— Article initialement publié le 23 mars 2016
Depuis mon plus jeune âge, j’ai vécu avec de nombreux animaux de tous types, de toutes races, mais tous handicapés ou blessés par la vie.
J’ai eu la chance d’avoir des parents qui m’ont éduquée dans la compassion, la douceur, dans le respect de l’animal et de toute forme de vie et surtout selon l’adage « tant qu’il y a de la vie, il y a de l’espoir ».
Petite, ayant de graves soucis de santé, je me suis d’autant plus tournée vers mes seuls amis : les animaux. Un jour, ma mère m’a emmenée dans un centre équestre et c’est là que j’ai rencontré Suzi.
Dans le premier box à l’entrée de l’écurie, il y avait une jument blessée, aux yeux remplis de tristesse, portant un énorme collier avec des clous à l’encolure car elle avait des tics.
Un accident de concours l’avait gravement blessée, il lui manquait un bout de chair au poitrail. Elle avait été traumatisée et d’autant plus par le manque de soins.
Elle qui remportait des concours, de l’argent, n’était plus bonne à rien, bonne à mourir. J’avais huit ans, elle en avait quatorze, ma vie a été bouleversée à ce moment-là. J’ai convaincu mes parents de la sauver.
J’ai sauvé Suzi et d’une certaine façon, elle m’a sauvé la vie aussi. L’avoir près de moi m’a aidé à supporter mes propres problèmes de santé. Le 21 septembre 2011, à 28 ans, Suzi est morte d’une rupture d’anévrisme.
Depuis j’ai continué de sauver des animaux handicapés et arrivant à une cinquantaine d’animaux, j’ai créé l’association Suzi Handicap Animal le 7 avril 2014, le jour de sa date d’anniversaire.
À lire aussi : Le plus impressionnant des câlins d’animaux en vidéo
Comment créer une association ?
Il faut savoir que créer une association est très compliqué, déjà à cause du peu d’aide apportée dans les démarches, il faut souvent se débrouiller seul•e.
J’ai mis environ six mois à faire l’administratif, à établir les statuts (le contrat légal de l’association à présenter à la préfecture), à former une petite équipe – composée de mon copain et de ma mère.
Étant la première en France à fonder une association spécialisée dans la prise en charge des animaux handicapés de tous types – je m’occupe de chats, de chiens, de Nouveaux Animaux de Compagnie (lapins, furets, cochons d’inde, hamsters, rats, souris…), d’animaux de ferme – je ne pouvais pas avoir d’aide.
Il a fallu que je me débrouille seule et que je m’arme de patience. Et c’est là que les choses sérieuses ont commencé !
À lire aussi : Christelle, bénévole à l’Association nationale des maîtres de chiens guides d’aveugles – Portrait
Le fonctionnement de l’association
Je vais mettre fin à une légende urbaine : en tant qu’association, je n’ai pas d’aides financières qui me tombent dans le bec d’une éventuelle collectivité ou autre.
L’association ne vit que des dons, pour un budget mensuel compris entre 2500 et 3000 euros.
Comme elle aura seulement un an cette année en avril, je peine à la faire connaître. Mais je m’en sors tout de même pas mal ! En septembre dernier, un sujet lui était consacré dans l’émission 30 Millions d’Amis.
En jouant l’attachée de presse, j’arrive à décrocher quelques articles dans la presse, et Facebook me permet de diffuser facilement mes annonces.
Plus les gens connaissent l’association, et plus on me donne des sauvetages à faire. Par contre les dons sont encore trop maigres par rapport aux frais engagés.
De plus, je suis toujours à la recherche de bénévoles pour m’aider, car l’association agit dans toute la France ! En effet, si elle est en Basse-Normandie dans le Calvados, je sauve des animaux dans toute la France et même à l’étranger.
J’ai ainsi plusieurs chiens qui sont arrivés d’Espagne, et un autre arrivera prochainement de Roumanie. Il faut alors organiser des covoiturages pour les ramener chez moi.
Je fais aussi adopter mes animaux dans toute la France, donc par exemple pour un potentiel adoptant à Strasbourg, il me faut un ou plusieurs « enquêteur(s) terrain », c’est-à-dire un•e bénévole sur place pour faire la pré-visite, s’assurer que le potentiel adoptant est sérieux.
Et si l’adoption est validée, il me faut ensuite des bénévoles pour faire le covoiturage et amener l’animal adopté de la Basse-Normandie à Strasbourg.
L’adoptant me remplit un contrat associatif et s’acquitte de frais d’adoption qui correspondent à une partie des frais engagés pour l’animal.
À la recherche de bénévoles
Et plusieurs mois plus tard, il me faut encore un•e bénévole sur place pour faire la post-visite et s’assurer que tout se passe bien.
