne vous cache pas qu’il m’arrive de repartir en ayant envie de secouer la tête. Comme lorsqu’un homme répond, après avoir écouté les explications de Jay sur des cas de femmes atteintes de cancer ou d’épilepsie se voyant parfois refuser des traitements si elles tombent enceintes pour ne pas nuire au foetus, qu’il « pense être du côté du bébé à naître ».
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Ou quand une femme explique que c’est sa fille qui la convainc de voter non, désignant l’enfant d’environ 2 ans à ses côtés :
« Comment peut-on avoir envie de tuer des bébés si adorables, c’est si merveilleux ? »
Après quelques heures de porte à porte, les sentiments sont mixtes. Effectivement, pas de comportements agressifs à signaler. Mais personne n’est sûr de rien : les intentions de vote sont très partagées.
« Les panneaux anti-choix sont les mêmes qu’il y a 35 ans »
Eireann, une militante locale plus âgée, me raconte ses vieux souvenirs.
« J’ai déjà fait campagne lorsqu’ils ont décidé d’inclure cette disposition dans la Constitution, en 1983. J’étais horrifiée du résultat, mais je n’avais pas d’espoir : on était tellement peu à être en faveur du droit à disposer de son corps.
Je me souviens d’un prêtre qui militait avec moi, qui m’avait dit « si nous ne nous battons pas, ils vont croire qu’il n’y a pas de désaccord, pas de résistance ». C’est pour ça que je n’ai jamais cessé de me battre depuis. »
Mais elle admet que si aujourd’hui, le non l’emportait, ce serait « terrible ».
« Je serais dévastée, encore bien plus que la dernière fois car cette fois-ci, j’ai de l’espoir. »
Eireann est l’une de ces femmes qui a été confrontée directement à l’interdiction de l’avortement. À l’âge de 25 ans, elle n’a pas eu d’autre choix que d’aller jusqu’en Angleterre pour pouvoir y recourir.
« Le choix n’a pas été compliqué, mais j’avais la chance d’avoir les moyens de le faire. C’est une question de classe aussi : celles qui ont les moyens de voyager peuvent recourir à l’avortement relativement facilement – même si cela implique de prendre un congé par exemple.
Mais pour celles qui ne les ont pas… »
Elle ne termine pas sa phrase, préférant ironiser :
« c’est quand même fou, ils n’ont pas changé leurs affiches en 35 ans, ce sont les mêmes images de foetus mensongères et affreuses ».
Militer pour le droit à l’avortement en Irlande… du Nord ?
Avant d’embarquer de nouveau dans le bus, Jay et les autre militantes du groupe local tiennent à remercier leurs consœurs nord-irlandaises qui ont fait la route depuis Belfast pour venir les soutenir.
« Merci énormément, grâce à vous, on a calculé avoir pu couvrir environ 700 maisons aujourd’hui, ce qui n’aurait jamais été le cas sinon.
On vous promet que lorsque ce sera votre tour, on sera là en soutien aussi ! »
Les Commentaires
Ensuite, effectivement, peu de débats agressifs, les irlandais ne sont pas autant impliqués politiquement que nous français De plus, le débat est tellement sensible que très peu de gens s'impliquent publiquement. Il ne faut pas oublier qu'il y a encore 30 de ça, certains pouvaient sortir le fusil s'il était question d'avortement !!! Ici dans le Connemera, les gens pensent que cela va faire comme avec le mariage gay, personne ne se prononce vraiment, mais ça va passer largement. Les nouvelles générations ne se posent même plus la question, le droit au choix est acquis dans leurs têtes !
@severuspotter au délà d'un vote de conviction, c'est un vote de santé public. Il a encore des femmes qui meurent d'avortements illégaux en République d'Irlande, il y encore des prétendus médecins qui te font payer une fortune pour te faire avorter, c'est carrément au dessus des histoires de religions maintenant, tout le monde est concerné, donc pourquoi retreindre le vote ?