Les animaux à l’association ont un passé souvent traumatique, je tiens à ce que tout se passe bien dans leur nouvelle famille.
Enfin je recherche également des familles d’accueil en Basse-Normandie pour continuer les sauvetages.
L’association fonctionne aussi sur les parrainages/marrainages mais j’en ai extrêmement peu.
Suzi Handicap Animal propose plusieurs animaux à l’adoption mais beaucoup d’autres ne sont pas adoptables à cause d’un traitement lourd et coûteux pour leur pathologie ou handicap, ou à cause de leur caractère : certains ont été tellement traumatisés par l’être humain qu’ils ne tolèrent que moi.
Ces animaux restent donc à l’association et peuvent être parrainés ou marrainés, à hauteur de cinq euros minimum par mois.
Une personne qui a un coup de foudre sur un animal qu’elle ne peut adopter peut le prendre comme filleul et participer au règlement de ses soins ; en contrepartie j’envoie régulièrement des nouvelles du filleul.
À lire aussi : Des animaux autrefois maltraités photographiés façon Alice au pays des Merveilles
Un quotidien bien rempli
Avant de créer officiellement l’association, je sauvais déjà des animaux handicapés, et ce depuis mon enfance : j’ai donc l’habitude de m’occuper d’eux à plein temps.
Aujourd’hui je m’occupe d’une centaine d’animaux et cela demande beaucoup de rigueur.
Car je ne vis pas de mon travail dans l’association : je suis auxiliaire-vétérinaire à mi-temps – ce qui me donne aussi la légitimité et les connaissances nécessaires pour l’association.
Le déroulement de mes journées dépend de si je travaille ou pas ; si je travaille, je me lève à 5h30, et si je ne travaille pas je m’octroie une grasse matinée avec un réveil à 7h30.
Le matin je dois nourrir tout le monde, la centaine de pensionnaires réclamant le petit déj’ ! Une vingtaine sont chez ma mère qui fort heureusement me donne un coup de pouce non négligeable.
Chez moi c’est mon copain qui m’épaule quand il le peut.
Une fois que tout le monde est nourri – les chats, les chiens, les lapins, les cochons d’inde, les chinchillas, il faut s’occuper des litières : cela représente une dizaine à faire à fond à la javel.
Je m’attèle ensuite à une grosse heure de ménage à fond pour que tout soit propre et désinfecté. Il ne suffit pas d’aimer les animaux, il faut une hygiène irréprochable !
Comme tous les animaux ont le droit à leurs couvertures, paniers et coussins, il faut également que je lance plusieurs lessives pour laver tout ça, et donc ensuite étendre le linge qui est prêt, ranger et redisposer pour les animaux (c’est le cycle de la viiiiie !).
Puis il faut faire un roulement, c’est-à-dire faire le tour de la maison pour récupérer leurs « petits cadeaux ».
Et oui une petite précision s’impose : j’ai beaucoup d’animaux aveugles ou incontinents donc beaucoup de pipi et de crottes faits sans le vouloir ou au mauvais endroit.
Une fois que tout est fait, je peux me préparer moi-même (non je ne passe pas la journée en pyjama avec les chicos pas lavés).
Le midi, je refais un coup de ménage, vérifie que tout le monde va bien. Le soir est consacré aux soins : je donne les médicaments, fais les injections.
Fort heureusement, étant donc auxiliaire vétérinaire de formation, je sais repérer facilement quand un animal va mal et comment lui administrer des soins. Je nourris tout le monde, refais les couchages pour la nuit, remets de l’eau.
Puis je pars m’occuper des chevaux, nettoyer les box, les nourrir, les soigner, et je m’occupe des cochons, de la brebis, avant de nettoyer entièrement le parc des chiens.
C’est un choix de vie qui impose beaucoup de sacrifices et ça ne s’arrête jamais. Que je sois malade, fatiguée, triste ou autre, qu’il pleuve, vente ou neige, je ne dois pas faiblir, pas de chichis !
Car si je me dis que j’ai la flemme, ce sont les animaux qui en pâtissent et ça, c’est hors de question.
À lire aussi : Je suis famille d’accueil pour chats, j’héberge les matous perdus ou abandonnés !
Faire face à l’incompréhension
Le plus dur à gérer, c’est cette masse de travail à faire quotidiennement : il faut tout cumuler sans oublier ma vie à moi… Mais il faut également faire face à beaucoup de méchanceté.
Beaucoup de personnes ne comprennent pas pourquoi j’aide des animaux handicapés ; on me dit que je m’acharne, que ce n’est pas une vie pour eux, qu’ils feraient mieux d’être euthanasiés.
Je mets au défi ces personnes de venir chez moi et de voir à quel point mes animaux sont heureux.
Pour moi, ce sont des critiques incompréhensibles…
Si vous êtes témoin d’un accident de voiture et que vous voyez un homme en mauvais état sur la route, vous appelez les secours qui tentent tout pour le sauver ; pourquoi le chat qui se fait percuter par une voiture devrait agoniser sur le bord de la route sans que personne ne bouge ?
J’ai des animaux aveugles, énuclés, amputés d’une patte avant ou d’une patte arrière, paralysés de l’arrière-train ou sourds, et on me dit qu’ils seraient mieux morts… Vous diriez ça d’un être humain en fauteuil roulant ou aveugle ?
Le fait est que les animaux gèrent beaucoup mieux leur handicap que nous autres. Ils développent leurs autres sens, ils vivent tout simplement, n’ont pas de regard sur leur handicap.
Tous mes chats et chiens jouent autant que tous les autres, font autant de câlins, ils ne sont différents de leurs congénères non handicapés qu’à cause du regard différent que nous nous leur portons.
Les gens restent souvent bloqués sur le handicap, ça leur fait peur ; beaucoup ne veulent pas venir nous voir par peur de voir des animaux borgnes ou à trois pattes.
Nous essayons donc en parallèle de nos actions de soins de sensibiliser les gens à l’handicap animal, de les convaincre de ne pas euthanasier les animaux qui perdent une patte par exemple, que si une chirurgie est possible il faut la tenter !
Gérer les soucis de santé des animaux
Il faut avoir un moral d’acier : je récupère des animaux dans un état parfois lamentable, catastrophique, souvent des animaux qui ont subi des maltraitances. Il faut faire face à tous leurs soucis de santé.
Je suis aussi spécialisée dans l’accompagnement en fin de vie, et par conséquent je prends en charge des animaux incroyablement meurtris…
Je tente alors souvent une opération de la dernière chance car ils se battent et comptent sur moi, mais il n’y a pas toujours de happy end. Ce n’est pas simple à gérer au niveau du moral…
Mais pour que les animaux se battent, il faut leur montrer que nous sommes là pour les aider ! Si on n’y croit pas, ils n’y croient pas non plus et se laissent partir.
De plus, il faut gérer les soucis financiers : j’en suis actuellement à 9900 euros de factures vétérinaires à payer.
Aux soins pratiqués comme toutes les associations et refuges, c’est-à-dire la stérilisation, l’identification, la vaccination ou encore le déparasitage, s’ajoutent des chirurgies onéreuses : amputation, énucléation…
Il faut également s’occuper des dossiers, de l’administratif, des arrivées, des sauvetages, des adoptions. Ça ne s’arrête jamais – sans compter le téléphone, c’est un vrai standard !
Une vie enrichissante
Créer cette association pour les animaux handicapés et la gérer, ce n’est donc pas tous les jours facile, mais il y a plusieurs choses merveilleuses à vivre.
Sauver des animaux que j’ai récupérés presque morts, parfois dans le coma, quand tous les vétérinaires veulent les euthanasier, me battre pour eux et les voir s’en sortir, vivre pleinement, c’est la plus belle des récompenses !
Il y a plusieurs mois, j’ai fait 1600 km pour aller sauver une brebis dont une patte avant avait été arrachée par un chien. Je l’ai ramenée et je l’ai faite amputer car son moignon s’était infecté.
Dans quelques semaines elle sera équipée d’une prothèse pour remarcher sur ses quatre pattes !
Chaque victoire me donne foi en ce que je fais, et quand des animaux sont adoptés et qu’ils retrouvent un foyer aimant, c’est formidable, il n’y a pas de mots pour décrire ce bonheur.
Avec de la patience, de la douceur, de l’amour et de la volonté on arrive au meilleur. Tous les animaux sont différents, tous handicapés, mais tous méritent d’être aimés et surtout d’avoir une seconde chance.
Pour aller plus loin :
- Le site et la page Facebook de Suzi Handicap Animal.
Pour témoigner sur Madmoizelle, écrivez-nous à :
[email protected]
On a hâte de vous lire !
Les Commentaires
J'ai fait un tour sur le compte Facebook de l'assos j'en suis dépitée et écœurée... Un chat à la queue coupée par des gamins, un autre sur qui on a tiré une quarantaine de plombs, un chien gardé 13 ans dans un box dégueulasse...
Je ne sais pas comment fait Stéphanie pour garder la foi et ne pas craquer face à la maltraitance et la souffrance des animaux.
En fait si je sais.. Il y a ceux comme moi qui disent c'est affreux il faut faire quelque chose, et il y a les personnes comme elle qui agissent et se démènent.